Image: Courtoisie de CNS
Les deux dernières semaines furent très importantes et très chargées pour le pape François. En effet, ce Pape qui exhorte l’Église entière à « sortir de soi-même pour aller aux périphéries existentielles » est le premier à appliquer sa propre consigne. C’est ce qu’il a fait durant les courts mais non moins exigeants voyages des derniers jours alors qu’il s’est rendu à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au Parlement Européen et en Turquie. À la lecture de ses différents discours et homélies, j’ai pu y saisir un fil conducteur : l’écologie globale.
Par écologie globale, j’entends l’élargissement du souci de protection de l’environnement pour y inclure l’homme. Parfois, un certain discours environnementaliste tend à exclure l’homme de la nature en le considérant comme un indésirable ou, pire, comme un malfaiteur. Selon ce discours, si nous avons des crises comme le réchauffement climatique, c’est uniquement la faute des hommes qui abusent de l’environnement en le réduisant à un simple objet de consommation. Cette critique, bien que s’appuyant sur des faits réels, n’est pas en mesure de dresser un portrait réaliste et est donc incapable d’offrir de véritables solutions. Un bref coup d’œil aux paroles et aux actions du Pape actuel nous donne une meilleure compréhension des défis de notre temps et, ainsi, nous permet d’y apporter des solutions adéquates.
Du marché global à l’humanité globale
Ce n’est pas un mystère : pour le pape François et selon la Doctrine sociale de l’Église, l’économie de marché, bien qu’ayant une grande utilité, n’est plus au service de la personne humaine. À l’heure actuelle, la logique du système tend à prendre l’économie pour une fin en soi à laquelle toutes les autres réalités doivent se soumettre. Pour le pape François, c’est une grande méprise « quand l’absolutisation de la technique prévaut » (Benoît XVI, Caritas in veritate, n. 71.) ; ce qui finit par produire « une confusion entre la fin et moyens »[2]. Dès lors, ce n’est plus l’économie qui est au service de l’homme mais l’homme qui est au service de l’économie. Un désordre se produit alors. Par exemple, lorsque l’économie cesse d’être un instrument au service de la répartition équitable des richesses mais soutient une logique qui concentre l’argent dans les mains de quelques-uns, il est clair qu’elle ne travaille plus au Bien commun. Et comme si cela n’était pas assez :
« La lutte contre la faim et la malnutrition est souvent bloquée par la priorité du marché et la dictature du profit, qui réduisent les aliments à une marchandise sujette à la spéculation. Tandis qu’on parle de nouveaux droits, l’affamé est au coin de la rue à demander d’être inclus dans la société et d’avoir le pain quotidien. C’est la dignité qu’il demande, non l’aumône. »[3]
Comment donc se sortir d’un système qui semble avoir « perdu les pédales » ? Pour le Pape, la trajectoire actuelle est loin d’être inéluctable ou immuable. Au contraire, une réorientation de la logique mondiale qu’elle soit économique, politique, culturelle, etc. est possible mais doit correspondre à des critères ajustés à la nature humaine. Ainsi, de la même manière que le manche d’un marteau doit être adapté à l’ouvrier qui l’utilise et non l’inverse, l’économie doit être adaptée à la réalité de la nature humaine. De fait, nos charpentiers auraient bien de la difficulté à construire des maisons si leurs outils n’étaient pas conçus pour être opérés par des mains humaines ! En ce moment, ce qui l’empêche de réaliser sa véritable raison d’être qu’est de servir le développement intégral de la personne sont les fausses conceptions de l’homme. Celle qui tend à s’imposer conçoit les personnes comme de simples consommateurs. Cette logique consumériste réduit tout ce qu’elle touche en le désacralisant et le vide de son sens. Comme d’habitude ce sont les plus faibles qui paient la note : les écosystèmes fragiles mais aussi les enfants à naître et, de plus en plus, les personnes âgées. Or, pour remettre l’homme au centre des calculs économiques et politiques, il est indispensable d’impliquer tous les hommes dans le processus. Cette vaste entreprise de prise de conscience de l’humanité commune à tous est, pour le pape François, un premier pas qui permettra à l’économie globale de redevenir plus humaine en permettant, par exemple, à tous de manger tous les jours. En somme, l’économie globale deviendra une écologie globale le jour où tous les systèmes politiques, économiques, culturels, etc. seront adaptées à la réalité de la nature humaine et de sa relation à Dieu.
L’unité dans le dialogue
Dans un deuxième temps, le Pape s’est rendu à Strasbourg pour y faire un discours au Parlement européen. Bien que le cérémonial ait prévu des échanges très cordiaux, le saint Père n’a pas retenu son charisme prophétique pour autant. En effet, pour lui l’Europe a « vieilli ». Elle n’est plus la référence mondiale qu’elle était. La raison principale de ce manque de fécondité se trouve dans un certain repli sur soi qui l’empêche de s’ouvrir aux différentes influences qui pourraient l’aider à se sortir de sa solitude. De fait, l’Europe a préféré se construire comme entité technocratique : ce qui fait que « les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions »[5] a-t-il dit. C’est donc à une Europe de plus en plus sclérosée que le pape s’est adressé. Une Europe sélectionnant ses interlocuteurs pour ne garder que ceux qui ne remettront pas en question la logique dans laquelle elle a choisi de s’enfermer. En ce sens, le laïcisme ambiant des institutions européennes qui, il y a quelques années, ont refusé d’inclure leurs racines chrétiennes dans leur constitution y est sans doute pour quelque chose. Suivant ainsi la riche tradition des papes, François n’a pas fait preuve d’arrogance envers cette Europe fermée à la dimension transcendante de l’homme. Il lui a plutôt témoigné son affection.
C’est donc en bon « grand père » que l’évêque de Rome s’est présenté devant les parlementaires pour leur offrir son aide afin que les hommes et les femmes qu’ils représentent puissent souhaiter voir leur Europe retrouver sa force et sa vigueur. C’est en remettant l’hémicycle européen en dialogue avec cette ouverture de tous à la dignité humaine et sa relation à Dieu qu’il a dit :
« Je suis convaincu qu’une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident, parce que « c’est l’oubli de Dieu, et non pas sa glorification, qui engendre la violence »[6].
Et en Turquie…
Ces paroles profondes et graves ne sont pas rester lettres mortes puisque peu de temps après, le Saint-Père s’est rendu en Turquie où il a pu montrer le rôle indispensable que les religions peuvent jouer pour construire la paix. Une paix aujourd’hui affaiblie par les incompréhensions réciproques naissant souvent d’un refus de considérer l’autre comme étant digne de respect. C’est la raison pour laquelle il a affirmé :
« En qualité de chefs religieux, nous avons l’obligation de dénoncer toutes les violations de la dignité et des droits humains. La vie humaine, don de Dieu Créateur, possède un caractère sacré. Par conséquent, la violence qui cherche une justification religieuse mérite la plus forte condamnation, parce que le Tout-Puissant est le Dieu de la vie et de la paix. »[7]
Comme le disait le Cardinal Parolin dans son entrevue au Père Thomas Rosica pour l’émission Témoin « l’Église n’a aucun intérêt financier ou politique à défendre. Son rôle est de rappeler aux êtres humains qu’ils ont une dignité et que cette dignité implique la paix sur la terre »[8]. Le pape a donc voulu rappeler à l’Europe que les hommes et les femmes qui la composent désirent ardemment une vie digne, ce qui implique un travail et la paix. Cela ne sera possible que si les institutions démocratiques retrouvent une vision de la nature humaine à la hauteur de cette dignité. Pour lui, l’écologie se résume en une volonté ferme de reconsidérer l’homme à l’intérieur de la création. Non pas, comme le dit le Pape utilisant ainsi la formule de Spinoza, comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades » présentes autour de soi »[9]. L’homme fait partie du monde créé mais cela passe par la reconnaissance de sa dimension spirituelle. Ainsi, et seulement ainsi, il pourra retrouver sa juste place dans l’ordre de la création.