Audience générale du pape François – mercredi 7 février 2024

Mourant. Etienne Bobillet et Paul Mosselman. Collection MET. Wikimedia Commons.

Lors de son audience générale hebdomadaire, le pape François a réfléchi à la « tristesse » qui, en tant que vice, est « comprise comme un abattement de l’âme, une affliction constante qui empêche l’homme de ressentir la joie de sa propre existence. »

Lisez le texte intégral ci-dessous. Vous pouvez également regarder l’intégralité de l’émission ce soir à 19h30 HE soit 16h30 HP sur Sel + Lumière TV et sur Sel + Lumière Plus.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre itinéraire de catéchèse sur les vices et les vertus, nous nous focalisons aujourd’hui sur un vice plutôt abominable, la tristesse, entendue comme un abattement de l’âme, une affliction constante qui empêche l’homme d’éprouver de la joie pour sa propre existence.

Il convient tout d’abord de noter que les Pères ont établi une distinction importante en ce qui concerne la tristesse. Il existe en effet une tristesse propre à la vie chrétienne qui, avec la grâce de Dieu, se transforme en joie : celle-ci n’est évidemment pas à rejeter et fait partie du chemin de conversion. Mais il y a aussi une deuxième sorte de tristesse qui s’insinue dans l’âme et la plonge dans l’abattement : c’est cette deuxième sorte de tristesse qu’il faut combattre résolument et de toutes ses forces, parce qu’elle vient du Malin. Nous retrouvons également cette distinction chez saint Paul, qui écrit aux Corinthiens : « Car une tristesse vécue selon Dieu produit un repentir qui mène au salut, sans causer de regrets, tandis que la tristesse selon le monde produit la mort. » (2 Co 7,10).

Il y a donc une tristesse amicale, qui conduit au salut. Pensons au fils prodigue de la parabole : lorsqu’il touche le fond de sa déchéance, il ressent une grande amertume, qui le pousse à reprendre ses esprits et à décider de retourner dans la maison de son père (cf. Lc 15, 11-20). C’est une grâce de gémir sur ses péchés, de se rappeler l’état de grâce d’où nous sommes tombés, de se lamenter parce que nous avons perdu la pureté dans laquelle Dieu nous a rêvés.

Mais il existe une deuxième tristesse, qui au contraire est une maladie de l’âme. Elle naît dans le cœur de l’homme lorsqu’un désir ou une espérance s’évanouit. Nous pouvons ici nous référer au récit des disciples d’Emmaüs. Ces deux disciples quittent Jérusalem le cœur déçu et confient à l’étranger qui, un certain moment les accompagne : « Nous, nous espérions que c’était lui – c’est-à-dire Jésus – qui allait délivrer Israël. » (Lc 24, 21). La dynamique de la tristesse est liée à l’expérience de la perte. Dans le cœur de l’homme naissent des espoirs qui sont parfois déçus. Il peut s’agir du désir de posséder quelque chose que l’on ne peut pas obtenir, mais aussi de quelque chose d’important, comme une perte affective. Lorsque cela se produit, c’est comme si le cœur de l’homme tombait dans un précipice, et les sentiments qu’il éprouve sont le découragement, la faiblesse d’esprit, la dépression, l’angoisse. Nous passons tous par des épreuves qui génèrent en nous de la tristesse, parce que la vie nous fait concevoir des rêves qui se brisent ensuite. Dans cette situation, certains, après un temps de trouble, s’en remettent à l’espérance ; mais d’autres se complaisent dans la mélancolie, la laissant s’envenimer dans leur cœur. Cela procure-t-il du plaisir ? Considérez ceci. La tristesse est comme le plaisir du non-plaisir, être heureux que cela ne soit pas arrivé, c’est comme prendre un bonbon amer, sans sucre, un bonbon abominable et le sucer. La tristesse est un plaisir de non-plaisir.

Le moine Évagre raconte que tous les vices visent le plaisir, aussi éphémère soit-il, alors que la tristesse jouit du contraire : se bercer d’un chagrin sans fin. Certains chagrins prolongés, où l’on continue à élargir le vide de celui qui n’est plus là, ne sont pas propres à la vie dans l’Esprit. Certaines amertumes rancunières, où l’on a toujours en tête une revendication qui nous fait prendre l’apparence de la victime, ne produisent pas en nous une vie saine, et encore moins une vie chrétienne. Il y a quelque chose dans le passé de chacun qui a besoin d’être guéri. La tristesse, qui est une émotion naturelle, peut se transformer en un mauvais état d’esprit.

C’est un démon sournois, celui de la tristesse. Les pères du désert la décrivaient comme un ver du cœur, qui ronge et vide ceux qui lui font l’hospitalité. Cette image est belle, elle nous fait comprendre. Et alors que dois-je faire quand je suis triste ? S’arrêter et réfléchir : est-ce une bonne tristesse ? Est-ce une tristesse qui n’est pas bonne ? Et réagir en fonction de la nature de la tristesse. N’oubliez pas que la tristesse peut être une très mauvaise chose qui nous conduit au pessimisme, qui nous conduit à un égoïsme difficile à guérir.

Frères et sœurs, soyons attentifs à cette tristesse et pensons que Jésus nous apporte la joie de la résurrection. Même si la vie peut être remplie de contradictions, de désirs déconfits, de rêves non réalisés, d’amitiés perdues, grâce à la résurrection de Jésus, nous pouvons croire que tout sera sauvé. Jésus est ressuscité non seulement pour lui-même, mais aussi pour nous, afin de racheter tous les bonheurs restés inachevés dans notre vie. La foi chasse la peur, et la résurrection du Christ dégage la tristesse comme la pierre du tombeau. Chaque journée de chrétien est un exercice de résurrection. Georges Bernanos, dans son célèbre roman Journal d’un curé de campagne, fait dire au curé de Torcy : « L’Église dispose de la joie, toute cette joie qui est réservée à ce triste monde. Ce que vous avez fait contre elle, vous l’avez fait contre la joie ». Et un autre écrivain français, Léon Bloy, nous a laissé cette phrase magnifique : « Il n’y a qu’une seule tristesse, […] celle de n’être pas saint ». Que l’Esprit de Jésus ressuscité nous aide à vaincre la tristesse par la sainteté.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

 

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