«Les personnes gravement malades et en fin de vie occupent nos pensées et nos cœurs »

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Message de l’Archevêque de Montréal aux fidèles du diocèse concernant le projet de loi 52 visant à légaliser l’euthanasie. 2014-02-05

Fragilité et valeur de la vie

Les questions d’accompagnement des personnes gravement malades et en fin de vie occupent nos pensées et nos cœurs depuis quelques décennies. Les soins palliatifs se sont développés pour répondre à la souffrance et à la douleur, tout en évitant l’acharnement thérapeutique. Au Québec, nos députés s’apprêtent à voter très bientôt sur le Projet de loi 52, « Loi concernant les soins de fin de vie », qui rendrait possible l’euthanasie sous l’appellation d’ « aide médicale à mourir ». Or, devancer la mort ce n’est pas aider à mourir mais faire mourir. C’est pourquoi j’estime important de vous faire part d’une réflexion sur le choix inconditionnel du respect de la vie, quel que soit l’état de faiblesse d’une personne, invitant à tenir ensemble fragilité et valeur de la vie, compassion et espérance.

« Pourquoi Dieu donne-t-il la lumière à un malheureux, la vie à ceux qui sont pleins d’amertume, qui aspirent à la mort sans qu’elle vienne, qui la recherchent plus avidement qu’un trésor ? » (Job 3, 20-21). La prière de Job exprime ici que son angoisse est telle qu’il ne veut plus vivre. Il s’en remet pourtant à Dieu qui « tient en son pouvoir l’âme de tout vivant et le souffle de toute chair d’homme » (Job, 12, 10) en disant dans la confiance et l’espérance : «  Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est impossible. » (Job 42, 2).

Dans la vie, comme Job, nous faisons constamment l’expérience de la fragilité de la vie, en même temps que de la valeur de la vie. Lorsqu’il s’agit de la maladie et de l’approche de la mort, la souffrance peut être telle que l’on perd de vue que non seulement la vie est un bien, mais qu’elle est toujours un bien. Quelle que soit la faiblesse, quelle que soit la fragilité, quelle que soit la douleur, la vie est toujours un bien. Le défi est de tenir ensemble la fragilité de la vie qui nous appelle à la compassion et la valeur de la vie qui nous appelle à l’espérance.

Nous sommes appelés à témoigner de la bonté de la vie, quelles que soient les situations de détresse que l’on puisse rencontrer lorsque des personnes sont gravement malades ou à l’article de la mort. Nous sommes appelés à témoigner de notre bonté envers les personnes malades et mourantes en les accompagnant volontiers, de grand cœur, quel que soit l’inconnu concernant l’évolution de la maladie et les délais, quel que soit l’état de conscience de la personne malade.

Nous sommes appelés à faire le choix inconditionnel de la vie. La dignité de l’être humain n’est pas basée sur les conditions de vie, elle est basée sur le seul fait d’être un être humain et elle touche par le fait même tout être humain. La dignité de tout être humain appelle et réclame le droit à la vie pour tous, quelle que soit la tragédie qui puisse frapper une personne. La dignité de tout être humain oblige au respect de la vie de tous et de chacun, car supprimer la vie, si fragile et si faible soit-elle, c’est supprimer les droits. Même sans référence à Dieu, il est important de rester inébranlable dans le respect de la valeur de la vie afin que la vie en société demeure libre et confiante. Il est important que nous sachions tous que notre famille et la société ne devanceront pas notre mort mais seront là pour nous soutenir jusqu’à la fin.

Contempler Dieu nous ouvre le cœur à défendre la vie et nous donne la force de vivre en aimant jusqu’au bout, car Dieu est Vie : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1, 1-4). La vie, avant d’être notre vie, notre vie humaine, c’est la vie de Dieu, la vie éternelle. Dieu nous a posés dans l’existence en nous créant à Son image et en nous appelant à participer à Sa vie.

En Jésus, le Fils de Dieu fait homme, la vie éternelle est entrée dans le temps, la vie éternelle vient à la rencontre de chacun et chacune d’entre nous. Dans la prière et les sacrements on reçoit cette vie éternelle maintenant, et elle s’accomplira en plénitude dans le Royaume éternel. Parce que Jésus-Christ vient à nous en cette vie, la vie éternelle c’est « du déjà et du pas encore »; elle est déjà commencée et pas encore accomplie. En Jésus, la vie s’est manifestée : « Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. » (1Jn 1, 2). La vie humaine est faite pour rencontrer le don de Dieu.

Jésus, qui est la vie divine et qui est source de notre participation à la vie divine, participe à notre humanité, s’expose à la fragilité, à la souffrance et à la mort. Il a embrassé notre fragilité, il n’a pas fui notre fragilité. Il a embrassé notre humanité blessée, il a embrassé la croix. Il a fait face à l’angoisse de la souffrance jusqu’à dire « mon âme est triste à en mourir » (Mt 26, 38), jusqu’à suer sang et eau lors de sa prière à l’agonie (cf. Lc 22, 44). Jésus n’a pas laissé la souffrance, l’angoisse et la mort détruire la beauté et la valeur de la vie. Il a continué de vivre, de prier et d’aimer jusqu’au bout. Il est mort en priant et en aimant.

Jésus s’est fait proche de tous ceux et celles qui n’en peuvent plus, qui ont l’impression que la vie n’a plus de sens et qui ne veulent plus vivre. Il n’y a aucun sentiment de désespoir dont Jésus ne se soit fait proche. Par sa mort, dans son amour sur la Croix, il a porté tous nos péchés, toutes nos souffrances, toutes nos angoisses, toutes nos morts. Il s’est fait proche de toute personne, de toute douleur, de toute vie au moment de la mort. Lorsqu’on est frappé par la douleur et la perspective de la mort on peut aller à Jésus-Christ, quelle qu’ait été notre vie, car Il s’est fait proche de tout être humain, sans exception.

Pour témoigner de la bonté, de la beauté et de la valeur de la vie, quelle que soit notre expérience de la fragilité, nous sommes appelés à être des témoins de la vie éternelle en Jésus Christ, des témoins de Celui qui est vivant, des témoins de Celui qui est mort et ressuscité. Ce qu’il y a de plus beau sur la terre, c’est le défiguré crucifié qui rayonne l’Amour divin. Ce qu’il y a de plus beau sur la terre c’est l’amour qui se donne à travers la fragilité, c’est l’amour qui va jusqu’au bout. Par la grâce du Ressuscité, l’amour a le pouvoir de transfigurer la souffrance et de la vaincre en ouvrant sur l’espérance.

Oui, il y a le drame qui fait partie de la vie. Mais il y a aussi l’amour qui fait partie de la vie. Oui, il y a l’épreuve qui nous terrasse, mais il y a aussi l’amour et la force de la relation, la force de la présence de Dieu, la force des relations familiales, la force des relations d’amitié et la force des relations avec les personnes qui nous procurent des soins. Accompagner quelqu’un dans la maladie grave, accompagner quelqu’un au soir de son existence, c’est donner un espace à l’amour, c’est donner un espace aux relations et aux réconciliations, c’est donner un espace à Jésus-Christ, à sa grâce et à sa Paix. Rien ne peut « nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 39).

Lorsque, devant la grande fragilité de la vie, on diminue la valeur de la vie, on va à l’encontre de la soif de vivre qui est ancrée très profondément dans l’être humain. Quand on est tenté de ne plus accompagner la vie jusqu’à ce que survienne naturellement la mort, mais de la supprimer car la vie apparaît insupportable, cela est certainement compréhensible, mais prendre cette direction c’est s’engager sur un chemin de déshumanisation. La conscience personnelle des personnes impliquées, de près ou de loin, dans la famille, le monde médical et la société, ne peut qu’être abimée si elle se laisse entraîner dans une telle démarche. L’être humain est constitué pour respecter et servir la vie en toute situation de fragilité. Il ne peut se mettre à causer la mort de personnes innocentes – si encadrée soit la décision – sans blesser en lui-même la conscience de sa propre dignité. Donner la mort à une personne humaine innocente c’est aussi se donner la mort à soi-même…

Alors que nous sommes à quelques jours du 11 février, fête de Notre-Dame-de-Lourdes et Journée mondiale des malades, je vous invite à faire de cette journée un temps de prière et de jeûne. De plus, le soir à 19 h 30, il y aura une messe à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde en faveur des malades et des personnes qui les accompagnent, avec possibilité de recevoir l’onction des malades.

La valeur d’une personne qui est malade ne diminue pas parce qu’elle est dans la fragilité ou l’extrême faiblesse. Il est d’une importance capitale de voir le bien qu’est la vie de toute personne malade. Cette invitation se fait dans un contexte social où l’évidence de la valeur de la vie en toutes circonstances de détresse s’affaiblit et que les députés à Québec s’apprêtent à voter sur le projet de loi 52 qui veut ouvrir la porte à l’euthanasie en en parlant comme d’ une aide à mourir .

Nous avons besoin de Jésus-Christ qui est le Chemin, la Vérité et la Vie, Lui qui est Vie éternelle et qui vient nous apporter sa grâce, tant lorsque nous accompagnons les malades que lorsque nous sommes malades.

Faisons de la Journée mondiale des malades, le 11 février, une journée de prière et de jeûne, participons à la Messe et confions-nous à la médiation maternelle de Marie.


+Christian Lépine
Archevêque de Montréal

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