Claude Ryan ou le visage politique de la Foi

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(Photo: Courtoisie Centre Newman McGill)

Les 13 et 14 février derniers se tenait un colloque sur la vie du journaliste et politicien Claude Ryan (1925–2004). Plusieurs collaborateurs, politiciens et journalistes, amis et membres de la famille se sont exprimés sur la personne qu’ils avaient eu la chance de côtoyer à un moment ou à un autre de leur vie. L’image qui s’en est dégagée est conforme à ce que l’on pourrait s’attendre d’un homme aussi diversifié dans ses activités que dans les thèmes sur lesquels il a dû s’exprimer ou même décider. J’utilise ici le verbe « devoir » puisque c’est un concept qui émerge de toutes les interventions qui se sont succédé durant ces deux journées de conférence.

Rigueur intellectuelle, civilité dans les débats, respect des autres, intégrité politique, engagement social ne sont que quelques-unes des qualités qui caractérisaient Claude Ryan selon John Parisella, ancien directeur général du Parti Libéral (1986-1988) et ancien chef de cabinet des premiers ministres Robert Bourassa et Daniel Johnson (1989-1994). Cet homme, parfois qualifié de bourreau de travail, a dû accompagner de sa plume, lorsqu’il était rédacteur en chef du journal Le Devoir, un Québec en pleine transformation; un peuple, pour ainsi dire, en pleine crise d’adolescence puisqu’en recherche de repères stables pour faire face à ce nouveau monde globalisé qui était en train de naître. En ce sens, nous pouvons nous demander ce qui a permis à cet homme de garder une telle crédibilité  « même de la part de ces opposants politiques » comme l’affirmait Guy Lachapelle, professeur de science politique à l’Université Concordia. Le secret derrière cette influence qui faisait dire à Bryan Mulroney qu’il était une « autorité morale et l’un des plus grands Québécois de l’histoire moderne » se trouve dans ce que Jean-Pierre Proulx, ancien président du Conseil supérieur de l’éducation, appelle « la théologie de Ryan ».

La première journée de conférences rendait bien compte de la centralité de la dimension spirituelle dans la vie et l’oeuvre de Claude Ryan. En effet, cette qualité qui lui valut parfois l’étiquette de « rétrograde » n’a jamais cessé d’influencer l’ensemble de sa carrière. Ainsi, plusieurs intervenants ont souligné combien l’orientation fondamentale de son POPE JOHN XXIII CARRIED ON CHAIR DURING OPENING SESSION OF SECOND VATICAN COUNCILengagement social se trouvait dans la spiritualité laïque mise de l’avant par le Magistère du Concile Vatican II. En effet, cet événement ecclésial où se sont réunis plus de 2400 évêques a sanctionné du sceau magistériel ce que l’on appelle ordinairement : la vocation universelle à la sainteté. Cette dernière allait donc devenir une catégorie fondamentale sur laquelle s’appuie la mission spécifique des laïcs. Cette nouvelle ecclésiologie que l’on pourrait qualifier de « révolutionnaire » élargissait l’horizon et la constitution de la mission propre de l’Église à ceux qui étaient ni religieux, ni clercs. Comment cette mission de transformation du monde devrait-elle se traduire dans la vie concrète de l’Église? Ce ne sera pas en faisant du prêtre un homme comme les autres, ni en substituant le clergé par des laïcs dans les structures de l’Église institutionnelle. Comme le disait un de mes professeurs de théologie, « Vatican II n’a ni demandé au prêtre de sortir de la sacristie, ni aux laïcs d’y entrer ». Cette mission de transformation des réalités temporelles afin qu’elles soient de plus en plus le reflet de l’Amour inconditionnel de Dieu pour l’humanité serait l’objet propre de la mission des laïcs. Je crois que Claude Ryan fut, pour le Canada, représente un modèle éminent de mise en pratique de la vocation de laïc. Toutefois, cette vision de catholique engagé dans la sphère sociale ne consistait pas pour lui à être le « bras séculier » de l’épiscopat québécois. Les conférenciers étaient unanimes sur ce point. Ryan n’était pas un simple vassal du clergé. De même qu’il respectait l’autorité du clergé en matière spirituelle, il aimait que l’on respecte l’autorité des laïcs en matière temporelle. De plus, il savait asseoir cette autorité.

J’ai été surpris de voir, durant la conférence, à quel point Claude Ryan avait été un véritable phare pour les gens qui l’ont côtoyé ou l’ont lu dans ce qu’on pourrait nommer le brouillard moral de la politique de son époque. Quelques qualités mentionnées durant le colloque peuvent être clairement perçues comme découlant de sa foi profonde au Christ et à l’Évangile.

D’abord son engagement au sein de l’Action catholique a profondément marqué sa vie et son intelligence croyante. Des études à Rome sur l’histoire de l’Église lors d’une année sabbatique lui avaient permis de se familiariser avec les plus grands théologiens de son époque. Sur ce point, une visite de la nouvelle bibliothèque Claude-Ryan au centre Newman de Montréal (inaugurée durant la conférence) permet de discerner un goût spécialement prononcé pour des noms comme De Lubac, Congar et Rahner. La tradition jésuite ainsi que la nouvelle théologie ont donc joué un rôle important durant toute sa vie.

Une autre qualité profondément chrétienne était son refus de tout emprisonnement idéologique. En effet, la tentation constante des intellectuels est de substituer les concepts à la réalité. En cela, Claude Ryan pourrait être décrit comme un grand intellectuel réaliste. Ce qui l’inclut dans la tradition thomiste la plus fidèle au Docteur angélique. Comment ne pas se rappeler les conseils de prudence politique d’Aristote et de Thomas d’Aquin concernant la nécessité de considérer l’applicabilité d’une loi sans laquelle cette dernière peut causer plus de tort que de bien. Cette caractéristique a été soulignée par l’ancien premier ministre Jean Charest pour qui monsieur Ryan était animé d’un « profond réalisme photopolitique » conscient que les libertés individuelles ne sont pas avant tout des concepts abstraits mais une réalité vécue par des hommes en chair et en os. Qualité qui faisait également dire à Olivier Marcil, vice principal aux communications et relations extérieures de l’Université McGill, que Claude Ryan, bien qu’il est difficile de connaître l’opinion d’un homme sur un sujet à titre posthume, n’aurait certainement pas été en faveur de la Charte des « valeurs » québécoises. C’est en ce sens que Claude Ryan était sans contredit un libéral au sens philosophique du terme c’est-à-dire un homme pour qui le pouvoir de l’État ne devait interférer avec la conscience des individus que dans le cas de force majeure. C’est la raison pour laquelle il s’opposa fortement aux conclusions du Rapport Proulx déconfessionnalisant ce qui restait du système public catholique au Québec. Monsieur Jean-Pierre Proulx, présent à la conférence, a lui-même témoigné de ce point de litige majeur qui avait opposé les deux hommes. En effet, au nom de quel principe viendrait-on séculariser une partie du système d’éducation représentant les valeurs d’une partie non négligeable de la population sinon par une violation du principe libéral de la liberté de conscience individuelle?

Que retenir de Claude Ryan?

Comme catholique, je retiens de cette conférence une confirmation de l’influence positive que la foi joue dans la vie de ceux qui la partagent. Contrairement à une opinion fort répandue de nos jours, la vie ne peut se compartimenter de telle sorte que certaines dimensions de notre être agissent indépendamment les unes des autres. De même que dans un corps, un membre ne peut agir seul ou en sens contraire sans causer de graves inconvénients, la conscience d’un homme doit pouvoir accompagner tous ses actes. Claude Ryan a su montrer au Québec entier que la foi pouvait jouer un rôle extrêmement positif dans toutes les sphères de la société, y compris la politique. Dans un monde sécularisé où la foi est souvent exclue et perçue comme un obstacle au bien commun, monsieur Ryan est une source d’inspiration à nous tous qui voulons être fidèles au monition du Pape François pour qui :

« même si on note une plus grande participation de beaucoup aux ministères laïcs, cet engagement ne se reflète pas dans la pénétration des valeurs chrétiennes dans le monde social, politique et économique. Il se limite bien des fois à des tâches internes à l’Église sans un réel engagement pour la mise en œuvre de l’Évangile en vue de la transformation de la société. La formation des laïcs et l’évangélisation des catégories professionnelles et intellectuelles représentent un défi pastoral important. »[1]

Souhaitons que cette véritable « épiclèse » de la vie et de l’œuvre de Claude Ryan inspire une nouvelle génération de laïcs prêts à mettre en pratique les paroles du Christ : «Allez, vous aussi, à ma vigne » (Mt 20, 3-4).


[1] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, No 102

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