(Image : Courtoisie de Unsplash)
Carl R. Trueman est un historien et théologien presbytérien travaillant aux États-Unis. Professeur et auteur de plusieurs ouvrages, il a récemment publié The Rise and Triumph of the Modern Self : Cultural Amnesia, Expressive Individualism, and the Road to Sexual Revolution, un ouvrage qui a fait sensation et a été décrit par plusieurs comme l’un des livres les plus importants de l’année, voire de la décennie.
Publication majeure, préfacée par le célèbre écrivain orthodoxe Rod Dreher, le livre de Trueman est une authentique histoire intellectuelle du moi. À une époque où les critiques faciles et banales de la condition de l’homme moderne ne sont pas rares, la profondeur de la perspective de Truman est rafraîchissante.
Il aborde la révolution sexuelle – c’est-à-dire la libéralisation des mœurs sexuelles dans les sociétés occidentales au cours de la seconde moitié du XXe siècle – comme le symptôme d’une compréhension nouvelle et distinctive du moi, en invoquant certaines des grandes figures de la philosophie et de la littérature modernes.
Trueman s’appuie sur les analyses du sociologue américain Philip Rieff, qui a pensé l’homme moderne comme un être psychologique, dont la conception du bonheur est liée à un processus de découverte et d’expression de son identité intérieure fondamentale. Ce développement pour Trueman est à l’origine d’une disposition de plus en plus courante à rejeter les connaissances ou les idées qui remettent en cause ce mouvement de découverte et d’expression.
Cette notion est liée à l’idée d’anti-culture, également de Rieff, pour qui l’homme psychologique rompt avec la transmission, caractéristique essentielle de la culture, dans la mesure où cette transmission, réalisée dans le milieu académique par la relation entre maître et apprenti, contredit le déploiement des identités.
Pour expliquer cette transformation de la culture, Trueman évoque également les notions de mimesis (l’acte de répétition et d’imitation du maître qui fait entrer dans une culture qui nous dépasse) et de poesis (la recherche d’authenticité accomplie par la construction de son identité par et pour soi).
Pour Trueman, notre époque est caractérisée par une forme d’individualisme expressif, qui met l’accent sur la vie intérieure et les émotions dissociées du contexte social particulier dans lequel nous sommes appelés à évoluer. Pour l’individualiste expressif, le moi se trouve dans le mouvement interne de sa psychologie, susceptible d’être réprimé de multiples façons dans l’ordre social.
Trueman en fait remonter les origines à Rousseau et voit dans les différents représentants du mouvement romantique, comme Percy Shelley, l’héritage de cette inclination à concevoir la vie intérieure, psychologique, et les émotions comme le fondement de l’identité et à se méfier de l’environnement social comme lieu de répression du moi authentique.
Le philosophe catholique canadien de renommée mondiale Charles Taylor est identifié par l’auteur comme l’un des interprètes de cette transformation, lui qui l’a pensée en termes d’authenticité, une notion qui ne manque pas de résonance dans la culture populaire actuelle.
Pour Trueman, nous sommes désormais immergés dans cette conception de l’identité et du moi, qui est déterminante pour notre réalité collective et partagée. Il soutient que la révolution sexuelle et ses effets font partie de cette évolution de notre conception commune de l’identité et de ce qui en constitue le cœur.
Il soutient que toute cette logique – inhérente au mouvement de libéralisation sexuelle – se reflète dans notre conception du sexe et du genre en tant qu’identités. Cette question est particulièrement importante dans le cas des personnes transgenres, dont l’expérience est fondée sur un sentiment authentique et profond de distance radicale entre la personne intérieure et la personne extérieure, la personne privée et la personne publique, et qui parfois rapporte leur expérience de la vie sociale vécue comme une performance.
La réalité des mœurs sexuelles après la libéralisation n’est plus comprise, dans la culture populaire et dans les mentalités de la plupart, en termes d’action, mais en termes d’identité. Ainsi, pour Trueman, les normes sexuelles qui étaient considérées comme ordinaires et largement partagées dans la société au moment de la révolution sexuelle ont été rapidement balayées par « l’amnésie culturelle » et « l’individualisme expressif ».
L’Église catholique elle-même a fait l’expérience de la révolution sexuelle. Dans l’immédiate période postconciliaire, les principes catholiques de la morale sexuelle ont été remis en cause, même au sein de l’Église. Si le pape saint Paul VI les a réitérés en son temps, c’est le pape saint Jean-Paul II qui leur a donné le contexte d’une anthropologie philosophique, illustrant la concordance entre la loi morale et la nature profonde de la personne humaine.
Cette nature est partagée, et elle se vit dans le monde social qui – dans le meilleur des cas et malgré les imperfections que nous connaissons – est le véhicule du développement de la personne et de son identité, plutôt que son ennemi.
L’approche de Trueman fournit un outil précieux pour interpréter les transformations survenues dans notre compréhension de la personne humaine et des conditions propices à son développement intégral. Avec sophistication, Trueman ose dire des vérités dérangeantes sans être polémique. Après tout, nous devons comprendre le monde dans lequel nous vivons si nous espérons participer, modestement, à son évangélisation.