Du 9 au 14 août se tient, à Montréal, le Forum Social Mondial. Cette rencontre internationale a pour but de favoriser la mise en commun des différentes luttes pour la justice sociale en approfondissant la connaissance et l’engagement des participants aux nombreuses problématiques actuelles. Ayant assisté à quelques-unes des 1400 activités prévues lors de l’évènement, j’ai eu l’occasion de rencontrer Robert Calderisi auteur de Earthly Mission: The Catholic Church and World Development (Mission sur terre : l’Église catholique et le développement mondial) paru à la prestigieuse Yale University Press. Expert des questions entourant l’aide internationale et le développement, il a travaillé pendant 24 ans à la Banque Mondiale. Originaire de Montréal, il a également travaillé auprès d’organismes tels que l’OCDE et l’Agence canadienne pour le développement. Vous trouverez ci-dessous l’intégral de l’entrevue que j’ai pu réaliser avec lui à la fois sur l’enjeu de l’aide internationale, en Afrique plus particulièrement ainsi que du rôle joué par l’Église catholique dans ce que Bx Paul VI nommait populorum progressio.
Francis Denis : Parlez-nous des raisons qui vous ont poussé à écrire cet ouvrage ?
Robert Calderisi : Il m’apparaissait intéressant d’écrire un livre sur l’impact de l’Église catholique et spécialement de sa mission sociale dans les pays en voie de développement. Bien sûr, on critique souvent le rôle de l’Église chez nous et à l’étranger mais la vérité est tout autre. Dans les pays en voie de développement, l’Église n’est pas perçue comme un maître ou un instituteur qui domine comme ce fut le cas pendant longtemps ici au Québec. Elle est plutôt perçue comme une institution libératrice, spécialement pour les jeunes filles et les femmes parce que dans de nombreuses cultures à travers le monde, leur sort n’est pas très réjouissant et dans plusieurs cas elles sont presque condamnées à la pauvreté, etc. Dans ce contexte, le message, l’action et la mission sociale de l’Église sont positifs. On note trois niveaux d’intervention : 1) par l’enseignement, l’Église est très présente pour l’enseignement de tous, des plus pauvres aux plus riches ; 2) en rendant accessibles des services de base (eau potable, crédit, santé, etc.) ; 3) par une action politique et le témoignage. Là aussi elle est très souvent critiquée. Par exemple, lorsqu’on pense à l’Italie, on dit souvent que l’Église est trop influente. Par contre, dans les pays en voie de développement, l’Église a été et reste un agent très puissant notamment dans la reconnaissance des droits de la personne.
Malgré les critiques légitimes que l’on peut toujours faire contre l’enseignement social de l’Église qui, selon moi, a sans doute ralenti des réformes économiques et sociales en Afrique et en Amérique latine en raison de sa critique du capitalisme. Somme toute, le bilan pour moi est nettement positif.
Les facteurs qui font en sorte que la pauvreté a reculé dans le monde sont majoritairement reliés à des causes impersonnelles telles que la globalisation, l’entrée de l’Inde et de la Chine dans le marché mondial et le libre échange dans le monde. Bien sûr, on note des excès de temps en temps mais on note aussi de nombreux effets positifs dans les pays en voie de développement, spécialement pour les ouvriers et les paysans. Pour moi, le bilan de la promotion de la justice, l’action caritative et l’investissement humain de l’Église dans les pays du tiers-monde sont fortement positifs. Il ne faut pas oublier que l’Église est le deuxième plus grand organisme caritatif dans le monde après la Croix-Rouge.
Depuis les 30-40 dernières années, je pense avoir démontré dans mon livre que l’Église a permis à un grand nombre de personnes de sortir de la pauvreté plus que tout autre institution dans l’histoire.
Francis Denis : Selon vous, quels sont les grands défis auxquels font face les pays en voie de développement aujourd’hui ?
Robert Calderisi : L’Afrique a évidemment une histoire difficile. Il y a de nombreux facteurs qui expliquent le retard du « décollage » économique. On cite souvent le colonialisme, l’endettement de l’Afrique, les conséquences de la guerre froide sur l’Afrique où les pays étaient vus comme des pièces sur l’échiquier. Par contre, et cela les Africains ont du mal à le reconnaître, ils sont eux-mêmes responsables de leur histoire. Ils doivent être en mesure de faire un travail d’introspection pour réaliser qu’il y a de leur côté, certains blocages et des pratiques, surtout sur le plan politique, qui nuisent au progrès social et économique. Depuis dix ans, pour la plupart des pays, l’Afrique sort de son blocage politique. Il y a de plus en plus de liberté et d’espace pour l’expression individuelle et pour une contestation des pratiques du passé. Sur ce plan-là, je suis plutôt encouragé. Par contre, sur le plan économique je suis plutôt déçu puisque c’est l’agriculture qui est la richesse de l’Afrique. Ce ne sont pas les minerais ou le pétrole. Il y a tellement de possibilités pour l’Afrique dans ce domaine mais, malheureusement, on traite ce secteur comme étant vétuste et archaïque ; comme n’étant pas une source de revenu intéressant ou respectable oubliant que le Canada, les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélance et le Dannemark gagnent beaucoup d’argent avec leurs terres et leurs productions agricoles.
Le grand drame de l’Afrique est qu’il y a un lien étroit entre le manque de productivité agricole et la pauvreté. Une grande part de la production agricole en Afrique dépend des petits cultivateurs. Ce n’est pas une agriculture de plantation à grande échelle. Toute l’efficacité qu’on pourrait introduire en Afrique dans ce domaine aurait un impact direct sur le niveau de vie des Africains qui habitent toujours, pour la majorité, en zone rurale. Bien sûr, l’Afrique s’urbanise très vite c’est clair ! Mais la population et les pauvres se retrouvent surtout en zone rurale et en augmentant le revenu et les services, ce sont toutes les familles qui pourraient en bénéficier.