Image: Courtoisie de CNS
Le 6 février dernier, la Cour Suprême du Canada se prononçait dans un jugement unanime, signé « La Cour », en faveur de ce qui, par euphémisme, a été appelé au Québec « l’aide médicale à mourir ». En effet, le jugement « Carter c. Canada » de la plus haute instance juridique du pays a statuée que:
« L’alinéa 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte de manière injustifiée à l’art. 7 de la Charte et sont inopérants dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. La prise d’effet de la déclaration d’invalidité est suspendue pendant 12 mois. »
En résumé, cela signifie que toute personne souscrivant aux conditions mentionnées dans les lois a maintenant le droit constitutionnel de recevoir d’une tierce personne les moyens nécessaires à se donner la mort. Comment ce jugement affectera-t-il notre société, se demande-t-on ? Jeudi soir dernier, au Centre Newman de l’Université McGill, avait lieu une conférence portant sur cet enjeu majeur pour notre pays. Pour l’occasion, deux experts en la matière étaient invités : Margaret Somerville (Directrice, Centre for Medicine, Ethics & Law) et Douglas Farrow (Kennedy Smith Chair in Catholic Studies).
Dans son allocution, Mme Somerville a tenu à manifester les différentes implications qu’un tel jugement pourrait avoir pour l’avenir immédiat et à plus long terme. D’emblée, ce jugement est qualifié de l’un des plus importants du XXIe siècle, de par ses implications et ses modifications aux valeurs fondamentales de notre société. En effet, il aura pour effet de permettre et le suicide assisté, et l’euthanasie. Ce jugement va donc plus loin que les prévisions du projet de loi 52 du gouvernement du Québec puisqu’il va jusqu’à permettre l’euthanasie ; la distinction entre les deux se trouvant dans le fait que le suicide assisté permet au patient de recevoir les moyens nécessaires à sa propre mise à mort tandis que l’euthanasie permet à une personne (médecin) de donner la mort c’est-à-dire de tuer une personne. En ce sens, le jugement de la Cour Suprême vient décriminaliser le meurtre au premier degré, et ce, dans certaines circonstances. C’est pourquoi, cette professeure de droit de grande réputation en vient à dire qu’il s’agit d’un jugement « sismique » puisqu’il vient ébranler nos valeurs fondamentales.
En effet, le fondement de notre société a toujours été la reconnaissance du caractère absolu de la vie humaine et de sa dignité intrinsèque. La vie humaine étant un bien absolu, rien ne pouvait venir amoindrir sa valeur et, donc, justifier l’acte de donner ou se donner la mort. Ainsi, l’une des conséquences juridiques se trouvait dans le fait qu’il était toujours légalement répréhensible de tuer une personne intentionnellement, à l’exception des cas de légitime défense. Ce changement légal manifeste bien les transformations fondamentales qui sont en cours dans notre société. Ce que le Saint Pape Jean-Paul II appelait la « culture de la mort » gagne en popularité de jour en jour.
En effet, bien que ce jugement soit d’ordre légal, il n’est qu’une manifestation d’un problème sous-jacent qui, lui, est davantage d’ordre philosophique. En effet, dans la plupart des jugements concernant les droits individuels et l’application de la Charte des droits et liberté, la Cour a presque toujours appliqué une interprétation individualiste où l’autonomie et l’autodétermination deviennent des conditions sine qua non d’une vie digne d’être vécu. En ce sens, une personne recevrait sa dignité de sa capacité à être autonome. Suivant cette logique, la loi doit permettre tous les comportements qui découlent de ce principe d’autodétermination. Or, selon le professeur Douglas Farrow, cela n’est pas du tout évident ni d’un point de vue anthropologique, ni d’un point de vue juridique.
Pour nous rendre compte de cela, Mme Somerville a repris un jugement de la Cour de Cassation en France qui avait jugé « contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs » la pratique du « lancé du nain » et, ce, malgré la volonté de ces derniers réclamant leur « droit d’être lancés » pour des raisons financières. Ainsi, la Cour avait jugé illégale une pratique dont les principaux acteurs, en l’occurrence les personnes de petite taille, considéraient être un droit. Il est donc possible et souhaitable, qu’en certaines circonstances, le droit à « l’autodétermination » soit restreint lorsqu’une pratique est inhumaine et contraire aux bonnes mœurs d’une société. Pourquoi cet argumentaire, qui jusqu’à tout récemment s’appliquait à notre code criminel deviendrait-il tout à coup invalide dans le cas de l’euthanasie ?
On a aussi noté que le jugement « Carter c. Canada » créant, d’une certaine manière, un nouveau « droit au suicide » s’appuie sur la décriminalisation du suicide par le Parlement en 1972. En effet, si le suicide n’est
ni un crime, ni un acte illégal au Canada, pourquoi assister une personne à poser un tel geste serait-il un acte illégal et criminel ? Cette argument ne tient cependant pas compte des raisons qui soutenait cette décriminalisation du suicide qui a eu lieu il y a plus de 40 ans. En effet, la raison principale pour laquelle le suicide n’est plus un crime au Canada se trouve dans le fait que les personnes qui avaient tenté de se suicider avaient peur de demander de l’aide par crainte d’être jugées et condamnées. L’intention derrière la décriminalisation du suicide était donc de réduire le nombre de suicides et non pas de l’augmenter. On vient ainsi détourner l’intention du législateur de l’époque pour lui faire dire exactement le contraire de ce qui avait été prévu au départ.
Enfin, ce jugement porterait de nombreuses erreurs factuelles concernant les références aux législations de la Belgique et des Pays-Bas et, ce, à deux niveaux. Dans un premier temps, la Cour Suprême n’a pas reconnu les exemples d’abus et de dérapages relevés par le Procureur Général bien qu’ils soient, pour de nombreux experts, plus que pertinents. De plus, selon le jugement, ces exemples ne concerneraient pas le Canada puisqu’ils résulteraient « d’une culture médico-légale très différente » (112). Il n’y aurait donc aucune raison d’empêcher ou de retarder la décriminalisation du suicide assisté au Canada. L’argument de la « pente glissante » est ainsi balayé du revers de la main des juges.
Que faire ?
Il existe plusieurs niveaux d’action citoyenne pour freiner l’application de ce jugement et ainsi répondre à l’invitation du Président de la Conférence des évêques du Canada « à résister aux pressions d’aller plus loin en approuvant de prétendus actes « d’homicide par compassion » et d’euthanasie »[5]. Selon, Mme Somerville, une avenue possible pour le gouvernement fédéral serait d’utiliser la clause dérogatoire. Cela allongerait la période de temps pour produire un projet de loi destiné au parlement, passant ainsi de 1 an à 5 ans. De cette manière, le gouvernement pourrait formuler et voter un projet de loi visant à restreindre le plus possible la portée de ce jugement. Selon moi, les législateurs catholiques devront s’approprier les paroles de l’encyclique Evangelium Vitae tout en changeant le mot « avortement » par celui « d’euthanasie» :
« Dans le cas ici supposé, il est évident que, lorsqu’il ne serait pas possible d’éviter ou d’abroger complètement une loi permettant l’avortement [euthanasie], un parlementaire, dont l’opposition personnelle absolue à l’avortement [euthanasie], serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d’une telle loi et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique. Agissant ainsi, en effet, on n’apporte pas une collaboration illicite à une loi inique; on accomplit plutôt une tentative légitime, qui est un devoir, d’en limiter les aspects injustes. » (no 73).
Selon Margaret Somerville, l’une de ces restrictions pourrait être l’obligation de faire appel à un juge pour recevoir ce « droit » au suicide assisté ou euthanasie comme c’est le cas pour d’autres circonstances. Ce genre de restriction pourrait avoir pour effet de protéger de nombreuses vies ainsi que de décourager certaines personnes à avoir recours à cette pratique inhumaine qu’est le suicide assisté et l’euthanasie. Une autre avenue, complémentaire à la première, serait la création d’une commission royale d’enquête sur les faits relatés dans le jugement et qui semblent avoir été rejetés de manière arbitraire sans tenir compte de la réalité sur le terrain. Enfin, il est important que les citoyens se sentent concernés par cette décision de la Cour Suprême et qu’ils s’impliquent auprès de leur député pour qu’il se prononce contre cette « triste et troublante décision ». Soulignons en terminant la tenue du prochain Colloque de l’Observatoire Justice et Paix à Québec le 28 février prochain qui portera sur cette question cruciale pour l’avenir de notre pays.