[NDLR: dans l’intérêt de nos lecteurs, nous publions l’homélie du Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, prononcée le 26 juin à l’occasion de la messe d’ordination de nouveaux prêtres à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Plus de 10 000 personnes ont pris part à la célébration qui s’est déroulée à la fois sur le parvis et à l’intérieur de la basilique.]
Frères et Sœurs,
Cette année notre célébration de l’ordination des nouveaux prêtres du diocèse de Paris prend une dimension exceptionnelle. D’abord elle marque la clôture de l’année sacerdotale pour le cent cinquantième anniversaire de la mort de saint Jean-Marie Vianney, curé d’Ars. D’autre part, j’ai aussi souhaité que cette ordination soit l’occasion d’un rassemblement diocésain qui associe toutes les paroisses et les communautés au terme de notre première année de « Paroisses en mission ». Bien sûr, nous savons que nous ne sommes ici qu’une petite partie de l’immense peuple de Dieu qui constitue le diocèse de Paris. Nous avons bien conscience de n’être que les représentants visibles de ces assemblées dominicales que j’ai appelées cette année à s’investir davantage dans la mission de l’Église.
Nous sommes d’autant plus heureux de nous retrouver dans et autour de la cathédrale, l’église mère, représentant les différents quartiers de Paris et toutes les générations. Notre joie est encore accrue par la présence de Mgr Joseph Nguyen Chi Linh, évêque de Thanh-hoa au Vietnam qui vient participer à l’ordination de Joseph Nam, prêtre de son diocèse. Nous lui souhaitons cordialement la bienvenue à Paris et nous lui exprimons notre communion avec l’Église au Vietnam. Nous sommes aussi heureux d’accueillir Mgr Matthias N’Gartéri Mayadi, archevêque de N’Djaména au Tchad.
Thomas, Nicolas, Grégoire, Nathanaël, Thierry, Thierry, Joseph, Luc et Sébastien, célébrer votre ordination sacerdotale au cours de ce rassemblement diocésain n’est pas une manière de relativiser l’événement exceptionnel que vous vivez aujourd’hui, au contraire. C’est au cœur de ces communautés que votre vocation personnelle a pris corps, c’est pour le service de ces communautés que vous êtes ordonnés et que le Christ appelle chacun d’entre vous et vous consacre. La magnifique figure de notre Église assemblée vous donne visiblement le cadre de votre vie de prêtres qui commence aujourd’hui.
Vous êtes accompagnés par vos familles que je salue et auxquelles j’exprime la reconnaissance de tous. Autour de votre évêque et de ses auxiliaires, avec l’ensemble du presbyterium qui va vous imposer les mains, entourés des diacres, des religieux et des religieuses, de toutes les personnes consacrées et portés par le peuple tout entier, vous recevez en même temps votre mission et votre place dans l’Église du Christ pour guider et nourrir le peuple chrétien, pour participer à sa mission et rendre témoignage au Christ.
Alors que notre Église a été durement touchée tout au long de cette année, nous mesurons bien que notre engagement à la suite du Christ est un engagement de pauvres hommes qui n’échappent ni aux perversions communes, ni aux fautes des membres de l’Église. Notre corps sacerdotal a été secoué par la révélation du mal qu’ont fait un certain nombre de ses membres. L’Église tout entière en a été frappée. Nous en avons souffert, nous en souffrons et nous en demandons pardon à celles et ceux qui en furent les victimes. Mais nous avons assez foi en la puissance de Dieu pour savoir qu’Il continue d’agir malgré nos faiblesses.
Ce n’est pas de nos qualités, de nos talents, ni même de nos convictions que nous sommes les témoins. C’est du Christ ressuscité et de la vie de son Esprit en ce monde. Ce ne sont pas notre valeur morale que nous annonçons, c’est la Bonne Nouvelle du salut. Dans le Christ, le péché et la mort ont été vaincus et ceux qui essaient d’être disciples du Christ sont témoins de cette victoire. Comme les Apôtres à Césarée, avec le peuple de Dieu tout entier, nous sommes sollicités aujourd’hui encore pour dire qui est Jésus-Christ. Qui il est pour nous ; qui il est pour chaque homme et chaque femme de notre temps.
La véritable réponse aux questions de ce monde n’est pas dans le même registre que celui des questionneurs. Ceux-ci sont tentés de mesurer l’authenticité de l’Église à l’aune des moyens de communication pour lesquels l’image construite et présentée compte plus que la réalité.
Notre véritable réponse aux questions de ce monde n’est pas dans une stratégie de communication, elle est ici ce matin, dans cette cathédrale et sur son parvis. C’est l’Église toujours vivante malgré ses faiblesses et ses blessures, c’est l’Église fondée par le Christ, animée par son Esprit, l’Église sans cesse en croissance et en mouvement, l’Église mobilisée et passionnée par l’annonce de Jésus-Christ.
Ce sont les chrétiens qui témoignent de Jésus-Christ dans tous les quartiers de notre grande ville et dans tous les domaines de leur vie : leur famille, leur travail, leurs loisirs. Ce sont ces mêmes chrétiens qui se rassemblent chaque dimanche pour proclamer la foi de l’Église, recevoir la Parole de vérité et le Pain de vie. Ces assemblées paroissiales sont variées et bigarrées par les différentes nationalités et les différentes cultures de ceux qui s’y retrouvent comme les membres d’une même famille. Nos communautés essaient, semaine après semaine, de témoigner dans ce monde que la diversité sociale n’est pas un danger, pas plus que la diversité raciale ou culturelle. Ces diversités sont des richesses précieuses.
Ces chrétiens qui se réunissent chaque dimanche par dizaines de milliers, sont une puissante force de transformation de notre monde et de notre société. Par leur manière de vivre, par leur persévérance dans les difficultés, par leur espérance dans les possibilités de rendre ce monde meilleur, ils sont une référence et un soutien pour toute notre société. Ils savent que cette société n’est pas toujours prête à porter et à soutenir les valeurs du christianisme et ils acceptent que leur témoignage ne soit pas reconnu et même qu’il soit critiqué. Ils ne demandent aucun traitement de faveur, mais ils demandent d’être respectés au nom de leur service du bien commun.
Dans ce monde, dans tous les temps et sous toutes les latitudes, la fidélité à la personne du Christ et à son enseignement a toujours été un combat. Dire qui est Jésus-Christ ne conduit pas nécessairement à se faire des amis. Jésus en a prévenu ses disciples : « Vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi : ils auront là un témoignage pour eux et pour les païens. Lorsqu’ils vous livreront, ne vous inquiétez pas de savoir comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là, car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. » (Mt. 10, 18-20). Ce n’est pas sur nos forces que nous pouvons compter, mais sur la force de Dieu. On a pu enchaîner Pierre et traduire Paul en jugement. On ne peut pas enchaîner la Parole de Dieu. Chers amis, vous pouvez donc accepter avec confiance le ministère auquel vous êtes appelés, pourvu que vous soyez résolus à vous appuyer sur la grâce de Dieu et sur la vie de l’Église pour conduire votre vie et votre action.
Notre rassemblement de ce jour béni est d’abord un acte de foi dans cette puissance de Dieu qui conduit son Église en rassemblant, semaine après semaine, les disciples de Jésus et en les nourrissant de sa Parole et de ses sacrements. Mais, l’authenticité de cette parole et de ces sacrements nous est garantie, non par un contrôle idéologique ou par un alignement de tous sur de bons sentiments généreux.
Elle nous est garantie sacramentellement par le ministère des prêtres agissant dans l’Église par l’envoi du Christ pour faire ce que lui-même a fait. Quand nous prêchons, malgré les limites de nos discours, c’est lui-même qui instruit son Église. Quand nous consacrons le pain et le vin, c’est lui-même qui se donne en nourriture et en boisson. Quand nous pardonnons les péchés, c’est lui-même qui fait miséricorde. Quand nous baptisons, c’est lui qui baptise. Dans tous les sacrements par lesquels il nous donne sa vie, il a voulu passer par les simples paroles et les pauvres gestes de ses ministres pour toucher lui-même chaque chrétien dans son âme et dans son corps.
Nous sommes remplis de joie et de gratitude pour le soin que Dieu prend de son peuple à travers le ministère des prêtres. Nous sommes remplis de joie et de gratitude pour tous ces hommes que le Christ a choisis et appelés pour « être avec lui » et partager sa mission pastorale.
Je pense aux neuf prêtres que nous allons ordonner aujourd’hui, mais aussi tous ceux qui les ont précédés et dont nous sommes heureux de fêter le jubilé de l’ordination, aux prêtres âgés qui suivent cette célébration depuis la maison de retraite Marie-Thérèse et bien-sûr à tous ceux qui vont vous imposer les mains et appeler sur vous le don de l’Esprit du Christ. Aujourd’hui nous voulons remercier Dieu pour ce don magnifique et vous remercier, vous, ses prêtres et ses diacres, qui avez généreusement répondu à son appel, vous par qui nous avons été enfantés à la foi, reçus dans l’Église et soutenus et fortifiés dans notre suite du Christ.
Frères et Sœurs, laissez-moi vous faire une confidence. Je crois que tous vos prêtres réunis ici tout comme ceux qui nous sont unis par la pensée et la prière, tous ont le cœur débordant de joie et de gratitude pour le bonheur que Dieu leur donne grâce à vous. Tous sont émerveillés des fruits que produit l’Esprit dans la vie de tant d’hommes et de femmes, souvent inconnus, qui sont aujourd’hui les témoins du Christ au milieu de ce monde. Ils trouvent leur joie et leur épanouissement à exercer leur service pastoral avec vous et pour vous. Ils se réjouissent de voir comment la force de l’Esprit surmonte vos faiblesses et vous conduit à mettre en pratique le commandement de l’amour. Vous le faites dans vos familles entre époux et avec vos enfants ; vous le faîtes dans vos paroisses et vos mouvements quand vous donnez généreusement de votre temps pour aider à la vie de vos communautés ; vous le faites dans votre vie sociale quand vous vous engagez pour plus de justice et de générosité. Grâce à vous, notre foi est fortifiée, notre espérance est éclairée. Avec Paul, nous pouvons dire : « Je sais en qui j’ai mis mon espérance et je ne serai pas déçu. »
Au moment où notre société traverse une crise où les incertitudes économiques font ressortir les questions fondamentales sur notre modèle de vie sociale et appellent à nouveau une réflexion sur le sens de la vie humaine, l’Évangile et son programme de justice et d’amour prennent une actualité nouvelle. Un certain nombre de nos contemporains entendent avec plus d’intérêt et plus d’attention celles et ceux qui ne se laissent pas enfermer dans le piège de l’exploitation anarchique du monde pour la satisfaction de leurs désirs immédiats, celles et ceux qui osent poser les questions des finalités : pourquoi l’homme est-il sur la terre et comment peut-il être digne de sa vocation unique ? Catholiques de Paris, dans ce temps de grâce, dans ce moment opportun, ne faillissons pas à notre mission ! Que chacune de nos communautés, -et spécialement nos assemblées dominicales-, soit un flambeau d’espérance dans la grisaille des jours. Que chacune et chacun d’entre nous soit un signe que la promesse de Dieu s’accomplit pour ces temps et en ces lieux.
Thomas, Nicolas, Grégoire, Nathanaël, Thierry, Thierry, Joseph, Luc et Sébastien, Vous commencez votre ministère de prêtre dans une période pleine de promesses. Vivez le comme une grâce particulière au service de l’Église tout entière. Regardez ce peuple qui vous entoure. Il est le signe et le gage que la mission que vous recevez pourra s’accomplir en communion avec lui.
Aux jeunes hommes qui sont ici ce matin, je veux dire encore une fois: l’Église qui est à Paris a besoin de prêtres passionnés par l’annonce de l’Évangile et le service du peuple des chrétiens. Vous pouvez être ces prêtres si vous acceptez tout simplement d’entendre l’appel de Dieu et d’y répondre. En tout cas, moi aujourd’hui je vous y invite sans crainte car je sais que Dieu donne les moyens d’accomplir ce qu’il demande et qu’être prêtre est un chemin de bonheur. « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les mites et les vers font tout disparaître, où les voleurs percent les murs et dérobent.
Là où est ton trésor là aussi est ton coeur. » (Mt. 6, 19.21). Réfléchissez, priez et demandez souvent à Dieu : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »