Par le père Schineller, s.j. Photo : CNS/Paul Haring
Un premier Pape jésuite ! Maintenant que nous nous sommes remis de la surprise et de l’onde de choc que cette nouvelle a suscitées, qu’est-ce que cela signifie ? De quelle façon pouvons-nous dire que le pape François est, à la fois, profondément ignatien et jésuite ? Je vois un lien entre François et Saint Ignace, un lien que François lui-même a reconnu publiquement. On trouve son affirmation originale dans la phrase latine, difficilement traduisible, et que le Pape a utilisée à plusieurs reprises : « Non coerceri maximo, contineri tamen a minimo, divinum est » ce qui signifie « Être contenu par le plus petit, c’est cela qui est divin ».
Cette maxime fut composée en 1640 dans le but de décrire le mieux possible le génie de Saint Ignace, sa capacité à garder ensemble le petit et le grand, le global et le local dans une tension qui, à première vue, les opposent. Saint Ignace, dans sa vision globale et son désir de mettre le feu au monde, a pu passer les seize dernières années de sa vie à travailler dans sa chambre de Rome à écrire la constitution des Jésuites. En ce sens, le spécialiste de la pensée ignatienne Hugo Rahner a écrit à propos de cette maxime « qu’aucune description d’Ignace n’a jamais égalé ces mots ».
Le fait que le pape François cite cette maxime manifeste, je crois, la manière dont il perçoit lui-même sa relation avec l’esprit et le cœur de Saint Ignace. Le pape essaie de garder à l’esprit, à la fois, une vision d’ensemble et des rêves grandioses avec une attention particulière pour les pauvres et ceux qui sont dans les périphéries en étant au service des plus vulnérables et ceux qui sont dans le besoin. Ainsi, dans un essai de 1981 intitulé « Leadership, les petits détails d’une vision globale », Bergoglio écrit que, dans cette même maxime « « Non coerceri maximo, contineri tamen a minimo, divinum est », on trouve un heureux équilibre dans l’attitude à avoir devant les petites et les grandes choses ». Il explique que Saint Ignace était en mesure de combiner la sévérité et la douceur, la rigueur et la gentillesse. Il a toujours été prêt à faire des exceptions. La clef de ce discernement était, dans un premier temps, de savoir juger ce qui est grand et ce qui est petit pour ensuite corriger le grand et le brillant pour qu’il n’oublie pas le petit. C’est de cette façon qu’il est possible de garder à l’esprit le tout, la vision globale.
Dans son livre « Esprit ouvert, cœurs fidèles », écrit alors qu’il était encore Archevêque, Bergoglio parle ainsi contre l’aphasie : « Occasionnellement, cette attitude se révèle en ceux qui élaborent de magnifiques plans sans se soucier des moyens concrets pour les réaliser. De la même manière, on voit cela chez ceux qui deviennent tellement accaparés par les petits détails de chaque moment qu’ils ne peuvent plus voir au-delà de ces derniers et contempler le grand plan de Dieu. Nous faisons bien de rappeler l’épigraphe attribuée à Saint Ignace : « ne pas être accaparé par ce qui est le plus grand alors que nous devons être attentif à ce qui est le plus petit, voilà ce qui est divin ».En juin 2013, le pape François a demandé aux étudiants d’être magnanimes.
« La magnanimité : cette vertu du grand et du petit (Non coerceri maximo contineri minimo, divinum est), qui nous fait toujours regarder l’horizon. Que signifie être magnanime ? Cela veut dire avoir un grand cœur, avoir une grandeur d’âme, cela veut dire avoir de grands idéaux, le désir d’accomplir de grandes choses pour répondre à ce que Dieu nous demande, et précisément pour cela, bien accomplir les choses de chaque jour, toutes les actions quotidiennes, les engagements, les rencontres avec les personnes ; faire les petites choses de chaque jour avec un cœur grand ouvert à Dieu et aux autres. »
Une entrevue avec le pape dans America Magazine intitulée « Un grand cœur ouvert à Dieu » fait écho à cela. En effet, alors qu’on lui demandait « Qu’est-ce que cela signifie d’être un pape jésuite ? le Pape a répondu : « J’ai toujours été très touché par cette phrase qui résume la vision de Saint Ignace et qui affirme : « ne pas se laisser limiter par la grandeur mais être plutôt contenu par ce qui est petit, c’est cela qui est divin ». C’est important de ne pas se laisser restreindre par les grands espaces et c’est important d’être capable de rester dans de petits espaces.
Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, le pape écrit :
« Il faut prêter attention à la dimension globale pour ne pas tomber dans une mesquinerie quotidienne. En même temps, il ne faut pas perdre de vue ce qui est local, ce qui nous fait marcher les pieds sur terre. » (No 234). Il faut toujours élargir le regard pour reconnaître un bien plus grand qui sera bénéfique à tous. (No 235).
Dans l’une de ses prédications de l’Avent 2013, le pape François explique Noël :
« Dans le mystère de Noël, Dieu ne se révèle pas comme Celui qui reste en haut et domine l’univers mais comme celui qui s’humilie, qui descend vers les petits et les pauvres de la terre […] être comme lui signifie ne pas se mettre au-dessus des autres mais plutôt s’humilier nous-mêmes en nous mettant au service des autres, en devenant petit avec les petits et pauvres avec les pauvres… »
En février 2014, en s’adressant aux cardinaux nouvellement créés, le pape François, se référant aux paroles de Saint Paul sur la charité, faisait le lien avec la maxime décrivant Saint Ignace :
« Cela signifie savoir aimer sans limites, mais aussi être fidèles dans les situations particulières et par des gestes concrets. Cela signifie aimer ce qui est grand sans négliger ce qui est petit, vivre les petites choses dans l’horizon des grandes puisque « non coerceri maximo, contineri tamen a minimo divinum est » ».
De mon point de vue, cela est significatif et extraordinaire que le pape François se réfère si souvent à cette maxime. Comme Pape et comme jésuite, il suit l’exemple de Saint Ignace qui travaillait tranquillement dans sa chambre de Rome, écrivant et raffinant les myriades de détails des constitutions de sa communauté tout en envoyant Xavier autour du monde jusqu’aux Indes. Saint Ignace a travaillé avec les rois et les princes, les papes et les évêques mais en même temps il faisait du ministère auprès des petits et des femmes de la rue de Rome.
Le pape François a une vision globale lorsqu’il regroupe neuf cardinaux dans son cabinet pour le conseiller dans sa lutte pour réformer et renouveler la Curie romaine et crée de nouveaux cardinaux provenant des périphéries. Chaque jour, il rencontre des chefs d’États, des chefs d’Église et des leaders du monde. Au même moment, lors de ses visites pastorales, il se rend instinctivement auprès des handicapés, des enfants, des malades et des personnes âgées. Il visite les prisonniers et les soupes populaires. Il voyage simplement dans une Ford Focus. Pour le pape François, comme pour Jésus, l’enfant est à la fois, le dernier et le plus grand. Le faible et l’handicapé sont les plus précieux et les plus importants.
Dans les défis auxquels font face le pape François, Saint Ignace ou n’importe quel leader, ils doivent garder en tête le grand et le global mais ne doivent pas oublier les petits, les pauvres, les personnes dans le besoin c’est-à-dire ceux auxquels Jésus s’identifiait. Personne n’est trop petit. En effet, plus une personne est petite et faible, plus elle interpelle les chrétiens !
L’année de la miséricorde décrétée par le pape François est une façon d’insister et d’encourager les fidèles à suivre le Christ. Ce même Christ qui rejoignait les pauvres et les nécessiteux. Voilà le Christ résumé dans la maxime : « Ne pas se laisser enfermer par ce qui est grand mais plutôt par ce qui est petit, c’est cela qui est divin ».
Père Peter Schineller est un prêtre jésuite de New York. Après avoir enseigné la théologie dans des séminaires américains aux États-Unis (Chicago & Boston) en Afrique de l’Est et de l’Ouest ainsi qu’au Vietnam. Il est aujourd’hui assistant au Centre Jésuite ainsi qu’à la paroisse de langue anglaise Sacred Heart de Amman en Jordanie. (Traduction de l’anglais: Francis Denis)