« Nous n’aimons pas penser à toutes ces fois où nous avons ignoré les pauvres. Je ne suis pas fière de toutes ces fois où j’ai croisé un sans-abri sans lui offrir même la moitié de mon sandwich ». C’est de cette manière dont Kerry Weber, rédactrice en chef du magazine America à New York, décrit sa rencontre avec les marginalisés de la ville dans son livre Mercy in the City. Cette expérience l’a poussé à vivre un carême bien différent des autres.
Nous sommes confrontés à cette même réalité dans chacune de nos villes. À Toronto, par exemple, c’est une réalité qui fait partie de mon quotidien. Chaque jour, ils entrent dans le décor de ma petite routine pour demander de l’argent ou des billets d’autobus aux portes des magasins, sur les coins de rue, à la sortie de l’église ou dans le métro. D’autres n’ouvrent pas la bouche mais ils sont là. Et rares sont les fois où j’arrive à dépasser mes cloisons pour aller à leur rencontre.
Au début de son ouvrage, l’auteur de Mercy in the City cite Saint Basile le Grand. « Le pain que vous ne mangez pas appartient à celui qui a faim; le vêtement que vous ne portez pas appartient à celui qui est nu; les chaussures que vous ne portez pas sont les chaussures de celui qui est nu-pieds; l’or qui vous est inutile, c’est le bien de l’indigent; ces gestes de miséricorde que vous ne pratiquez pas sont tant d’injustices que vous commettez ».
Pour se défaire des obstacles qui la retenait d’être un visage de miséricorde, Kerry Weber a décidé de pratiquer les oeuvres corporelles de miséricorde. Pendant quarante jours (pour son carême) elle donne à manger à des sans-abris, visite des malades, puis des prisonniers, donne à boire à des marathoniens et accueille des étrangers dans son petit appartement. Elle rencontre un fossoyeur pour mieux comprendre le métier d’enterrer les morts. Elle purge sa garde-robe pour une collecte de vêtements.
Elle a avoué que, malgré toutes ces belles intentions, la réalisation de son projet pendant le carême n’était pas si simple. Se réveiller à 5 h30 le matin pour servir le café ne lui apportait pas toujours de la joie. On a mis du temps avant de lui accorder une visite dans un pénitencier et rencontrer l’aumônier. Puis, elle s’est sentie pressée par son échéance d’accomplir les oeuvres au bout de quarante jours… Enfin, après tout ça, elle a compris que la miséricorde c’est d’abord une rencontre avec l’autre et l’occasion d’aimer la personne qui est devant soi. À cela, on ne peut pas mettre d’échéance; il faut que ça devienne un style de vie.
Nous n’avons peut-être pas les moyens – ou quarante jours d’affilés – pour imiter son programme. Mais le pape François recommande que nous pratiquons les oeuvres de miséricorde corporelles (et spirituelles!) au courant de toute l’année jubilaire pour « réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine » (Je vous conseille de lire le blogue de Francis Denis pour en savoir plus sur les oeuvres de miséricorde). L’expérience de Kerry Weber lui a appris que, de toute manière, « Ce qui est plus important en miséricorde c’est d’y répondre le mieux possible là où nous sommes » même si c’est petit et fait dans le silence.
Quel geste de miséricorde poserons-nous cette année ? Comment traduire la miséricorde dans notre quotidien ? Qui sont les personnes dans notre entourage qui ont besoin de faire l’expérience de la miséricorde de Dieu ?