Prier pour aimer

http://www.annegoetze.com/#/france-nun-1/

Détail (taille originale: 40″x30″), Do You Have The Right Soul?, Anne Goetze, France Nun Series

Tante Helen, ou sœur Marguerite Marie, était moniale chez les Visitandines d’Annecy en France jusqu’à sa mort à l’âge de 84 ans. C’était une américaine qui a trouvé refuge dans les bras du monastère hissé sur une colline du village dans les Alpes françaises. Elle a vu sa destinée dès son adolescence. Sœur Marguerite Marie, un jour, s’est rendue compte « qu’elle faisait toujours partie du plan de Dieu… sans vraiment le vouloir – c’est Lui qui agissait tout ce temps ». C’est une parole que nous pouvons retrouver sous la plume du prophète Jérémie: « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations » (Jérémie 1, 5).

Sœur Marguerite Marie était prophète pour son temps en ce sens qu’elle a fait connaitre à sa nièce, Anne Goetze, la vie intérieure non seulement des sœurs d’Annecy mais aussi de chaque être humain. « Ne Le cherche pas en-dehors de toi-même, mais à l’intérieur, car c’est là où tu Le trouveras » (soeur Marguerite Marie). Et c’est ce qui a inspiré Goetze, artiste de profession, à retracer la vie de sa tante au monastère dans une série de photographies documentaires, intitulée « Pray to love » (Prier pour aimer).

En treize canevas, Anne Goetze arrive à peindre les derniers jours de sa tante Helen au monastère et de cette vie, justement, qui l’a soutenu pendant plus de 60 ans. Les années sont passées dans une fidélité à la prière, à l’écriture, aux tâches ménagères, à l’accueil de pèlerins, ou encore des femmes en besoin de repos… Avant le décès de sa tante, Goetze a photographié les sœurs dans leur quotidien. Mais ses photographies, à elles seules, ne réussissaient pas à refléter son expérience plus profonde – même intime – du monastère. Ce n’est qu’après les funérailles de sœur Marguerite Marie, qu’elle a eu recourt à la peinture pour compléter ses tableaux en mêlant une variété de matériaux tactiles à ses photographies. Cette pratique a ralenti son processus de création mais lui a accordé le temps nécessaire pour faire le deuil du décès de sa tante et créer des œuvres qui pouvaient refléter son expérience des sœurs et du monastère.

La vie ne bouge pas si vite dans un monastère ; elle se limite aux activités du quotidien. Elle ne se soucie pas trop non plus du monde qui change à l’extérieur. Ce que nous voyons donc dans les tableaux de Goetze se limite aussi à ces petites occupations. Mais là se trouve le fil conducteur de sa série. La réalité du quotidien, banale et futile, animée par leur foi.

Toute la qualité des tableaux d’Anne Goetze est dans sa technique rapide, spontanée, même parfois accidentée. Elle dit elle-même que certaines de ses œuvres ont été le résultat d’heureuses surprises. Ses photographies, d’abord imprimées en sépia, ne lui servent que de canevas. On ne pourrait non plus qualifier ses canevas de dessins à colorier. Tous les matériaux sont des couches qui viennent s’ajouter aux photographies comme pour faire ressortir la profondeur de leur vie.

Ce qui frappe davantage est la qualité féminine de l’œuvre. Plusieurs éléments contribuent à lui donner cette teinte. À l’évidence, on ne trouve que des figures de femmes. Mais plus que ça, au cœur de leur quotidien, elles expriment des attitudes qui leurs sont propres (non pas que ces attitudes soient réservées uniquement aux femmes). On les surprend dans une conversation intime ou dans un fou rire ; certaines accomplissent des tâches manuelles ; une autre écrit une lettre ou tient un oiseau tendrement dans sa main. « Chacun des enfants de Dieu est comme un oiseau dans les mains tendres de Dieu » (soeur Marguerite Marie). Ces gestes font ressortir ce qui les habite dans ces instants. Elles sont des modèles d’écoute et d’attention, de réalisme, de la capacité à se réjouir avec d’autres, de générosité et de don.

Le monastère à Annecy ne serait rien sans ces vies de femmes pour lui donner son sens. Ce sont elles qui rendent l’œuvre de Goetze un témoignage de sainteté là où l’on ne s’y attendait peut-être pas, lorsqu’on ne pensait même pas le vouloir. La première réaction d’Anne Goetze, lorsqu’elle était jeune fille, à la vue de sa tante derrière les barreaux, en était une d’incompréhension. Comment pouvait-elle trouver son bonheur dans un tel endroit, seule et coupée du monde ? Alors que nous croyons que la plus grande expression d’amour se trouve dans le « faire », elles passent toute leur vie à prier… pour aimer. La soif de trouver une terre d’appartenance est inscrite dans l’âme de toute personne, explique Goetze dans la vidéo « Pray to Love ». Et pour cette artiste, l’arrimage s’est fait en plein cœur d’Annecy.

« D’ouvrir ton cœur est de te mettre dans un état vulnérable, mais ce qui [m’a donné] du courage et de l’audace avec cet énorme travail, c’est que ce n’est pas moi qui est au centre ; c’est l’histoire d’une merveilleuse communauté de femmes qui sont fortes et courageuses. » (Anne Goetze).

Secured By miniOrange