En chemin, apprendre à lire les signes d’amour

Réflexion biblique pour le quatrième dimanche de Carême C

Le chapitre 15 de l’évangile de Luc est souvent surnommé la « collection des perdus et retrouvés » du Nouveau Testament car il débute par la parabole de la brebis perdue (vv. 1-7), suivie par la parabole de la pièce perdue (vv. 8-10), atteignant son apogée dans la parabole du fils prodigue (vv. 11-32).

fils prodigueLe récit du Fils prodigue dans l’évangile de ce dimanche  est l’un de ces joyaux rares qui captive chaque auditeur, cette parabole symbolise les talents de Luc en tant que conteur, son habileté à peindre une scène avec tant d’éclat et de sensibilité dans les relations humaines que cela peut rejoindre l’expérience de chacun. La plupart d’entre nous avons joué chacun de ces rôles, à différents moments de nos vies: celui de parent aimant, apparemment trop indulgent, celui de jeune homme qui a fait ses expériences pour grandir, faible en immoralité et en orgueil, désespérément en manque de miséricorde; celui de fils aîné responsable et au dessus de tout reproche, qui est frustré par la générosité et la clémence en réponse à la faiblesse et aux péchés des autres. Il y a un peu de ces traits de tempérament en chacun de nous, l’unique et merveilleuse parabole de Fils prodigue visait les contemporains de Jésus, des bonnes gens, qui n’appréciaient guère son attitude fraternelle envers les collecteurs d’impôts et les gens de mauvaise réputation.

En 1984, dans son exhortation apostolique Reconciliatio et Pænitentia qui suit le Synode sur la Réconciliation, le pape Jean-Paul II a écrit : « La parabole du fils prodigue est avant tout l’histoire ineffable du grand amour d’un Père – Dieu – qui offre à son fils, revenu à lui, le don de la pleine réconciliation… elle rappelle donc la nécessité d’une profonde transformation des cœurs pour redécouvrir la miséricorde du Père et pour vaincre l’incompréhension et l’hostilité entre frères et sœurs ».

Portraits des trois personnages

Dans le monde juif ancien, le droit d’aîné (être le premier né mâle dans une famille) signifie que le fils aîné a reçu une double part de l’héritage de son père. Par conséquent le plus jeune fils devrait recevoir à peu près le tiers de la valeur de la propriété et des biens de son père. Mais le fait de demander son héritage (v.12) était une insulte grave envers son père, suggérant que ce dernier «met trop de temps à mourir».

Le plus jeune fils part évidemment vers les nations païennes (les Gentils) (v.13), n’ayant aucun respect pour les fermiers juifs, élevant des cochons, un animal qui était considéré comme étant non cachère. Le fils a voyagé longtemps apparemment, s’imaginant qu’il trouverait dans un autre pays le bonheur et l’enthousiasme qu’il n’avait pas trouvés sur sa propre terre. Il se passe exactement le contraire: il est réduit à l’esclavage et est forcé de s’occuper d’animaux impurs et, mal nourri, il commence lentement à mourir de faim (v. 17).

On nous a dit que ce plus jeune garçon avait demandé sa part d’héritage (v. 13). Une fois encore c’est certainement un sens possible du mot grec (ousia), mais c’est aussi le sens de « son être profond». Non seulement le jeune homme abandonne son argent et ses biens avec insouciance mais il s’abandonne lui-même: il «perdit» qui il était et ce qu’il avait.

Nous lisons que le fils cadet «réfléchit »(v.17). Peut-être est-il suffisant de dire que le jeune homme vint à réaliser combien il avait été stupide et donc « reprit ses esprits». C’est le prélude du repentir, même si ce n’est pas le repentir lui-même.

Le père prodigue

Dans la scène poignante, « d’un père qui attend », le vieux propriétaire de ce domaine voit son fils, même lorsque le garçon est encore loin, rentrant lentement à la maison, maladroitement et honteux de son état (v. 20). C’est le père qui fait le premier pas, qui choisit d’aller à sa rencontre, au lieu de l’attendre rentrer en se trainant.

Les agissements du père auraient pu être considérés hautement inappropriés et source de honte. Sa réaction est une surabondance d’amour, de compassion et de tendresse : il «se jette au cou de son fils», l’étreignant et l’embrassant, et exige que lui soient restaurés les symboles de la liberté et de son statut dans la famille – la plus belle robe, les sandales, l’anneau, comme si rien n’était arrivé (v. 22).

En renvoyant son fils. ce père aurait pu très bien être dans son bon droit, se basant sur les actions profondément insultantes et la honte qu’il a causée à sa famille. Nous pouvons seulement imaginer que le village aurait été très hostile au retour du fils cadet. Les familles du village auraient pu avoir peur que leurs cadets suivent la même pente descendante.

La maladie du « tout m’est dû »

La réaction du fils aîné (vv. 25-29) est une indignation légitime: ses paroles sont très claires, bien qu’il ait accompli son devoir filial, il ne l’a pas fait avec amour ou générosité. Au contraire il sent qu’il a été soumis, qu’il a été l’esclave pendant des années de son père sans gestes appropriés de gratitude. Il se centre, non sur ce qui lui est donné, mais sur ce qui lui semble interdit. Il souffre de la terrible maladie du « tout m’est dû »!

Le fils aîné est très concret dans la condamnation du comportement de son frère, parlant de la manière qu’il a «dépensé ton bien avec des filles » (v. 30). Est-ce que les rumeurs concernant les actions de son cadet sont parvenues aux oreilles de sa famille ou est-ce que le frère aîné a imaginé le pire pour son frère, le décrivant dans les termes les plus sévères?

Le fils aîné a « rayé » de son cœur son frère, maintenant il en parle seulement en disant : « ce fils qui est le tien » – il est peut être ton fils, mais il n’est plus mon frère! Il est possible, Jésus dit, de se sentir un fils sans réellement l’être dans son cœur et c’est ce que le fils aîné révèle par sa réaction. N’est-ce pas intéressant de voir que celui que l’on croyait libre se révèle être esclave en restant à la maison de son père, révélant ainsi qu’il se sent un étranger et ne se sentait pas un fils bien-aimé?

Travailler à la réconciliation

Cette parabole émouvante met en lumière deux des principales caractéristiques de Luc: l’accueil de Dieu envers les pécheurs ainsi que les personnes considérées inacceptables socialement et religieusement, et les réjouissances et la célébration qui accompagnent cet accueil qui correspond au repentir auquel Dieu nous invite.

Le père généreux des deux fils accueille le retour de son plus jeune qui a dilapidé son héritage mais ne répudie pas le fils aîné qui conteste la prodigalité de son père et garde encore sa foi en lui. « Fils tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. (v.31) » Le rétablissement du fils « qui était mort et est revenu à la vie », et qui « était perdu et a été trouvé » (v.32), n’invalide pas la fidélité du fils aîné. Le fils cadet, rétabli par les gens de la maison de son père, doit redémarrer une vie fidèle. Réconciliés avec Dieu, les deux fils doivent travailler ensemble leur réconciliation entre eux.

Est-ce que le fils aîné va finalement faire la paix avec son frère et l’accueillir? Trouve-t-il dans le fond de son cœur une place pour pardonner et partager la joie de son père? Ou en fin de compte, se trouve-t-il lui-même encore plus aliéné que son frère cadet? Où est la mère dans toute cette histoire? Quelle fut sa réaction? Nous attendons une conclusion que Jésus ne fera jamais. C’est le sens de ces paraboles : il nous invite à entrer dans l’histoire et à y trouver les réponses pour nos propres vies.

La parabole du «Fils capricieux », du « Père prodigue »  ou du  « Fils aîné indigné » peut nous causer beaucoup de chagrin, car nous y voyons nous-mêmes et nos véritables motivations. Le père prodigue dilapide son propre amour dans notre insignifiance, notre mesquinerie, notre manque d’assurance et notre arrogance.

Lire les signes d’amour

Comme lecture de Carême cette année, j’ai parcouru le petit joyau du livre “Love Alone is Credible” « L’amour seul est digne de foi », par Hans Urs Von Balthasar (Ignatius Press, 2004). Vers la fin du livre, ces paroles m’ont sauté aux yeux :

Une fois qu’une personne apprend à lire les signes de l’amour et ensuite à les croire, l’amour la conduit dans le champ ouvert à l’intérieur où elle peut s’aimer elle-même…. Si le fils prodigue n’avait pas cru que l’amour de son père était déjà là à l’attendre, il n’aurait pas été capable de faire le trajet de retour à la maison, même si l’amour de son père l’accueille d’une façon à laquelle il n’avait jamais rêvée. La chose décisive est que le pécheur a entendu parler d’un amour qui pourrait être, et qui est réellement là pour lui; il n’est pas celui qui doit s’apporter lui-même dans la ligne avec Dieu; Dieu a déjà vu en lui le pécheur en recherche d’amour, un enfant bien aimé et l’a regardé et lui a conféré sa dignité dans la lumière de cet amour. p. 103

Le ministère de réconciliation qui nous est confié

La seconde lecture de saint Paul (2 Cor 5, 17-21) résume parfaitement la parabole du Fils Prodigue de l’évangile magistral de Luc. Paul essaie d’expliquer la signification de l’action réconciliatrice de Dieu par une variété de catégories différentes; son attention nous garde en mouvement de va et vient de l’action de Dieu à son propre ministère aussi. Si nous sommes réconciliés avec Dieu, avec nous-mêmes et avec les autres, et si nous encourageons la réconciliation à Dieu dans la société, nous pouvons être des ambassadeurs du Prince de la Paix convaincants. Comme Dieu a pris l’initiative d’envoyer son fils pour réconcilier le monde, ainsi il attend que nous prenions l’initiative de restaurer l’harmonie dans un monde brisé, dans des familles blessées, et souvent dans une Église divisée.

En ce quatrième dimanche de Carême, puissions-nous, nous qui avons été si souvent pardonnés, embrasser comme des frères et sœurs chaque pécheur qui se joint à nous dans la fête du pardon lorsque nous célébrons la liturgie de l’Eucharistie. Tout au long de notre marche de Carême accompagnée du Père, puisse un chant de gratitude et de joie éclater dans la sècheresse de nos cœurs. Puisse Dieu nous enseigner à lire les signes d’amour dans le monde d’aujourd’hui, et satisfaire nos cœurs par la Parole qui nous envoie sur nos chemins de réconciliation et de paix.

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