Actes 2,42-47
1 Pierre 1,3-9
Jean 20,19-31
Le nom de « Thomas » désigne encore aujourd’hui celui qui n’accepte de croire que ce qu’il a vu de ses yeux, l’incrédule, le « sceptique ». « Thomas l’incrédule » renvoie évidemment à l’un des Douze, dont le nom figure dans toutes les listes d’apôtres que donnent les évangiles. Thomas est appelé « Didyme », forme grecque d’un terme araméen qui désigne « le jumeau ». Quand Jésus annonça qu’il avait l’intention de retourner en Judée visiter Lazare, Thomas dit aux autres disciples : « Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui » (Jean 11,16). C’est encore Thomas qui, pendant le grand discours qui suivit la dernière Cène, souleva une objection : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas; comment pourrions-nous savoir le chemin? » (Jean 14,5)
Le Nouveau Testament ne nous en apprend pas beaucoup plus sur l’apôtre Thomas; néanmoins, à cause du passage tiré aujourd’hui de l’évangile de Jean (Jean 20,19-31), sa personnalité nous est plus familière que celle de plusieurs des Douze. Thomas aura reçu l’enseignement de Jésus et il aura sûrement été bouleversé par sa mort. Le soir de Pâques, quand le Seigneur apparut aux disciples, Thomas n’y était pas. Quand on lui dit que Jésus était vivant et qu’il s’était manifesté, Thomas déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas » (Jean 20,25). Huit jours plus tard, Thomas fit son acte de foi et se mérita une observation de Jésus : « Parce que tu m’as vu, tu crois; heureux ceux qui croiront sans avoir vu ».
Le vrai Thomas
L’apôtre Thomas est l’un des plus grands amis et l’un des plus honnêtes disciples de Jésus, non pas l’éternel sceptique, l’entêté crâneur qu’en a fait souvent la tradition chrétienne. Ce jeune apôtre s’est retrouvé devant la croix, incapable de trouver un sens à l’horreur de l’événement. Tous ses rêves, tous ses espoirs pendaient à cette croix. C’est au sein de la communauté croyante des apôtres et des disciples que Thomas a redécouvert sa foi. Voilà une chose qu’il ne faut jamais oublier, surtout à une époque où tant de gens prétendent qu’on peut arriver à la foi et à la vie spirituelle sans vivre l’expérience de la communauté ecclésiale. Nous ne croyons pas chacune, chacun pour soi, en individus isolés; non, par le baptême, nous devenons membres de la grande famille de l’Église. C’est précisément la foi professée par la communauté que nous appelons l’Église qui vient renforcer notre foi personnelle. Chaque dimanche à la messe, nous professons ensemble notre foi soit selon la formule du credo de Nicée, soit avec les mots du symbole des Apôtres. Ce faisant, nous sommes préservés du danger de croire en un dieu qui ne serait pas celui que le Christ nous a révélé.
La foi n’est pas un acte isolé
N’oublions pas le numéro 166 du Catéchisme de l’Église catholique. « La foi est un acte personnel : la réponse libre de l’homme à l’initiative de Dieu qui se révèle. Mais la foi n’est pas un acte isolé. Nul ne peut croire seul, comme nul ne peut vivre seul. Nul ne s’est donné la foi à lui-même comme nul ne s’est donné la vie à lui-même. Le croyant a reçu la foi d’autrui, il doit la transmettre à autrui. Notre amour pour Jésus et pour les hommes nous pousse à parler à autrui de notre foi. Chaque croyant est ainsi comme un maillon dans la grande chaîne des croyants. Je ne peux croire sans être porté par la foi des autres, et par ma foi, je contribue à porter la foi des autres. »
Le dimanche de la divine miséricorde
Le dimanche de la divine miséricorde célèbre l’amour miséricordieux de Dieu, qui resplendit dans le Triduum pascal et dans tout le mystère de Pâques. Cette fête reprend une ancienne tradition liturgique, dont on trouve un écho dans un enseignement attribué à saint Augustin au sujet de l’Octave de Pâques; Augustin parlait de la semaine de Pâques comme des « jours de la miséricorde et du pardon » et du jour même de l’Octave comme du « condensé des jours de la miséricorde ».
L’intérêt du pape Jean-Paul II pour la miséricorde divine remonte à sa jeunesse à Cracovie, dans la Pologne occupée de la Deuxième Guerre mondiale, quand Karol Wojtyla fut témoin de tant de souffrance et de cruauté. Il y a vu les rafles : des centaines, des milliers de personnes ramassées pour être enfermées dans les camps de concentration et asservies aux travaux forcés. Dans sa ville natale de Wadowice, il comptait plusieurs amis juifs qui disparurent dans la Shoah. C’est pendant ces années de terreur que Karol Wojtyla décida d’entrer au séminaire clandestin du cardinal Sapieha, à Cracovie. Oui, il a vécu le besoin de la miséricorde de Dieu et le besoin qu’a l’humanité de pratiquer la miséricorde mutuelle. Au séminaire, il fit la connaissance d’un autre séminariste, Andrzej Deskur (il deviendra un jour cardinal) qui lui exposa le message de la divine miséricorde tel qu’il avait été révélé à une religieuse mystique polonaise, S. Maria Faustyna Kowalska, morte en 1938 à l’âge de 33 ans.
Le pape de la divine miséricorde
Dès le début de son pontificat, en 1980, le pape Jean-Paul II consacra toute une encyclique au thème de la miséricorde divine (Dives in Misericordia – Dieu riche en miséricorde) pour bien montrer que le cœur de la mission de Jésus Christ a été de révéler l’amour miséricordieux du Père. En 1993, quand le pape Jean-Paul II béatifia Sœur Faustyna Kowalska, il déclara dans son homélie : « Sa mission se poursuit et donne un fruit étonnant. Il est vraiment merveilleux de voir comment sa dévotion à Jésus miséricordieux se répand dans le monde contemporain et gagne de plus en plus de cœurs!»
Quatre ans plus tard, en 1997, le Saint Père se rendit sur la tombe de la Bienheureuse Faustyna à Lagiewniki, en Pologne; son message ne manquait pas de force : « Il n’y a rien dont l’homme ait un plus grand besoin que de la divine miséricorde… De là jaillit le message de miséricorde que le Christ lui-même a choisi de transmettre à notre génération par l’entremise de la Bienheureuse Faustyna. »
En 2000, l’année du Jubilé, le pape Jean-Paul II canonisa S. Faustyna; elle devenait ainsi la première sainte du nouveau millénaire; du même coup, le pape instituait dans l’Église universelle le Dimanche de la divine miséricorde, célébré désormais le deuxième dimanche de Pâques. À l’homélie, il affirma : « Jésus montre ses mains et son côté. C’est-à-dire qu’il montre les blessures de la Passion, en particulier la blessure du cœur, source d’où jaillit la grande vague de miséricorde qui se déverse sur l’humanité. »
Un an plus tard, dans son homélie pour le Dimanche de la divine miséricorde 2001, le pape présentait le message de la miséricorde confié à sainte Faustyna comme « la réponse adéquate et incisive que Dieu a voulu offrir aux hommes de notre temps, marqué par d’immenses tragédies… La Miséricorde divine! Voilà le don pascal que l’Église reçoit du Christ ressuscité et qu’il offre à l’humanité, à l’aube du troisième millénaire. »
De retour à Lagiewniki, en Pologne, en 2002, lors de la dédicace du nouveau Sanctuaire de la Divine Miséricorde, le Saint Père consacra le monde entier à la miséricorde divine : « Je le fais avec le désir que le message de l’amour miséricordieux de Dieu, proclamé ici à travers sainte Faustyna, atteigne tous les habitants de la terre et remplisse leur cœur d’espérance. »
Dans l’allocution qu’il prononça au Regina Cœli du dimanche 23 avril, le pape Benoît XVI déclara : « Le mystère de l’amour miséricordieux de Dieu est placé au centre du Pontificat de mon vénéré prédécesseur. » Et la Providence a voulu que cette année, le jour même du Dimanche de la divine miséricorde, le pape Benoît XVI proclame bienheureux son prédécesseur le pape Jean-Paul II, grand apôtre et ambassadeur de la miséricorde divine.
La miséricorde est notre sceau
Il faut nous poser la question : qu’y a-t-il de nouveau dans ce message sur la miséricorde divine? Pourquoi le pape Jean-Paul II a-t-il tant insisté sur cet aspect de l’amour de Dieu à notre époque? Cette dévotion ne reprend-elle pas le culte du Sacré Cœur de Jésus? La miséricorde est une vertu chrétienne importante, très différente de la justice et de la rétribution. Tout en reconnaissant la douleur de la blessure et les raisons qui justifient le châtiment, la miséricorde adopte une approche différente pour remédier à la situation. La miséricorde s’efforce de changer radicalement la condition et l’âme de l’agresseur pour qu’il résiste au mal : c’est souvent en lui révélant l’amour et sa propre beauté qu’elle y arrive. Si une punition est appliquée, elle doit l’être pour le salut, et non par souci de vengeance ou de rétribution. C’est là une question très embrouillée aujourd’hui et un message des plus complexes… mais il n’y a pas d’autre façon d’aller de l’avant et de devenir levain dans la pâte du monde d’aujourd’hui, d’être vraiment sel et lumière au sein d’une culture qui a perdu la saveur de l’Évangile et la lumière du Christ.
Là où dominent la haine et la soif de vengeance, là où la guerre n’apporte que mort et souffrance aux innocents, là où la violence détruit un nombre incalculable de vies innocentes, il faut la grâce de la miséricorde pour replacer le cœur et l’esprit humain et pour susciter la guérison et la paix. Partout où font défaut le respect de la vie et de la dignité humaine, l’amour miséricordieux de Dieu est indispensable car c’est à sa lumière que nous percevons la valeur inexprimable de chaque être humain. La miséricorde est nécessaire pour mettre un terme à toutes les injustices dans le monde. Le message de la miséricorde, c’est que Dieu nous aime, qu’il nous aime toutes et tous, si grands que soient nos péchés. La miséricorde de Dieu est plus grande que nos péchés si bien que nous pouvons faire appel à Lui avec confiance, recevoir sa miséricorde et la laisser couler en nous et à travers nous jusqu’aux autres. Au fond, la miséricorde comprend la faiblesse, elle est la capacité de pardonner.
L’apôtre de la divine miséricorde
Dans son ministère sacerdotal et épiscopal, et en particulier pendant tout son pontificat, le pape Jean-Paul II a prêché la miséricorde de Dieu, il a écrit sur elle et, surtout, il l’a vécue. Il a pardonné à l’homme qui avait été choisi pour l’assassiner, place Saint-Pierre. Le pape qui avait été témoin du scandale des divisions entre chrétiens et des atrocités commises contre le peuple juif fit tout ce qu’il put pour guérir les blessures causées par les conflits du passé entre les catholiques et les autres églises chrétiennes et, en particulier, avec le peuple juif.
Aujourd’hui, en ce jour où l’Église proclame bienheureux ce grand apôtre de la miséricorde et de la paix, c’est avec beaucoup d’affection et une profonde gratitude que je me rappelle les paroles émouvantes qu’il prononça à la fin de la messe de la Journée mondiale de la Jeunesse 2002, au parc Downsview de Toronto. Ces paroles nous rappellent l’importance et la nécessité de la miséricorde dans l’Église d’aujourd’hui :
« Aux heures difficiles de la vie de l’Église, la poursuite de la sainteté devient d’autant plus urgente. Et la sainteté n’est pas affaire d’âge; la sainteté est affaire de vie dans l’Esprit Saint… Ne laissez pas mourir l’espérance! Misez votre vie sur elle… Car nous ne sommes pas la somme de nos faiblesses et de nos échecs; nous sommes la somme de l’amour du Père pour nous et de la capacité que nous avons de devenir l’image de son Fils. »
Prions aujourd’hui dans la joie et la gratitude :
Seigneur, toi qui es riche en miséricorde
et qui as voulu que le Bienheureux Jean-Paul II
préside comme pape à ton Église universelle,
accorde-nous, nous t’en prions, qu’instruits par son enseignement,
nous puissions ouvrir nos cœurs à la grâce salvifique du Christ,
seul rédempteur de l’humanité,
qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu pour les siècles des siècles.