Église Saint-François de Quito
mardi 7 juillet
Chers amis :
Cela me réjouit de pouvoir être avec vous, hommes et femmes, qui représentez et dynamisez la vie sociale, politique et économique du pays.
Juste avant d’entrer dans l’église, Monsieur le maire m’a remis les clefs de la ville. Ainsi je peux dire qu’ici, à San Francisco de Quito, je suis à la maison. La marque de confiance et d’affection dont vous faites preuve, en m’ouvrant les portes, me permet de vous présenter quelques clés de la cohabitation citoyenne à partir de la vie familiale.
Notre société gagne quand chaque personne, chaque groupe social, se sent vraiment à la maison. Dans une famille, les parents, les grands-parents, les enfants sont de la maison ; personne n’est exclu. Si l’un d’eux a une difficulté, même grave, bien qu’il l’ait cherchée, les autres vont à son secours, le soutiennent ; sa douleur est partagée par tous. Ne devrait-il pas en être de même dans la société ? Et, cependant, nos relations sociales ou bien le jeu politique, souvent se fondent sur la confrontation, sur le rejet. Ma position, mon idée, mon projet se consolident si je suis capable de vaincre l’autre, de m’imposer. Est-ce être famille cela ? Dans les familles, tous contribuent au projet commun, tous travaillent pour le bien commun, mais sans annihiler chaque membre ; au contraire, ils le soutiennent, ils le promeuvent. Les joies et les peines de chacun sont assumées par tous. C’est cela être famille ! Si nous pouvions voir l’adversaire politique, le voisin de maison du même œil que nos enfants, nos épouses ou époux, nos pères ou nos mères. Aimons-nous notre société ? Aimons-nous notre pays, la communauté que nous essayons de construire ? L’aimons-nous seulement par les concepts spéculatifs, en théorie ? Aimons-la à travers les œuvres plus que par les paroles ! En chaque personne, dans le concret, dans la vie que nous partageons. L’amour tend toujours à la communication, jamais à l’isolement.
À partir de cette affection, surgiront des gestes simples qui renforcent les liens personnels. En diverses occasions, je me suis référé à l’importance de la famille comme cellule de la société. Dans le cercle familial, les personnes reçoivent les valeurs fondamentales d’amour, de fraternité et de respect mutuel qui se traduisent dans des valeurs sociales essentielles : la gratuité, la solidarité et la subsidiarité.
Pour les parents, tous leurs enfants, bien que chacun ait son propre caractère, sont objet d’amour sans distinction. En revanche, l’enfant, quand il se refuse à partager ce qu’il reçoit gratuitement d’eux, rompt cette relation. L’amour des parents l’aide à sortir de son égoïsme pour apprendre à vivre ensemble avec les autres, à céder, pour s’ouvrir à l’autre. Au niveau social, cela suppose d’assumer que la gratuité n’est pas un complément mais une condition requise de la justice. Ce que nous sommes et ce que nous avons nous a été confié pour que nous le mettions au service des autres ; notre tâche consiste à le faire fructifier dans des œuvres de bien. Les biens sont destinés à tous, et même si quelqu’un fait étalage de sa propriété, une hypothèque sociale pèse toujours sur celle-ci. On dépasse ainsi le concept économique de justice, fondé sur le principe d’un contrat d’achat et de vente, avec le concept de justice sociale qui défend le droit fondamental de la personne à une vie digne. L’exploitation des ressources naturelles, si abondantes en Équateur, ne doit pas viser le bénéfice immédiat. Être administrateurs de cette richesse que nous avons reçue nous engage envers la société dans son ensemble et envers les générations futures, à qui nous ne pourrons pas léguer ce patrimoine sans une adéquate sauvegarde de l’environnement, sans une conscience de gratuité qui germe de la contemplation du monde créé. Aujourd’hui nous accompagnent ici des frères de peuples autochtones, provenant de l’Amazonie équatorienne, cette zone est l’une des « plus riches en variétés d’espèces, [en] espèces endémiques rares ou ayant un faible degré de protection effective…..[Ces zones] requièrent une protection particulière à cause de leur énorme importance pour l’écosystème mondial [car elles ont] une biodiversité d’une énorme complexité, presqu’impossible à répertorier intégralement, mais quand ces forêts sont brûlées ou rasées pour développer des cultures, d’innombrables espèces disparaissent en peu d’années, quand elles ne se transforment pas en déserts arides » (Laudato si’, n. 37-38). Là, l’Équateur – avec d’autres pays ayant des régions amazoniennes – a une opportunité pour exercer la pédagogie d’une écologie intégrale. Nous avons reçu le monde comme héritage de nos parents, mais aussi comme prêt auprès des générations futures à qui nous devons le rendre !
De la fraternité vécue en famille, naît la solidarité dans la société, qui ne consiste pas uniquement à donner à qui est dans le besoin, mais à être responsable les uns des autres. Si nous voyons dans l’autre un frère, personne ne peut demeurer exclu, écarté.
Comme beaucoup de peuples latino-américains, l’Équateur expérimente aujourd’hui de profonds changements sociaux et culturels, de nouveaux défis qui requièrent la participation de tous les acteurs sociaux. La migration, la concentration urbaine, le consumérisme, la crise de la famille, le manque de travail, les poches de pauvreté produisent une incertitude et des tensions qui constituent une menace à la cohabitation sociale. Les normes et les lois, ainsi que les projets de la communauté civile, doivent rechercher l’inclusion, ouvrir des espaces de dialogue, de rencontre et ainsi abandonner comme un douloureux souvenir toute forme de répression, le contrôle démesuré et la restriction des libertés. L’espérance d’un meilleur avenir passe par l’offre d’opportunités réelles aux citoyens, spécialement aux jeunes, à travers la création d’emploi, avec une croissance économique qui arrive à tous, et ne reste pas dans les statistiques macroéconomiques, avec un développement durable qui génère un tissu social ferme et un bien de cohésion.
Enfin, le respect de l’autre qui s’apprend en famille se traduit dans le domaine social par la subsidiarité. Présumer que notre option n’est pas nécessairement l’unique légitime est un exercice sain d’humilité. En reconnaissant ce qui est bon dans les autres, y compris avec leurs limitations, nous voyons la richesse que renferme la diversité et la valeur de la complémentarité. Les hommes, les groupes ont le droit de parcourir leur chemin, bien que parfois cela suppose de commettre des erreurs. Dans le respect de la liberté, la société civile est appelée à promouvoir chaque personne et chaque agent social pour qu’ils puissent assumer leur propre rôle et contribuer avec leur spécificité au bien commun. Le dialogue est nécessaire, fondamental, pour arriver à la vérité, qui ne peut pas être imposée, mais doit être recherchée avec sincérité et avec un esprit critique. Dans une démocratie participative, chacune des forces sociales, les groupes indigènes, les afro-équatoriens, les femmes, les regroupements de citoyens et tous ceux qui travaillent pour la communauté dans les services publics sont des protagonistes indispensables dans ce dialogue. Les murs, les cours intérieures et les cloîtres de ce lieu le disent avec une plus grande éloquence : reposant sur des éléments de la culture inca et caranqui, la beauté de leurs proportions et de leurs formes, la hardiesse de leurs différents styles combinés de manière remarquable, les œuvres d’art qui reçoivent le nom de ‘‘école de Quito’’, condensent un dialogue étendu, avec des réussites et des erreurs, de l’histoire équatorienne. L’aujourd’hui est plein de beauté, et même s’il est certain que par le passé il y a eu des maladresses et des violations – : comment le nier! – nous pouvons affirmer que l’ensemble irradie tant d’exubérance qui nous permet de regarder l’avenir avec beaucoup d’espérance.
L’Église aussi veut collaborer dans la recherche du bien commun, à travers ses activités sociales, éducatives, en promouvant les valeurs éthiques et spirituelles, en étant un signe prophétique qui apporte un rayon de lumière et d’espérance à tous, spécialement à ceux qui sont le plus dans le besoin.
Merci beaucoup d’être ici, de m’écouter, je vous demande s’il vous plaît, de porter mes paroles d’encouragement aux groupes que vous représentez dans les divers secteurs sociaux. Que le Seigneur accorde à la société civile que vous représentez d’être toujours ce lieu adéquat où ces valeurs sont vécues.