Homélie du pape François lors de la Messe du jubilé des malades

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« Avec le Christ, je suis crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 19-20). L’apôtre Paul utilise des mots très forts pour exprimer le mystère de la vie chrétienne : tout est résumé dans le dynamisme pascal de mort et de résurrection, reçu dans le Baptême. En effet, avec l’immersion dans l’eau, c’est comme si chacun était mort et enseveli avec le Christ (cf. Rm 6, 3-4), tandis que, lorsqu’il en émerge, il manifeste la vie nouvelle dans l’Esprit Saint. Cette condition de renaissance touche l’existence tout entière, dans chacun de ses aspects : la maladie, la souffrance et la mort sont aussi insérées dans le Christ, et trouvent en lui leur ultime sens. Aujourd’hui, en la journée jubilaire consacrée à ceux qui portent les signes de la maladie et du handicap, cette Parole de vie trouve dans notre Assemblée une résonnance particulière.

En réalité, tous, tôt ou tard, nous sommes appelés à nous confronter – parfois à nous affronter – à la fragilité et aux maladies en nous-mêmes et chez les autres. Et que de visages différents prennent ces expériences si typiquement et dramatiquement humaines ! En tout cas, de manière plus aiguë et pressante, elles posent une interrogation sur le sens de l’existence. Une attitude cynique peut aussi gagner notre esprit, comme si tout pouvait se résoudre en supportant ou en comptant seulement sur nos propres forces. D’autres fois, au contraire, toute la confiance se reporte sur les découvertes de la science, en pensant que sûrement quelque part dans le monde, il existe un médicament à même de guérir la maladie. Malheureusement, il n’en est pas ainsi, et même s’il y avait un tel médicament, il serait accessible à très peu de personnes.

La nature humaine, blessée par le péché, porte inscrite en elle-même la réalité de la limite. Nous connaissons l’objection qui, surtout ces temps-ci, est soulevée face à une existence marquée par de fortes limitations physiques. On considère qu’une personne malade ou portant un handicap ne peut pas être heureuse, parce qu’elle est incapable de mener le style de vie imposé par la culture du plaisir et du divertissement. À cette époque où un certain soin du corps est devenu un mythe de masse et donc une affaire économique, ce qui est imparfait doit être masqué, parce que cela porte atteinte au bonheur et à la sérénité des privilégiés et met en crise le modèle dominant. Il vaut mieux maintenir ces personnes séparées, dans une ‘‘enceinte’’ – peut-être dorée – ou dans les ‘‘réserves’’ du piétisme et de l’assistantialisme, afin qu’elles n’entravent pas le rythme du faux bien-être. Dans certains cas, on soutient même qu’il vaut mieux s’en débarrasser le plus tôt possible, parce qu’elles deviennent un poids économique insoutenable en un temps de crise. Mais, en réalité, quelle illusion vit l’homme d’aujourd’hui lorsqu’il ferme les yeux face à la maladie et au handicap ! Il ne comprend pas le vrai sens de la vie, qui comporte aussi l’acceptation de la souffrance et de la limite. Le monde ne devient pas meilleur, parce que composé uniquement de personnes apparemment ‘‘parfaites’’, pour ne pas dire “maquillées”, mais lorsque la solidarité entre les hommes, l’acceptation réciproque et le respect croissent. Comme sont vraies les paroles de l’apôtre : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort » (1 Co 1, 27) !

L’Évangile de ce dimanche (Lc 7, 36-8, 3), présente également une situation particulière de faiblesse. La femme pécheresse est jugée et marginalisée, tandis que Jésus l’accueille et la défend : « Elle a montré beaucoup d’amour » (v. 47). Voilà la conclusion de Jésus, attentif à la souffrance et aux pleurs de cette personne. Sa tendresse est signe de l’amour que Dieu réserve à ceux qui souffrent et sont exclus. Il n’y a pas que la souffrance physique ; aujourd’hui, l’une des plus fréquentes pathologies est aussi celle qui touche l’esprit. C’est une souffrance qui touche l’esprit et le rend triste parce qu’il est privé d’amour. La pathologie de la tristesse. Lorsqu’on fait l’expérience de la déception ou de la trahison dans les relations importantes, alors on se découvre vulnérables, faibles et sans défense. La tentation de se replier sur soi devient très forte, et l’on risque de perdre l’occasion de la vie : aimer malgré tout. Aimer malgré tout !

Le bonheur que chacun désire, par ailleurs, peut s’exprimer de tant de manières et peut être atteint uniquement si nous sommes capables d’aimer. C’est cela la route. C’est toujours une question d’amour, il n’y a pas d’autre voie. Le vrai défi est celui de qui aime le plus. Que de personnes avec un handicap et souffrantes s’ouvrent de nouveau à la vie dès qu’elles découvrent qu’elles sont aimées ! Et que d’amour peut jaillir d’un cœur même seulement pour un sourire ! La thérapie du sourire. Alors, la fragilité elle-même peut devenir un réconfort et un soutien à notre solitude. Jésus, dans sa passion, nous a aimés jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1) ; sur la croix, il a révélé l’Amour qui se donne sans limites. Que pourrions-nous reprocher à Dieu pour nos infirmités et nos souffrances qui ne soit déjà imprimé sur le visage de son Fils crucifié ? À sa souffrance physique, s’ajoutent la dérision, la marginalisation et la commisération, tandis qu’il répond par la miséricorde qui accueille tous et pardonne à tous : « par ses blessures, nous sommes guéris » (Is 53, 5 ; 1P 2, 24). Jésus est le médecin qui guérit avec le médicament de l’amour, parce qu’il prend sur lui notre souffrance et la rachète. Nous savons que Dieu sait comprendre nos infirmités, parce que lui-même les a éprouvées personnellement (cf. He 4, 15).

La manière dont nous vivons la maladie et le handicap est un indice de l’amour que nous sommes disposés à offrir. La manière dont nous affrontons la souffrance et la limitation est un critère de notre liberté de donner sens aux expériences de la vie, même lorsqu’elles nous semblent absurdes et imméritées. Ne nous laissons pas troubler, par conséquent, par ces épreuves (cf. 1 Th 3, 3). Sachons que dans la faiblesse nous pouvons devenir forts (cf. 2 Co 12, 10), et recevoir la grâce de compléter en nous ce qui manque aux souffrances du Christ, en faveur de l’Église son corps (cf. Col 1, 24) ; un corps qui, à l’image de celui du Seigneur ressuscité, garde les plaies, signe de la lutte dure, mais qui sont des plaies transfigurées pour toujours par l’amour.

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