Chers amis,
Je me réjouis de pouvoir être avec vous, les représentants de la société civile, pour partager des rêves et des espoirs d’un avenir meilleur. Je remercie Mgr Adalberto Martínez Flores, Secrétaire de la Conférence Épiscopale du Paraguay pour les paroles de bienvenue qu’il m’a adressées au nom de tous.
Vous voir tous, chacun provenant d’un secteur, d’une organisation de cette chère société paraguayenne, avec ses joies, ses préoccupations, ses luttes et ses recherches, m’amène à rendre grâce à Dieu. Un peuple qui ne maintient pas vivantes ses préoccupations, est peuple qui vit dans l’inertie de l’acceptation passive, c’est un peuple mort. Au contraire, je vois en vous la sève d’une vie qui court et qui veut germer. Cela, Dieu le bénit toujours. Dieu est toujours en faveur de tout ce qui aide à relever, à améliorer la vie de ses enfants. Il y a des choses qui sont mauvaises, certes ! Il y a des situations injustes, certes ! Mais de les voir et de les sentir, cela m’aide à renouveler l’espérance dans le Seigneur qui continue d’agir au milieu de son peuple. Vous venez de divers horizons, situations et recherches, tous ensemble vous formez la culture paraguayenne. Vous êtes tous nécessaires dans la recherche du bien commun. « Dans les conditions actuelles de la société mondiale, où il y a tant d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les personnes marginalisées » (Laudato si’, n. 158), vous voir ici est un cadeau.
Je voudrais remercier aussi les personnes qui ont posé des questions, puisqu’à travers elles, j’ai pu voir, avant tout, votre engagement à travailler unis et sans relâche pour le bien de la patrie.
1. Par rapport à la première question, cela m’a plu d’écouter de la bouche d’un jeune la préoccupation de faire en sorte que la société soit un espace de fraternité, de justice, de paix et de dignité pour tous. La jeunesse est le temps de grands idéaux. Comme c’est important que vous les jeunes, vous compreniez que le vrai bonheur passe par la lutte pour un monde plus fraternel ! Comme il est bon que vous les jeunes, vous voyiez que bonheur et plaisir ne sont pas synonymes, mais que le bonheur exige l’engagement et le dévouement. Vous êtes trop précieux pour parcourir le chemin de la vie comme des anesthésiés ! Le Paraguay a une population très jeune et c’est une grande richesse. C’est pourquoi je pense que la première chose à faire est d’éviter que cette force, cette lumière, s’éteigne dans vos cœurs et de contrecarrer la mentalité croissante qui considère qu’il est inutile et absurde d’aspirer à des choses qui valent la peine, d’aspirer à jouer pour quelque chose, à jouer pour quelqu’un. N’ayez pas peur de tout donner sur le terrain de jeu. N’ayez pas peur de donner le meilleur de vous-mêmes.
Mais ne le faites pas seuls. Cherchez à échanger, profitez-en pour écouter la vie, les histoires, les contes de vos aînés, de vos grands-parents. Passez beaucoup de temps à écouter tout ce qu’ils ont de bon à enseigner. Ils sont les gardiens de ce patrimoine spirituel de foi et de valeurs qui définissent un peuple et éclairent son chemin. Trouvez aussi une consolation dans la force de la prière, en Jésus, dans sa présence quotidienne et constante. Il ne déçoit pas. Jésus, à travers la mémoire de votre peuple, est le secret pour que votre cœur se maintienne toujours en joie dans la recherche de fraternité, de justice, de paix et de dignité pour tous.
La poésie de Charles Miguel Giménez, que Mgr Adalberto Martínez a citée, m’a plu. Je crois qu’elle résume très bien ce que j’ai voulu dire : Je [rêve] d’un paradis sans guerre entre frères, riche d’hommes sains d’âme et de coeur….et d’un Dieu qui bénit sa nouvelle ascension. Oui, Dieu est la garantie de notre dignité d’hommes.
2. La deuxième question s’est référée au dialogue comme moyen pour forger un projet de nation qui inclue tout un chacun. Effectivement le dialogue n’est pas facile. Elles sont nombreuses, les difficultés qu’il faut vaincre et, parfois, il semble que nous nous entêtions à rendre les choses plus difficiles encore. Pour qu’il y ait dialogue il faut une base fondamentale. Le dialogue présuppose, exige de nous la culture de la rencontre. Une rencontre qui sache reconnaître que la diversité n’est pas seulement bonne, mais qu’elle est nécessaire. Par conséquent, le point de départ ne peut pas être que l’autre est dans l’erreur. Le bien commun se recherche à partir de nos différences en laissant toujours des possibilités à de nouvelles alternatives. C’est-à-dire qu’il cherche quelque chose de nouveau. Ne pas retirer chacun ‘‘son épingle du jeu’’, mais ensemble, discuter, penser une meilleure solution pour tous. Bien souvent, cette culture de la rencontre se trouve prise dans un conflit. C’est logique et pas surprenant. Nous ne devons pas le craindre ou l’ignorer, tout au contraire, nous sommes invités à l’assumer. Cela signifie « accepter de supporter le conflit, …le résoudre et ….le transformer en un maillon d’un nouveau processus » (Evangelii gaudium, n. 227). Car « l’unité est supérieure au conflit » (Id., n. 228). Une unité qui ne rompt pas les différences, mais les vit en communion à travers la solidarité et la compréhension. En essayant de comprendre les raisons de l’autre, son expérience, ses désirs ardents, nous pourrons voir qu’en grande partie ce sont des aspirations communes. C’est la base de la rencontre : tous nous sommes frères, enfants du même Père céleste, et chacun avec sa culture, sa langue, ses traditions, a beaucoup à apporter à la communauté. Les vraies cultures ne se replient pas sur elles-mêmes, mais elles sont appelées à rencontrer d’autres cultures et à créer de nouvelles réalités. Sans cette condition essentielle, sans cette base de fraternité, il sera très difficile d’arriver au dialogue. Si quelqu’un considère qu’il y a des personnes, des cultures, des situations de deuxième, de troisième ou quatrième catégorie…. pour sûr, quelque chose ira mal parce qu’il manque simplement le minimum, la reconnaissance de la dignité de l’autre.
3. Et cela me permet de répondre à l’inquiétude manifestée dans la troisième question : accueillir le cri des pauvres pour construire une société plus inclusive. Un élément fondamental pour promouvoir les pauvres réside dans la manière dont nous les voyons. Un regard idéologique, qui finit par les utiliser au service d’autres intérêts politiques ou personnels (Evangelii gaudium, n. 199), ne sert pas. Pour chercher effectivement leur bien, la première chose est d’avoir une vraie préoccupation pour leur personne, de les valoriser dans ce qu’ils ont de bon eux-mêmes. Mais une évaluation réelle exige d’être disposé à apprendre d’eux. Les pauvres ont beaucoup à nous enseigner en humanité, en bonté, en sacrifice. Nous les chrétiens, nous avons un plus grand motif pour aimer et servir les pauvres : en ceux-ci nous voyons le visage et la chair du Christ, qui est devenu pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (cf. 2 Co 8,9).
Certainement, pour un pays, la croissance économique et la création de richesse sont très nécessaires, et il faut que celles-ci arrivent à tous les citoyens sans que personne ne soit exclu. La création de cette richesse doit toujours être en fonction du bien commun, et non d’une minorité. Et en cela il faut être très clair. « L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Ex 32, 1-35) a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage » (Evangelii gaudium, n. 55). Les personnes dont la vocation est d’aider au développement économique ont la tâche de veiller à ce qu’il ait toujours un visage humain. Entre leurs mains se trouve la possibilité d’offrir du travail à beaucoup de personnes et de donner ainsi de l’espérance à tant de familles. Le travail est un droit et rend les personnes dignes. Apporter le pain à la maison, offrir aux enfants un toit, la santé et l’éducation, ce sont des aspects essentiels de la dignité humaine, et les entrepreneurs, les hommes politiques, les économistes, doivent se laisser interpeller par cela. Je leur demande de ne pas céder au modèle économique idolâtre qui a besoin de sacrifier des vies humaines sur l’autel de l’argent et de la rentabilité. Dans l’économie, dans l’entreprise, en politique, la priorité est la personne et l’environnement où elle vit.
Avec raison, le Paraguay est connu dans le monde pour avoir été la terre où ont commencé les Réductions, l’une des expériences d’évangélisation et d’organisation sociale les plus intéressantes de l’histoire. Dans celles-ci, l’Évangile a été l’âme et la vie de communautés où il n’y avait pas de faim, ni de chômage, ni d’analphabétisme, ni d’oppression. Cette expérience historique nous montre qu’une société plus humaine est possible aujourd’hui aussi. Quand il y a l’amour de l’homme et une volonté de le servir, il est possible de créer les conditions pour que tous aient accès aux biens nécessaires, sans que personne ne soit écarté.
Chers amis, c’est une grande joie de voir le nombre et la variété d’associations qui sont engagées dans la construction d’un Paraguay toujours meilleur et plus prospère. Je les vois comme une grande symphonie, chacune avec sa particularité et sa propre richesse, mais cherchant l’harmonie finale. C’est cela qui compte.
Aimez votre Patrie, vos concitoyens et, surtout aimez les plus pauvres. Ainsi vous serez dans le monde le témoignage qu’un autre modèle de développement est possible. Je suis convaincu que vous avez la plus grande force qui existe : votre humanité, votre foi, votre amour.
Je demande à la Vierge de Caacupé, notre Mère, de prendre soin de vous, de vous protéger, et de vous encourager dans vos efforts. Que Dieu vous bénisse