Une perspective catholique sur l’élection

(Image : courtoisie d’Élections Canada)

Tout récemment, la démocratie canadienne a vécu un de ces moments forts qui déterminent les possibles de la vie politique et donnent le ton de l’action collective. Si l’élection fédérale canadienne de 2021 n’était clairement pas souhaitée par une grande partie de la population, elle s’est déroulée dans un contexte qui est en quelque sorte une croisée des chemins.

Des rumeurs d’élections circulaient depuis un certain temps au Canada. L’élection d’un gouvernement minoritaire en 2019 signifiait presque inévitablement une élection anticipée dans un avenir proche, étant donné que les gouvernements minoritaires au Canada ont une durée de vie moyenne de 18 à 24 mois. 

Les catholiques, et les Canadiens en général, auraient pu espérer que cette élection mette de l’avant des perspectives contradictoires sur les questions de l’heure et des discussions de fond sur la reconstruction de la société canadienne après 18 mois d’une pandémie dévastatrice à tous les niveaux. Une conversation approfondie sur les droits et les devoirs mutuels des citoyens, sur l’investissement de ressources conformément au principe de subsidiarité, ou sur les questions urgentes de la bioéthique s’imposait. Mais malheureusement, les débats significatifs sur ces sujets, et bien d’autres, ont été notoirement absents.

Renouveler le devoir civique ?

Il est intéressant de noter que l’expérience traumatisante de la pandémie de COVID-19 a ouvert la discussion sur des questions socio-économiques auxquelles le consensus pré-pandémique était fermé. En particulier, on a beaucoup insisté sur le devoir des citoyens de participer à toute une série d’actions, petites et grandes, pour arrêter la propagation du virus. 

Cette réapparition du langage du devoir civique fait appel à une compréhension plus active de la liberté politique, qui se concentre davantage sur la capacité du citoyen à participer à la poursuite du bien commun que sur la protection des libertés individuelles. 

Défendre la subsidiarité

La pandémie, comme d’autres grandes crises nationales avant elle, a également mis à l’épreuve un principe cardinal de la doctrine sociale de l’Église, à savoir la subsidiarité. Selon ce principe, la charge d’une situation donnée, et de l’action qui y est liée, incombe à l’entité la plus proche des personnes concernées, à la plus petite entité capable de répondre. 

Dans des situations exceptionnelles, il est tentant pour l’État central d’assumer des responsabilités excessives, d’isoler les individus, qui deviennent dépendants de lui, et de supprimer les corps intermédiaires qui constituent habituellement l’environnement le plus favorable à la socialisation. Cette tentation et ses effets négatifs sont encore plus marqués dans le contexte d’un grand ensemble fédéral comme le Canada, où la gestion de l’essentiel des affaires sociales relève de la responsabilité constitutionnelle des provinces. 

Ouvrir la conversation sur la bioéthique

L’absence de conversation sur les questions de la bioéthique est également très préoccupante. Nous vivons dans une société où les débats sur les questions où convergent les problèmes liés à la vie, le système de santé et les préoccupations éthiques sont généralement mis de côté et fermés à la conversation. On peut penser à des questions telles que l’avortement et l’euthanasie. 

Et même s’il est indiscutable que les vaccins développés contre la COVID-19 sont moralement licites – le message de Rome à ce sujet est très clair – nous ne devons pas permettre que toute forme de questionnement sur ce type de sujet soit banalisée ou ridiculisée. 

Si ceux qui prédisent un avenir où les pandémies de cette nature seront plus fréquentes ont effectivement raison, il est absolument essentiel que des conversations bioéthiques ouvertes aient lieu, non seulement pour éviter une forme de scientisme obscurantiste, mais aussi pour que chacun, se sentant inclus et respecté dans l’espace public, soit moins tenté de se laisser aller à des interprétations farfelues de notre réalité commune. 

Des discussions manquantes 

Suivant une tendance bien établie dans la culture politique canadienne au cours des dernières décennies, cette campagne a été marquée par l’absence de telles discussions, remplacées par un piètre substitut sous forme de formules simplificatrices caractéristiques d’un marketing politique à bien des égards indigne de la noblesse de la vie politique. 

Le faible niveau de nos débats est passablement évident. Les grandes figures de notre vie politique préfèrent échanger, parfois de manière assez transparente, des répliques apprises par cœur dont le sens, souvent évanescent, se caractérise même parfois par une malheureuse duplicité. Pourtant, la vie politique est le lieu de la recherche du bien commun qui, dans une démocratie parlementaire comme la nôtre, se caractérise par une délibération qui exige du sérieux, de la profondeur et une volonté réelle de construire une société partagée. 

Une uniformité troublante

Pourtant, les principaux partis politiques représentés à la Chambre des communes ont tendance à se ressembler de plus en plus sur bon nombre des grandes questions. Le Parti conservateur, par exemple, a essentiellement mis de côté une perspective plus traditionnelle sur les questions sociales sous son leadership actuel. En outre, dans ce contexte de pandémie, il est également devenu moins intéressé par la promotion de politiques de rigueur économique. On pourrait dire que le parti se distingue principalement en modérant les positions du Parti libéral. 

Certains pourraient avancer que cette uniformisation du discours, notamment sur les questions sociales, est le reflet d’une société dans laquelle certaines questions ne sont plus abordées, tout simplement parce qu’elles n’intéressent plus le public. Cette explication a toutefois ses limites. 

Le rôle des médias 

Dans une société vaste et moderne comme le Canada, les conversations civiques se déroulent par le biais des médias de masse, un environnement social dans lequel, comme dans tout autre, certaines opinions sont plus courantes que d’autres. C’est tout à fait normal et cela ne devrait pas nous surprendre. Cependant, la prudence et l’esprit critique sont toujours de mise, car les niveaux relatifs d’exposition et de compréhension de certaines opinions ne reflètent pas toujours l’éventail des points de vue de la population générale. 

Dans son récent livre, le politicien libéral John Milloy, un catholique, a noté la façon dont les médias ont traité l’ancien chef conservateur Andrew Scheer lors des élections fédérales canadiennes de 2019, en se concentrant sur sa foi et sa position sur l’avortement. Si M. Scheer est évidemment responsable de la manière dont il a choisi d’aborder ces questions, les opinions généralement partagées sur ces sujets dans les cercles médiatiques étaient assez clairement exposées. Cette série d’événements n’est qu’une illustration récente de la mise à l’écart de certaines opinions dans l’espace public, qui ne reflète pas nécessairement le sentiment général de la société dans son ensemble.

Des risques à prendre en compte

L’expérience de ces dernières années dans les grandes démocraties occidentales montre que lorsque certains points de vue largement répandus dans la population cessent d’être représentés par les partis traditionnels de gouvernement, ils trouvent leur place dans la conversation civique par d’autres moyens, que la plupart d’entre nous trouve souvent répréhensibles. 

À l’heure actuelle, nous assistons à une montée paradoxale de la polarisation, voire de la violence politique, notamment à l’encontre du premier ministre Justin Trudeau. Cela se produit à un moment où notre société est marquée par un épuisement général à l’égard des mesures sanitaires jugées nécessaires pour contrer la pandémie de COVID-19, ce qui amène une minorité audible à s’exprimer d’une manière qui est au mieux indigne, au pire violente. 

Cette tension entre la relative uniformité du discours des partis politiques et l’émergence de tensions aux marges de la vie politique aura été en ce sens l’une des particularités de cette élection. Maintenant qu’elle s’est conclu en un statu quo ante bellum prévisible, espérons que le nouveau parlement minoritaire soit caractérisé par davantage d’ouverture et par des débats qui mettent moins l’accent sur une polarisation partisane superficielle et davantage sur l’exposition, aussi rationnelle que passionnée, des perspectives de chacun.

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