Chaque artiste représente les saints d’une façon différente. Pour certains, c’est la compassion d’un saint qui retient l’attention; pour d’autres, c’est son courage ou son zèle. Chaque saint ou sainte est peint d’une façon différente parce que chacun de nous voit dans cette personne des traits qui nous rejoignent pour notre époque aujourd’hui. C’est pourquoi presque chaque catholique a son saint ou sainte préférée, dont l’exemple renforce ses valeurs et l’aide à cheminer dans la vie selon ses convictions.
J’avoue que j’ai une affinité toute particulière avec Saint Dominique, dont l’Église célèbre aujourd’hui la fête. Je l’aime ni pour sa piété, ni pour un prétendu zèle apostolique. Je l’aime parce qu’il a su faire ce qu’un grand nombre d’hommes et de femmes ont du mal à faire : bâtir des ponts avec les marginalisés de la communauté humaine.
Dominique a vécu à l’époque de l’Église puissante, de l’Église triomphante. Les monastères étaient dotés de grandes terres; les évêques voyageaient à cheval, les voitures de luxe à l’époque. Un nombre croissant de gens, réagissant à ce scandale, participait à des mouvements orientés vers une pauvreté austère. Ces regroupements de gens vivant une spiritualité rigoureuse sont devenus les mouvements hérétiques, des phénomènes qui avaient le potentiel de devenir des églises parallèles. C’étaient des gens portant le désir de vivre selon un grand idéal spirituel, des gens qui croyaient vivre selon les exigences de l’Évangile.
Les évêques, qui voyageaient en grand pompe, étaient incapables de convaincre les hérétiques que le message évangélique était vécu par les hommes et les femmes de l’Église. Les hérétiques n’étaient pas convaincus parce qu’ils ne pouvaient voir le Christ dans cette Église.
C’est dans ce contexte que Saint Dominique a ouvert une nouvelle voie. De passage dans le sud de la France, Dominique a rencontré, pour la première fois, des hérétiques qui s’appelaient les Albigeois. Ces hommes et femmes étaient très austères dans leur pauvreté et méprisaient la richesse des représentants de l’Église.
Inspiré par le message évangélique, Dominique a adopté une vie même plus pauvre que ces hommes et femmes. Il a vécu plusieurs années au milieu d’eux; il a parlé avec eux, tout en adoptant la simplicité voulue par l’Évangile et souhaitée par les hérétiques en marchant pieds nus dans la neige. Il a enfin fondé ce qui allait devenir l’Ordre de Prêcheurs avec cinq femmes qui ont suivi le mouvement albigeois.
Malgré son courage, l’importance de Saint Dominique ne se trouve pas dans la grande austérité qu’il a vécue. Je ne crois pas qu’une telle pauvreté volontaire soit possible ni désirable aujourd’hui. L’importance de Saint Dominique se trouve plutôt dans la façon dont il est entré en communion avec des gens qui étaient considérés comme des hérétiques et donc dangereux pour l’Église : il a partagé sa vie avec eux. Il a pu reconnaître que l’Évangile n’est pas d’abord un message à prêcher; elle est une vie à partager. Bâtir des ponts ne commence pas de notre côté de la rive; ça commence de l’autre côté en acceptant le déracinement et la collaboration avec l’autre. Manque de sécurité qui effraie; manque de sécurité qui libère et raffermit la communauté humaine.
Notre époque porte des similarités avec celle de Saint-Dominique. Après le concile Vatican II, plusieurs personnes déçues des résultats, ont quitté l’Église; d’autres tiennent ferme à rester dans l’Église. Mais entre ces groupes, il y a des murs qui se forment. On est méfiant l’un de l’autre; on a de la difficulté à croire que des gens de l’autre groupe pourraient vraiment vivre en disciples du Christ. Peut-être la figure de Saint Dominique nous rappelle-t-elle que pour devenir une Église capable de surmonter les barrières, il faut non seulement parler avec l’autre; il faut nous déplacer pour vivre avec lui, pour comprendre sa vie et ses idéaux. L’exemple de Saint Dominique nous montre un certain nomadisme. Sommes-nous prêts à voyager dans des « terres » inconnues?