Départ du Cardinal Ouellet: émotions, excuses et lettre pastorale en guise d’adieux

Le cardinal Marc Ouellet a fait ses adieux aux gens de Québec cet après-midi à la basilique Sainte-Anne de Beaupré. Sous une chaleur accablante, ils étaient des milliers de personnes, dont de nombreux prêtres et évêques, venus rendre un vibrant hommage à celui qui fut pasteur de la première Église d’Amérique du Nord pendant 8 ans. Le cardinal Jean-Claude Turcotte et le nonce apostolique au Canada, Mgr Pedro Lopez Quintana, étaient parmi les dignitaires présents.

Dans son homélie, le nouveau préfet de la Congrégation des évêques a salué ceux et celles pour qui et avec qui il a exercé son ministère. Il a reconnu que certaines décisions pastorales ou certaines prises de parole ont pu heurter ou peiner plusieurs personnes. Marc Ouellet a demandé pardon, à Dieu et à ses frères et sœurs pour les torts causés. Ici le cardinal croit fermement que la vérité mérite d’être présentée telle quelle, même si elle n’est pas la bienvenue. Les catholiques Québécois se réconcilieront-ils avec le cardinal Ouellet à l’occasion de son départ?

De l’héritage qu’il veut laisser à ces diocésains et aux catholiques du Québec, le cardinal Ouellet publie aujourd’hui sa dernière lettre pastorale: Tous ensemble sur le Chemin. Celle-ci reprend, à quelques détails près, l’homélie prononcée cet après-midi à la basilique Sainte-Anne de Beaupré que nous publions ici dans son intégralité. Télévision Sel + Lumière présentera en rappel la cérémonie hommage ce mardi 17 août à 15h30 – à la télé et sur le web.

L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE

Chers frères et sœurs en Jésus-Christ,

Le 15 novembre 2002, j’accueillais, dans l’Esprit du Seigneur, la mission du service pastoral de l’archidiocèse de Québec.

En ce 15 août 2010, je quitte notre pays pour répondre à l’appel du Saint-Père, notre Pape Benoît XVI, qui me nomme à la direction de la Congrégation pour les évêques et de la Commission pontificale pour l’Amérique latine. C’est encore dans ce même Esprit du Seigneur que je tiens à vous partager mon action de grâce envers Dieu et ma gratitude envers vous pour ces années bénies qu’Il nous a donné de vivre ensemble.

Durant ces huit années, des liens se sont tissés entre nous : j’ai connu des joies profondes, de nombreuses consolations également au milieu des aléas qui ont marqué mon ministère comme Archevêque de Québec et Primat du Canada. Je suis convaincu que ces liens tissés par le Seigneur demeureront vivants et je prie Dieu de rendre fécond le sacrifice de ce départ en acceptant, de part et d’autre, sa volonté sur nos vies. Sa volonté n’est qu’Amour, je l’ai expérimenté au cœur de cette grande famille diocésaine que j’ai aimée et qu’il me coûte de quitter.

Il m’est une joie particulière de vivre cet « au revoir » dans le cadre liturgique de la solennité de l’Assomption de la Très Sainte Vierge. C’est une fête si chère à la tradition chrétienne de France à laquelle nous devons tant. Vous êtes venus nombreux à ce rendez-vous. Je remercie encore mes confrères évêques, prêtres et diacres, les dignitaires civils, les personnes de vie consacrée et vous tous frères et sœurs qui m’honorez de votre présence ici en ce magnifique sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré. Merci d’être de cette foule qui symbolise toutes les foules que j’ai rencontrées depuis le début de mon ministère à Québec et au Canada. Dimanche dernier, j’ai vécu une très belle célébration à la Cathédrale d’Amos avec mes compatriotes abitibiens. De même que le Ier août à Chapel Island en Nouvelle-Écosse où, comme Envoyé spécial du Pape Benoît XVI, je présidais le 400e anniversaire du baptême de Henri Membertou de la nation micmaque, le premier grand chef autochtone d’Amérique du Nord à embrasser la foi catholique en 1610. Je salue spécialement ici les Premières nations du Canada et je souhaite que leurs droits ancestraux soient reconnus et que leurs projets de développement soient davantage soutenus par l’ensemble de la population canadienne.

Les textes de la liturgie de la Parole nous ont plongés d’emblée dans le mystère de l’Assomption. « Un signe grandiose apparut dans le ciel : une femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle était enceinte et elle criait, torturée par les douleurs de l’enfantement. » Cette scène apocalyptique décrit la maternité spirituelle de Marie qui participe au pied de la croix du Christ à la douleur du Rédempteur. « Un autre signe apparut dans le ciel : un énorme dragon rouge-feu qui cherchait à dévorer l’enfant de la femme dès sa naissance. » Le dragon fut vaincu par cet Enfant, le Berger de toutes les nations, qui a connu la mort mais qui en a triomphé, par l’amour. Il est le premier Ressuscité. Marie est la deuxième puisque son Assomption au ciel la fait participer à la gloire du Ressuscité. Le dogme de foi défini par l’Église en 1950 affirme que la Vierge immaculée a été emportée au ciel en son âme et son corps. C’est là qu’elle chante avec toute l’Église son magnificat pour les merveilles accomplies par Dieu dans l’histoire du salut. C’est là, couronnée par Dieu, qu’elle intercède pour nous, pauvres pécheurs, afin de soutenir notre marche à la suite du Christ, l’Agneau immolé et vainqueur. Marie s’est laissée habiter par l’Esprit. Dans la souffrance elle a gardé pleine confiance. Toute sa force, elle l’a puisée dans la féconde communion avec son Fils. C’est pourquoi elle devenue Mère universelle dans la puissance de l’Esprit.

Mon ministère épiscopal à Québec n’a été, au fond, qu’une annonce mille fois reprise du même thème : la résurrection du Christ et la foi de l’Église vécue en perfection par Marie, la Servante du Seigneur. À notre société en recherche de valeurs, j’ai voulu porter la bonne nouvelle de la victoire de l’Amour sur la haine, la victoire de la grâce sur le péché et la victoire de la Vie sur la mort. J’ai invité souvent à cultiver un regard de foi illuminé par la Parole de Dieu, qui appelle sans cesse à la conversion. J’ai rappelé aussi la grâce de l’Eucharistie qui nourrit l’engagement chrétien pour les plus démunis et l’espérance de notre immortalité bienheureuse. Notre identité culturelle québécoise n’est-elle pas pétrie depuis quatre siècles par ces mystères de foi? Puissions-nous en garder l’élan et un dynamisme tourné vers l’avenir.

It is with profound gratitude that I thank the Lord for these past eight years that I have been privileged to serve the People of God in the Archdiocese of Quebec. My episcopal ministry here has given me the opportunity to proclaim the Good News of the Gospel and share the journey of faith. The Feast of the Assumption of the Blessed Mother is a very appropriate one that invites us all to contemplate the Paschal Mystery and to renew our faith in the Resurrection of Christ in the hope of eternal life.

The life of the Church is an ongoing journey. As I am called to serve the Universal Church in Rome, I pray for the people of the Archdiocese of Quebec, for the Church and the people of Canada, that we may all continue our pilgrimage of faith, always striving for a deeper relationship with Jesus Christ and a greater faithfulness to His Gospel.

Je remercie les évêques auxiliaires et les prêtres pour leur souci de collaboration et d’unité. Cela nous a permis d’affronter ensemble les défis que pose à la conscience chrétienne notre société sécularisée. Malgré les tensions récurrentes mais somme toute fécondes, nous avons marché dans la fidélité au Seigneur et à son Église. J’ai beaucoup reçu de vous, chers confrères, et j’ai apprécié votre obéissance à des décisions qui signalaient des tournants et exigeaient parfois certains renoncements. C’est pour susciter une nouvelle relève sacerdotale que j’ai déployé beaucoup d’efforts, car j’ai une estime profonde pour vous et pour le ministère irremplaçable que vous exercez. Je reconnais aussi l’aide précieuse des diacres, des agents et agentes de pastorale. Votre vocation est de service et de partage, dans la fidélité à la Parole, pour rejoindre le peuple de Dieu par l’animation pastorale et spirituelle.

Lors de certains débats publics ou à l’occasion de décisions pastorales, je suis conscient que plusieurs personnes ont pu être heurtées ou peinées : le message de la vérité n’est pas toujours bienvenu; c’est une souffrance pour celui qui écoute et parfois pour le ministre qui l’exprime. Mais Dieu lui-même nous a montré que la souffrance peut être source de vie. Toutefois, conscient de mes propres faiblesses, je demande pardon à Dieu et à mes frères et sœurs pour tout ce qui a pu leur faire du tort. Que le Père miséricordieux permette que nous nous disions au revoir dans la paix et la réconciliation!

Fort des liens qui continueront de nous unir dans l’amour de l’Église, je me recommande à vos prières afin que vous obteniez pour moi le don du discernement spirituel et la sagesse nécessaire pour accomplir mon nouveau ministère en toute rectitude de conscience. Puisse ma collaboration quotidienne avec le Saint-Père Benoît XVI, être désintéressée, prudente, efficace et aimante. Nul n’ignore l’importance du ministère des évêques au service duquel je consacrerai mes énergies désormais. Que l’Esprit Saint et la prière de tous les fidèles me viennent en aide.

Conscient que les liens d’amour que tisse l’Esprit ne meurent jamais et nous gardent toujours solidaires les uns des autres, je vous promets, chers amis, de porter chaque jour vos intentions à l’autel du Seigneur. J’emporte avec moi la beauté des familles en croissance, les vocations en émergence, et les réseaux d’Église en synergie. Je garde dans mon cœur les pauvres, les malades, les affligés, les personnes âgées et aussi les immigrants qui demandent l’hospitalité dans notre pays. Puissent la Vierge Immaculée et saint Louis, patrons du diocèse, vous obtenir de témoigner toujours mieux de la joie de la foi et de la charité active qui donne à nos activités humaines leur plénitude de sens.

En signe de gratitude envers Dieu et envers vous, je vous adresse une dernière lettre pastorale qui porte le titre : Toujours ensemble sur le Chemin. Cette lettre contient aussi trois textes que j’ai écrits depuis quelques mois pour l’Église universelle. Je désire les laisser à votre méditation. Pour certains passages qui exigeront peut-être une deuxième lecture, je demande à l’Esprit Saint de faciliter votre compréhension et d’excuser mes élévations…enfin je veux dire ce qui est davantage dogmatique! Je dédie ces textes d’une façon spéciale et remplie d’affection aux jeunes, aux familles et aux prêtres.

Chers amis, je vous remercie de l’appui que vous m’avez exprimé de mille manières en ces derniers mois et particulièrement depuis ma récente nomination.

Remercions Dieu de nous avoir unis profondément sur le chemin de l’Évangile pour sa plus grande gloire et pour notre salut. Et que Notre-Dame de l’Assomption et de l’Immaculée-Conception poursuive, dans l’Esprit Saint, sa maternité spirituelle à notre égard, en faisant grandir chaque jour davantage son Fils en chacun de nous.

Continuons de marcher ensemble

avec Lui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie! (Jn 14, 6)

Marc Cardinal Ouellet

Préfet de la Congrégation pour les Évêques

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