Il fut une époque où la publication d’une encyclique, d’une encyclique à caractère social de surcroit, aurait eu une résonnance monstre sur toute la planète, spécialement dans les pays marqués d’une forte tradition chrétienne. La chose est moins évidente de nos jours. À l’ère de Twitter et de la nouvelle instantanée, il est de plus en plus difficile de se saisir d’un texte magistral, encore plus lorsqu’il s’inspire d’une Parole éternelle et d’une doctrine sociale qui se développe depuis plus d’un siècle. Caritas in Veritate ne déroge pas à cette ‘règle’. La troisième encyclique de Benoît XVI s’inscrit dans l’enseignement social de l’Église en mettant en évidence des éléments ou des balises qui peuvent aider à traverser la crise économique actuelle. Mais voilà, les pistes sont tellement nombreuses, que le lecteur peu finir par perdre le fil conducteur du document. En bref, quelques recommandations du Saint-Père:
- résister à une réduction des systèmes de sécurité sociale ;
- soutenir les syndicats et le droits des travailleurs dans une économie marquée par la mobilité de la main d’œuvre ;
- combattre la faim en investissant entre autres dans les infrastructures rurales ;
- garantir un emploi stable pour tous comme objectif économique ;
- protéger l’écologie de la planète
- réduire la consommation d’énergie des pays riches
- s’ouvrir à la vie (i.e. s’opposer à des mesures comme l’avortement et le contrôle des naissances) ;
- investir davantage en éducation ;
- s’opposer aux abus de la biotechnologie ;
- réformer les Nations Unis ;
- etc.
La liste est longue. Pour s’y retrouver, il faut retourner à la mesure de nos gestes et actions et de leur objectif: la personne humaine. Le Pape le rappelle avec force :
Je voudrais rappeler à tous, et surtout aux gouvernants engagés à donner un nouveau profil aux bases économiques et sociales du monde, que l’homme, la personne, dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à valoriser. no 25
La personne humaine est le premier souci du Pape dans cette encyclique consacrée au «développement humain intégral dans la charité et dans la vérité». Elle est au cœur de l’enseignement social de l’Église. En consacrant son premier chapitre au message de Populorum progressio sur le développement des peuples, Benoît XVI fait plus qu’honorer la mémoire de Paul XI, il confirme les intuitions et interprétations de la donne mondiale faites par le défunt Pontife il y a 42 ans. À une exception près: la mondialisation annoncée s’est faite à une vitesse incroyable, beaucoup plus que ce que croyait Paul VI. Cette explosion de l’interdépendance planétaire s’appuie sur une technologie qui évolue toujours en s’appuyant sur des fonds quasi illimités, une course au progrès qui a toutefois oublié beaucoup de gens en cours de route. Elle nous a fait oublier que le progrès est une vocation (no 16). Qu’est-ce qu’une vocation sinon une manière de devenir ce que nous devons être: pleinement humain, pleinement à l’image de Dieu! C’est pour réaliser cette vocation que l’on retrouve les deux pôles de l’enseignement de Benoît XVI réunis : l’amour (la charité) dans la vérité.
[L]’amour et la vérité nous placent devant une tâche inédite et créatrice, assurément vaste et complexe. Il s’agit d’élargir la raison et de la rendre capable de comprendre et d’orienter ces nouvelles dynamiques de grande ampleur [la mondialisation], en les animant dans la perspective de cette « civilisation de l’amour » dont Dieu a semé le germe dans chaque peuple et dans chaque culture. No 33
De la charité, le Pape propose de redécouvrir la richesse du don, parfois caché par une vision de l’existence purement productiviste et utilitariste. L’être humain est fait pour le don; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. La charité dans la vérité encourage le rapprochement des humains, et nous rappelle que la loi du marché seule ne permet pas ce véritable progrès qui permet à la personne de se développer dans tous les aspects de son être.
D’aucuns diront que tout ceci est ‘cliché’ et même ‘à la mode’: la sauce des années soixante assaisonnée au goût du jour. On pourrait s’appuyer, certains l’ont fait, sur les 159 références de l’encyclique qui renvoient presque toutes à d’autres encycliques ou documents du magistère, et dire que Benoît XVI n’a aucune référence pour soutenir ses énoncés sur l’économie et la finance. Pourtant, le Saint-Père fit appel à des économistes et autres experts, dont un banquier, également éditorialiste pour les thèmes économiques et financiers à l’Osservatore Romano, pour l’aider dans la délicate rédaction de ce texte.
De la vérité, l’encyclique du Pape nous rappelle que l’enseignement de l’Église n’est pas un comptoir de restauration rapide: on ne peut choisir ce qui fait notre affaire et laisser de côté ce qui nous dérange. Beaucoup de catholiques, spécialement dans les nations les plus riches, ont de la difficulté avec cela. Il faut reconnaître que l’Église a perdu beaucoup de crédibilité aux yeux du monde à cause de sa morale sexuelle. Cet enseignement, comme le reste de l’enseignement de l’Église, s’inspire d’une anthropologie qui voit l’homme à l’image de Dieu et appelé à vivre selon ce plus grand dénominateur commun. De lire Benoît XVI qui place la sacralité de la vie humaine dans le contexte du développement international et de la justice sociale ne devrait donc pas causer l’ire des agences de développement ou de la gauche idéologique. Idem pour les adeptes du libre marché pour qui le capitalisme n’exige pas un visage humain.
L’Église catholique demeure l’institution avec le plus de ressources pour observer l’humanité et c’est pourquoi cette encyclique, aussi dense soit-elle, mérite que l’on s’y attarde. Mais plus qu’une observatrice, elle incite les chrétiens à s’engager au service de l’humanité. Elle invite les hommes et les femmes de notre temps à accueillir cet amour riche de vérité comme un don à partager.