(photo:CNS photo/Navesh Chitrakar, Reuters) Alors que la première semaine du Carême vient de se terminer, il me semblait approprié d’offrir quelques-unes de mes réflexions sur le message du pape François pour le Carême 2019. Intitulé « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,19), ce texte est une bonne illustration non seulement du rôle central de l’humanité dans l’édifice de la création mais également du caractère libérateur de la pratique du Carême.
La destinée spirituelle du monde créé
Lorsque nous pensons à la vie spirituelle et à la vie sacramentelle, nous avons souvent l’impression que cela ne concerne que nous les êtres humains. Que nous voyions comme un poids l’obligation d’aller à la messe du dimanche ou que nous goûtions les délices de la contemplation, il nous arrive à tous d’oublier que cette Révélation de Dieu concerne l’ensemble du créé. Or, de la bactérie aux anges célestes, l’ensemble des créatures a une relation avec Celui qui les maintient dans l’existence. D’où vient donc cette sensation d’exclusivité ?
Ce malentendu vient d’abord du fait que la seconde personne de la Trinité a décidé de devenir homme. Toutefois, nous devrions toujours garder en tête la vocation primordiale de l’humanité et la singularité de sa nature. En effet, par son intelligence et sa volonté, l’homme est un être spirituel tandis que par sa constitution corporelle, il est matériel. Sa nature-même fait donc de lui le pont (pontifex) entre le monde spirituel et matériel. Il réconcilie donc, en son être même, ce qui serait sans lui deux univers parallèles .
Or, depuis le péché originel, cette mission « d’intermédiaire » de l’humanité a quelque peu souffert. Par orgueil, l’humanité a rejeté cette dimension de médiateur de son être et se berce depuis entre les extrêmes de l’exaltation du corps au détriment de l’esprit ou vice-versa. Cela fait référence aux deux « hérésies » (no35) mentionnées par le pape François que sont le « gnosticisme et le pélagianisme » (Chap 2.). Heureusement :
Quand la charité du Christ transfigure la vie des saints – esprit, âme et corps –, ceux-ci deviennent une louange à Dieu et, par la prière, la contemplation et l’art, ils intègrent aussi toutes les autres créatures, comme le confesse admirablement le « Cantique des créatures » de saint François d’Assise (cf. Enc. Laudato Sì, n. 87).(no1)
Lorsque nous acceptons l’invitation à mettre le Christ au centre de nos vies, nous récupérons cette vocation originelle à faire le lien entre l’univers matériel et immatériel. Ainsi, par notre coopération, nous devons vivre cette mission dans la contemplation de la beauté de la création et du mystère de réconciliation qui se produit en nous. Par contre, comme le Pape : « En ce monde, […] l’harmonie produite par la rédemption, est encore et toujours menacée par la force négative du péché et de la mort » (no 1).
Le Carême : un temps de réconciliation avec la nature
Le temps liturgique du Carême est un moment approprié pour faire de nous les instruments de la paix entre les hommes et l’environnement. Certes, c’est par leurs actions concrètes que les chrétiens sont en mesure de travailler à tous les niveaux en faveur de la cause commune des pauvres et de l’environnement. Comme le dit le Pape : « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale » (no 139) et c’est parce les chrétiens ont la grâce d’être éclairés par leur foi que leurs actions auront une efficacité particulière.
D’abord, l’exercice du Carême et la plus grande disponibilité aux motions de l’Esprit Saint permettent de ne pas tomber dans le découragement. Depuis le début de l’année, on entend beaucoup parler de phénomènes tels que « l’éco-anxiété » et autres pathologies générées en réaction à la crise climatique. Or, plus que le repliement sur soi et la gestion à temps plein de ses émotions, ce sont davantage le courage, l’espoir, l’effort, le travail et les études méticuleuses qui aideront à faire la transition énergétique. La pratique authentique du Carême nous permet d’éviter cet écueil du découragement en nous assurant de la Présence constante du Christ ; de Celui qui est l’Alpha et l’Omega et qui, dans sa Providence, maîtrise l’histoire.
Ensuite, la pratique du Carême nous aide à développer les vertus nécessaires pour combattre le bruit incessant d’une société de consommation centrée sur l’assujettissent de la nature. Que ce soit par la volonté de domination sur son propre corps et ses lois propres ou par l’utilisation à outrance des ressources naturelles, l’humanité est tiraillée par une liste de désirs qui ne cesse de s’accroître. Or, nous savons que cette perpétuelle insatisfaction vient de la soif d’infini présent dans le cœur des hommes. Le Carême et la promotion de son authentique célébration est donc un rempart contre cet autre écueil qui nous pousse à nous détruire nous-même et le monde dans lequel on se trouve.
Le Carême pour « l’urgence » climatique
À l’heure où nous comprenons de plus en plus les désastres qu’un monde sans Dieu peut produire, le Carême ne nous apprend ni à désespérer de l’homme, ni à lui confier l’ensemble de nos espérances. Confiant dans l’action réparatrice de Dieu et de son Œuvre invisible mais non moins efficace, nous pourrons redevenir ces émissaires du monde spirituel dans l’univers matériel et « Ainsi, en accueillant dans le concret de notre vie la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, nous attirerons également sur la création sa force transformante. » (no 3).