Fratelli tutti: une encyclique sociale pour le XXIe siècle

(photo: courtoisie Pixabay) Dimanche dernier 4 octobre 2020, le pape François publiait sa troisième encyclique. Intitulé « Fratelli tutti », ce document se veut un appel à l’engagement de tous en faveur d’un monde plus fraternel afin qu’« en reconnaissant la dignité de chaque personne humaine, nous puissions tous ensemble faire renaître un désir universel d’humanité » (no 8).D’une centaine de pages, cette lettre touche une variété de thèmes allant de la politique internationale aux enjeux locaux, de l’environnement à la justice sociale, de l’éthique à la religion en passant par les nombreux défis actuels empêchant la réalisation d’un monde plus ouvert où tous ont leur place. Bref, cette encyclique, que plusieurs ont qualifiée de « politique », donne aux catholiques et à toute personne des moyens pour surmonter les différentes impasses auxquelles notre monde se trouve actuellement confronté.

Une pensée propre et originale

Ce n’est pas nouveau, la sortie d’une encyclique génère toujours de vives réactions. Fort heureusement, pourrions-nous dire, puisque personne ne devrait être indifférent aux thèmes abordés par le Pape. Fait marquant de ce document : l’abondance des références à ses discours antérieurs. Parmi ces nombreuses citations se trouvent notamment des allusions aux discours prononcées lors de ses voyages apostoliques ; comme si le pape avait senti le besoin d’offrir un résumé ou un « compendium » de ses enseignements ; comme s’il avait voulu offrir à l’Église universelle les fruits de ses réflexions issus de ses discours adressées d’abord à aux églises particulières. Cette méthode, ce passage du particulier vers l’universel n’est-il pas la démarche même à laquelle l’évêque de Rome nous convie. Comme catholiques, ne sommes-nous pas appelés à incarner et à faire fructifier cette tension inhérente à notre condition de croyants ? À mettre en lumière la complémentarité entre notre attachement pour nos racines et la reconnaissance de la valeur de ce qui est cher à nos frères et sœurs en humanité ?

C’est ainsi que l’encyclique nous invite à une prise de conscience fondamentale. En tant que pèlerin universel, le Pape nous manifeste l’esprit qui doit animer l’ensemble de nos engagements actuels à tous les niveaux : « L’amour qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons « l’amitié sociale » » (no 99). Ainsi, cherchant à comprendre la complexité des enjeux et des différentes peurs qui animent toute société, on retrouve dans ce texte toute la hauteur requise au déploiement de cet esprit. Évitant soigneusement cette « habitude de disqualifier instantanément l’adversaire en lui appliquant des termes humiliants prévaut, en lieu et place d’un dialogue ouvert et respectueux visant une synthèse supérieure. » (no 201), le pape nous invite à une double rencontre. Rencontre avec soi et l’héritage de nos cultures propres et rencontre avec l’autre par la reconnaissance de la beauté et de la grandeur de ce qui lui est cher ; de ce qui peut être pour moi aussi le témoignage d’un patrimoine humain commun. Ainsi, puisque « Je ne rencontre pas l’autre si je ne possède pas un substrat dans lequel je suis ancré et enraciné, car c’est de là que je peux accueillir le don de l’autre et lui offrir quelque chose d’authentique » (no 143), le Pape exhorte à redécouvrir les deux dimensions de nos identités : locale et universelle.

Par exemple, devant une « histoire [qui]est en train de donner des signes de recul » (no 11), le Pape insiste sur l’importance de ne pas abandonner certains concepts qui, parce qu’utilisés à mauvais escient, risquent de faire disparaître du langage de précieuses réalités telles que la « démocratie » (no 157). En effet, « Un moyen efficace de liquéfier la conscience historique, la pensée critique, la lutte pour la justice ainsi que les voies d’intégration consiste à vider de leur sens ou à instrumentaliser les mots importants (no14). Ainsi, bien que s’insérant dans un débat qui anime l’ensemble de nos sociétés, le Pape ne laisse que peu de place, comme certains le prétendent, à la récupération idéologique.

Une pensée politique mais transpartisanne

Une des grandes originalités de cette encyclique se trouve dans la posture que le Pape discerne quant à au rôle socio-politique que l’Église universelle est appelé à jouer. Plus qu’une simple « observatrice », l’Église cherche à s’engager en participant par le dialogue aux grandes décisions sociales et éthiques de notre temps. De plus, les principes contenus dans cette encyclique pourraient susciter l’émergence d’initiatives aussi importantes que créatrices de ponts entre les pays et, ainsi, donner un nouveau souffre au rôle diplomatique du Saint-Siège. Comme le dit François :

« L’Église n’entend pas revendiquer des pouvoirs temporels mais s’offrir comme « une famille parmi les familles, – c’est cela, l’Église – ouverte pour témoigner au monde d’aujourd’hui de la foi, de l’espérance et de l’amour envers le Seigneur et envers ceux qu’il aime avec prédilection » (no.276) »

Comme institution universelle, le Pape et le Saint-Siège, sans « faire de la politique partisane, qui revient aux laïcs » (no 276), se présente comme un lieu où, par la neutralité que lui offre la liberté évangélique, où ces dernières pourraient être librement discutées. Par son identité forte qui rend possible « le difficile effort de dépasser ce qui nous divise sans perdre l’identité personnelle » (no 230) l’Église a toutes les conditions pour jouer un rôle qui, prochainement, pourrait s’incarner dans une sorte de « Davos politico-religieux ». Le Vatican pourrait être un lieu où chaque nation, ONG et traditions religieuses pourraient s’exprimer sur les grandes questions dans un cadre où les références à la transcendance seraient audibles. Ainsi, « S’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes » (no 273), un lieu de dialogue international dépassant le cadre strictement politique tout en étant ouvert aux traditions religieuses et cultures éthiques est plus que jamais nécessaire. Cette encyclique ouvre la voie à ce type d’initiative.

Plaidoyer pour un nouveau dynamisme

Alors que les prochaines semaines seront le lieu de conversations et de débats sur les enseignements présents dans l’encyclique « Fratelli tutti » du pape François, il est important que l’ensemble des catholiques lisent et s’imprègnent des principes explicités dans ce document. Bien que s’adressant à toute personne, la responsabilité de la mise en application revient d’abord à ceux qui, par la grâce et la lumière de la Foi, sont en mesure de reconnaître l’origine et la fin de ces principes.

J’en profite également pour vous inviter à syntoniser Sel + Lumière dimanche prochain 11 octobre à 19 h 30 pour l’émission spéciale « Appelés à la fraternité : discussion sur l’encyclique « Fratelli tutti » ainsi qu’au Balado « Parrêsia » où j’aurai un entretien avec le père Jean-Marc Barreau, théologien et spécialiste du pontificat du pape François.

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