Cette semaine, nous avons commémoré le 70ième anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz en Pologne. Devant une telle horreur, il est difficile de trouver des mots et encore moins un sens à ce qui pourrait être vu comme le plus grand crime de toute l’histoire de l’humanité. Toutefois, impossible pour moi de ne pas y réfléchir. Impossible d’empêcher ce mot de franchir le seuil de ma pensée : pourquoi ? À cette question, il est possible de répondre de plusieurs manières. En montrant comment l’idéologie peut avoir des conséquences gravissimes ou combien l’Europe au sortir de la première guerre mondiale aurait dû tourner le dos aux nationalismes qui grugeaient la reconnaissance de la dignité des personnes appartenant à d’autres races ou nationalités. Les réponses de ce type, bien que respectant les critères des analyses historiques et sociologiques les plus strictes, me semblent insatisfaisantes. Elles expliquent mais ne rendent pas le sens de ce drame. C’est la raison pour laquelle je me suis plutôt attardé à l’acte lui-même de « faire mémoire ». Peut-être cette volonté de nous rappeler ce qu’on a appelé l’Holocauste peut-elle nous éclairer un peu plus?
Sur le plan de la psychologie de la personne, nous entendons parfois des expressions comme « il ne faut pas vivre dans le passé » ou bien « les regrets ne mènent nulle part ». La culpabilité, dans cette perspective, serait ainsi un sentiment à la source de toutes les névroses. En ce sens, ne devrions-nous pas laisser cet épisode malheureux derrière nous ? Ne vaudrait-il pas mieux oublier pour recommencer à vivre normalement? Comme catholiques, nous savons que non seulement notre foi peut nous aider à voir plus clair dans les événements de l’histoire mais également que ces derniers approfondissent le sens et la profondeur de notre foi. Qu’a-t-elle donc à nous apprendre sur cet acte abominable devant lequel chaque mot risque d’amoindrir la gravité de l’horreur ? Et qu’est-ce que la Shoa a à nous dire sur la foi chrétienne ?
D’abord, nous savons que le mystère que nous célébrons chaque dimanche est un mémorial. Un acte de fidélité au Seigneur qui nous a demandé de faire « cela en mémoire de moi » (Mat 26:26-28 ; Luc 22:14-20 ; Jean 15:8-17). Cela signifie aussi faire mémoire de l’histoire et des événements qui la composent. Assumer l’histoire et son déroulement est donc un élément fondamental de la foi chrétienne. Oublier n’est pas une option. Lors de la célébration eucharistique, l’acte de mémoire de la communauté est accompagné par la « descente » de la Présence réelle (substantielle) de Jésus parmi nous. Cette mémoire, par la Grâce de la Trinité toute entière et des mains du prêtre, devient Présence effective et agissante. C’est ce qui se produit, d’une certaine manière, lorsque nous faisons mémoire des événements historiques.
En effet, faire mémoire de l’Holocauste ne permet pas seulement de ne pas oublier les erreurs du passé
pour ne plus les reproduire. Mais aussi, nous rendons présents la souffrance et le désespoir des victimes pour prendre avec eux ce fardeau. Ce lien mystique, nous le possédons avec tous les hommes qui ont vécu depuis le commencement du monde. Ce lien c’est le Christ. Par Lui avec Lui et en Lui, nous pouvons participer à l’acte divin de la rédemption et ainsi transformer les ténèbres de l’histoire en occasions de prendre conscience de la grandeur de la Miséricorde de Dieu. Lorsqu’Il était sur la Croix, Jésus avait en tête chaque personne pour qui il souffrait sa passion. Il voyait déjà mystérieusement les drames que l’humanité allait devoir traverser au cours de cette histoire du salut qui allait perdurer jusqu’à ce qu’il revienne définitivement.
Le sens du Sacrifice pascal du Christ ne sera dévoilé dans sa plénitude qu’à la fin de l’histoire. Entre temps, le poids de la croix tend à s’alourdir à mesure que les siècles passent. Ainsi comme : « le pain et le vin […] reçoivent une nouvelle signification dans le contexte de l’Exode » (CEC #1334), le prix du rachat de l’humanité devient de plus en plus manifeste à mesure que celle-ci avance dans ce pèlerinage qu’est la vie humaine.
La commémoration des tragédies ne doit pas nous effrayer mais, au contraire, nous porter à rendre grâce à Dieu pour son amour gratuit qui n’a pas daigné s’arrêter devant les briques rouges qui ont abrité la pire folie meurtrière. Qu’elle soit plutôt l’occasion de nous rapprocher de Lui et d’accepter de partager la peine que son Sacré Cœur a dû porter pour se faire près de toutes ces victimes innocentes mortes sous le joug de la barbarie la plus abjecte. Aujourd’hui, portons dans nos prières nos sœurs et frères aînés dans la foi et qui composent le peuple juif et engageons-nous à en être à jamais spirituellement solidaires.
Images: Courtoisie de CNS