Le cardinal Marc Ouellet et Mgr Terrence Prendergast ont pris la parole ce mercredi à Québec. Nous publions ici l’intégrale de la déclaration des deux archevêques. Retour sur la chose à Perspectives ce soir.
Lettre ouverte du cardinal Marc Ouellet
LE DÉBAT EST OUVERT
Le débat sur l’avortement est ouvert et il ne faut pas en avoir peur. 100 000 avortements par année au Canada, plus de 25 000 au Québec, c’est beaucoup trop. On pourrait les réduire de moitié si seulement les femmes en détresse à cause d’une grossesse inattendue étaient accueillies, informées et accompagnées avec compassion et solidarité dans leur choix.
Mes interventions pour une culture de la vie ont fait l’objet de toutes sortes d’interprétations depuis une dizaine de jours dans la presse francophone et anglophone du Canada. C’est pourquoi je tiens à clarifier le sens de mon engagement dans le débat actuel sur l’avortement. Je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation et de me permettre de recentrer le débat sur l’essentiel. Les cas très exceptionnels ne doivent pas nous empêcher de voir la triste réalité de l’avortement devenu trop répandu.
Je remercie Mgr Terrence Prendergast, archevêque d’Ottawa, de se joindre à moi pour lancer un appel à la solidarité avec les plus démunis de notre société : l’enfant à naître et la femme qui se trouve contrainte de recourir à l’avortement.
Je précise d’entrée de jeu que mon commentaire pour la défense de l’enfant innocent, même en cas de viol, était motivé par le désir de rappeler la dignité de la femme en toutes circonstances et le respect qui est dû à toute vie humaine naissante. Je constate qu’on a retenu et interprété seulement une partie de mon message. J’attire ici l’attention sur l’autre partie, dans l’espoir que le public prenne conscience du véritable enjeu de ce débat : l’appui à la femme enceinte de la part de l’homme, de la famille, de la société.
Je n’ai dit nulle part que je condamnais la femme qui avait eu recours à l’avortement. J’ai même dit le contraire en parlant directement à l’une d’entre elles sur les ondes d’une émission de télévision. Je n’ai déclaré aucune femme criminelle parce qu’elle avait subi un avortement. Je sais très bien que la responsabilité ultime de cette décision morale relève de la conscience personnelle qui agit en fonction de divers facteurs, dont l’intention de la personne et les circonstances. Dieu seul est juge de la conscience de chacun et chacune parce que Lui seul peut mesurer tous les éléments de chaque cas.
Mon propos a toujours été de rappeler la norme morale objective avec la préoccupation de sauver la vie de l’enfant innocent et d’épargner à la mère les conséquences graves d’un avortement délibérément provoqué : c’est précisément le souci de la santé physique, psychologique et spirituelle de la femme en difficulté qui a motivé mes interventions. Je suis très désolé que mes propos, déformés ou cités hors contexte, aient pu causer des souffrances additionnelles aux femmes qui font face à des situations semblables. J’espère que ces mises au point serviront à assainir et à recentrer le débat.
Car débat il y a et il doit y avoir, même si une motion à Québec et une affirmation du premier ministre à Ottawa vont dans le sens contraire et refusent de rouvrir la législation sur l’avortement.
Je déplore cette attitude de plusieurs de nos représentants qui ne semblent pas vouloir regarder en face l’injustice que notre pays cautionne en n’accordant aucune protection juridique à l’enfant dans le sein de sa mère. Notre pays est à cet égard un cas unique dans le monde. Beaucoup l’ignorent et croient vivre dans l’un des pays les plus avancés dans le domaine des droits humains. Or, nous n’avons de leçon à faire à personne en ce domaine. Nous devrions même nous ouvrir à ce qui se fait ailleurs afin de mieux voir ce qu’il nous faudrait améliorer pour protéger les enfants encore sans voix qui espèrent voir le jour.
Avec mon collègue, archevêque d’Ottawa, qui entretient lui aussi, comme moi, des rapports plus étroits avec les gouvernants, je m’adresse à la conscience de mes compatriotes, femmes et hommes, pour que nous réclamions un jour ensemble que le vide juridique actuel en matière d’avortement, un état de chose injuste, soit modifié en notre pays.
Cependant, tenant compte de l’impasse politique et juridique dans laquelle nous vivons, je lance un appel avec mon collègue d’Ottawa pour qu’une campagne de sensibilisation et des programmes d’aide aux femmes en détresse se développent davantage en notre pays. Il manque beaucoup d’information, d’accompagnement et d’aide financière, pour que les femmes enceintes soient mises en situation de faire un choix éclairé. Il importe beaucoup qu’à tous les niveaux, gouvernemental, médical et social, des programmes d’aide plus efficace pour les femmes en situation de grossesse difficile soient mis en œuvre afin que le plus grand nombre possible parmi elles puissent éviter l’avortement.
Le débat actuel nous place d’une façon inattendue devant un choix de société qui peut dépasser les clivages habituels et rallier le plus grand nombre. La présence des jeunes dans ce débat révèle une nouvelle sensibilité qui n’est plus celle d’il y a vingt ans. L’expérience des familles a aussi beaucoup changé, mais le fait demeure que la venue d’un enfant apporte au foyer beaucoup de bonheur.
Cette valeur s’ajoute à tout un patrimoine de solidarité sociale pour les plus démunis qui fait notre fierté et qui réclame du Québec et de toutes les provinces du Canada un nouveau choix. Il appartient désormais à tous et toutes de réfléchir à ce choix. N’ayons pas peur de ce débat qui configurera l’avenir de notre peuple.
Québec, 26 mai 2010
Mgr Terrence Prendergast, s.j., archevêque d’Ottawa, a tenu les propos suivants en anglais.
1) Il y a deux semaines, environ douze mille personnes se sont rassemblées sur la Colline Parlementaire et des milliers d’autres dans plusieurs villes canadiennes pour déclarer ouvertement leur position à la défense des enfants à naître. Ces gens représentent plusieurs membres de la majorité silencieuse qui se tiennent du côté de la vie. L’important caucus pro-vie de notre gouvernement fédéral travaille dans l’ombre, jour après jour, pour garder la vie humaine en tête des programmes gouvernementaux.
2) Être activement en faveur de la vie, c’est contribuer au renouveau de la société par la promotion du bien commun. Il est impossible d’avancer le bien commun sans reconnaître et défendre le droit à la vie, sur lequel reposent tous les autres droits inaliénables des individus et qui se développent à partir de lui. Il ne peut pas y avoir de vraie paix sans que la vie soit défendue et favorisée.
3) Nous ne devons jamais perdre de vue les atrocités contre les enfants à naître, la souffrance qui n’est pas dite et dont on parle trop peu souvent. On ne peut pas oublier l’angoisse qui demeure chez tous ceux qui ont été impliqués dans les avortements. Faire autrement a sérieusement rétréci notre discours sur les valeurs morales, discours qui doit être tenu sur les places publiques de notre nation.
4) Tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, tout ce qui viole la dignité de la personne humaine, tout ce qui fait insulte à la dignité humaine… tout ça et plus encore empoisonnent la société humaine. S’inquiéter de l’avortement et des conséquences pour la mère et son enfant n’est pas une excuse pour l’indifférence envers ceux et celles qui souffrent de la pauvreté, de la violence et de l’injustice. Nous devons tendre à voir toute la situation, non pas avec une vision télescopique. Nous ne pouvons pas ignorer les autres grands défis auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui. Mais là n’est pas notre propos aujourd’hui.
5) Car, le droit à la vie est primordial. Dans l’encyclique du Pape Benoît XVI, Caritas in Veritate (L’amour dans la vérité), le Saint-Père parle clairement de la dignité et du respect de la vie humaine : « L’ouverture à la vie est au centre du vrai développement… Quand une société s’oriente vers le refus et la suppression de la vie, elle finit par ne plus trouver les motivations et les énergies nécessaires pour œuvrer au service du vrai bien de l’homme. Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent » (N. 28).
6) Être en faveur de la vie n’est pas l’activité d’un parti politique ou d’un côté particulier de l’éventail politique. C’est une obligation pour tous : de gauche, de droite ou de centre! Si nous sommes en faveur de la vie – pro-femme, pro-enfants, pro-famille – nous devons éveiller la culture qui nous entoure, et offrir des solutions positives. Voilà le but positif qui m’a conduit ici à joindre le cardinal Ouellet aujourd’hui pour lancer un appel au nom des femmes qui ne trouvent aucune alternative aidante lorsqu’elles sont devant une grossesse non prévue et au nom de l’enfant que la femme porte dans son sein.
7) Partout au Canada, il y a des centres publics, catholiques et chrétiens qui tendent la main pour aider les personnes en détresse devant une grossesse et une nouvelle vie. Le travail exemplaire de Birthright croise toutes les lignes religieuses ou sectaires et représente la vie. Plusieurs villes, de Vancouver à St. John’s, sont dotées de Centres de ressources pour les jeunes femmes et jeunes hommes afin de préserver, de protéger et de soutenir la vie de l’enfant nouvellement conçu, ainsi que leur propre dignité humaine. Là, pour sauver des vies, des gens ordinaires tendent la main à celles et ceux qui vivent une crise et sont en détresse.
Ce que Monsieur le Cardinal et moi demandons aujourd’hui, c’est que les agences gouvernementales assument leur rôle propre de fournir de l’aide aux femmes enceintes en détresse – et aux autres personnes touchées par la nouvelle vie dans le sein – afin de réduire le nombre extrêmement élevé d’avortements dans notre pays.
Terrence Prendergast, S.J.
Archevêque d’Ottawa