Ce lundi 23 septembre s’ouvrait l’Assemblée plénière des évêques catholiques du Canada, à l’hôtel du Mont-Gabriel, à Sainte-Adèle, au Québec. L’événement, qui rassemble toute la semaine près de 80 évêques venus de tout le pays, s’est ouvert par une messe célébrée dans la matinée par Mgr Paul-André Durocher, vice-president de la CECC et évêque de Gatineau. Voici le texte complet de son homélie .
Je dois admettre que je ne connaissais pas beaucoup Padre Pio avant de me retrouver à Rome comme étudiant en théologie à l’âge de quarante ans. J’étais allé à la pharmacie me procurer un médicament : j’ai été frappé par la grande photo duPadre Pio accroché sur le mur derrière la caisse. De retour à la résidence, on m’a expliqué à quel point Padre Pio était le saint préféré des Italiens. De fait, j’ai commencé à remarquer toutes les photos du saint qu’on pouvait trouver dans les magasins de Rome.
Ce phénomène m’a frappé encore plus lorsque je me suis retrouvé au Vatican pour ma première visite ad limina en tant qu’évêque. C’était en mai 1999. La date retenue pour la visite des évêques de l’Ontario coïncidait avec la béatification de Padre Pio. Je me souviens d’être assis sur l’esplanade de la place St-Pierre, non loin de l’autel, ému par la foule immense qui s’y était rassemblée pour l’événement, profondément touché par la joie et la dévotion de ce peuple.
L’an dernier, lors de la visite annuelle de la présidence de la CÉCC au Vatican, je suis entré par curiosité dans une de ces nombreuses églises qui abondent dans le centre historique de Rome. Celle-ci s’appelle San Salvatore in Lauro. Je ne savais pas que c’est aussi le sanctuaire romain consacré à Padre Pio. J’y ai trouvé une sculpture remarquable : Padre Pio, à la place de Simon de Cyrène, aidant Jésus à porter sa croix. Jésus a le visage tourné pour regarder Padre Pio, celui-ci n’a d’yeux que pour son Sauveur. Quelle belle expression de l’union intime du disciple et de son maître. Quelle puissante évocation de l’expression de Saint Paul : « Avec le Christ, je suis fixé à la croix : je vis, mais ce n’est plus moi; c’est le Christ qui vit en moi. »
Il y eut une époque dans l’Église où l’on se glorifiait des mortifications qu’on pouvait s’imposer : jeûnes, pénitences, autoflagellation, veilles, travaux onéreux, nourriture exécrable. Dans tout ceci, on tentait de s’unir au Christ dans sa souffrance sur la croix. Mais ce courant spirituel, qu’on identifie aujourd’hui comme le dolorisme, risquait d’oublier un fait capital. Sur la croix, Jésus a transformé sa souffrance, et la violence qui en était la cause, en geste d’amour, de pardon, de don ultime de lui-même au Père et à nous. Rappelons-nous les paroles du Pape Jean-Paul II : « L’Esprit Saint, en tant qu’Amour et Don, descend, en un sens, au cœur même du sacrifice offert sur la Croix… Il consomme ce sacrifice par le feu de l’Amour qui unit le Fils au Père dans la communion trinitaire. »
Ainsi, le mystère de la Croix n’est-il pas d’abord un mystère de souffrance, mais un mystère d’amour : amour de Dieu, amour des enfants de Dieu. Les deux axes de la Croix évoquent ces deux amours d’une façon visuelle : la poutre verticale nous rappelant le mouvement qui unit le ciel et la terre, la poutre horizontale nous rappelant le mouvement qui unit tous les humains en un seul corps.
Lorsque Jésus dit à ses disciples : “Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive”, il ne les invite pas à la souffrance, mais à l’amour : amour de Dieu, amour des humains. Certes, l’amour comporte son poids de souffrance, cela est inévitable; mais c’est à l’amour que nous convie Jésus.
Padre Pio a compris cela. Il ne se glorifiait pas de ses souffrances, il les trouvait plutôt gênantes. Il aurait voulu que ses stigmates soient purement intérieurs, afin qu’elles n’attirent pas d’attention. Il désirait plutôt que notre attention soit portée sur le Christ à aimer et à imiter, et sur nos frères et sœurs, surtout les plus pauvres, à aimer et à soigner. La grande œuvre qu’il a laissée n’est pas un sanctuaire, mais un hôpital. Dès que sa réputation a commencé à attirer vers lui les pauvres et les malades, il a voulu qu’on leur construise un centre de soins physiques et spirituels. En 1956, lors du premier anniversaire de l’ouverture de sa “Casa Sollievo della Sofferenza”, il disait : “L’amour est l’actualisation et la communication de la vie surabondante que Jésus a déclaré être venu donner…. L’amour divin se fortifie dans l’esprit du malade grâce à l’amour de Jésus crucifié qui émane de ceux qui l’assistent dans l’infirmité de son corps et de son esprit… Ici, les patients, les médecins, les prêtres seront des réserves d’amour qui, plus il abonde dans le cœur de l’un, plus se communiquera à l’autre.”
Ces paroles d’un saint qui avait reçu le nom “François” lors de son baptême, elles trouvent un écho dans les paroles et les gestes d’un pasteur qui a choisi le nom de“François” lorsqu’il est devenu pape. Nous avons tous été touchés par l’interview qu’il a accordée et qui a été publiée la semaine dernière. Entre autres, nous y avons lu ces mots : “La chose dont a le plus besoin l’Église d’aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a le cholestérol et si son taux de sucre est trop haut! Nous devons commencer par soigner ses blessures. Ensuite, nous pourrons aborder le reste… La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les évêques, en particulier, doivent être des hommes capables de soutenir avec patience les pas de Dieu parmi son peuple, de manière à ce que personne ne reste en arrière, mais aussi d’accompagner le troupeau qui a le flair pour trouver de nouvelles voies. Au lieu d’être seulement une Église qui accueille et qui reçoit en tenant les portes ouvertes, cherchons plutôt à être une Église qui trouve de nouvelles routes, une église capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas. Mais il y faut de l’audace, du courage.”
Il est bon pour nous, évêques canadiens, d’entendre ces mots alors que nous nous rassemblons pour notre réunion annuelle. Nous tenterons ensemble de vivre les deux mouvements de la croix : l’union à Dieu dans la prière personnelle et dans la célébration quotidienne de la liturgie des heures et de l’Eucharistie; l’amour miséricordieux pour nos frères et sœurs alors que nous consacrerons de grandes plages de temps aux défis que doivent relever les familles aujourd’hui, d’une part, et à notre engagement pour la charité et la justice dans le monde par le biais du réseau des Caritas, dont fait partie l’Organisation canadienne catholique pour le développement et la paix. Mais il nous faudra de l’audace et du courage. Cette force, nous ne la trouverons qu’au pied de la Croix du Christ.
Je ne peux m’empêcher, en concluant ma réflexion, d’évoquer le débat au Québec autour du crucifix suspendu au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale. Les partis politiques sont bien voulant de le laisser là comme vestige patrimonial de la culture québécoise. Mais pour les croyants et les croyantes que nous sommes, un crucifix est bien plus qu’un rappel du passé. Il est un symbole vivant de l’appel qui nous habite, bien plus, de Celui qui nous habite. Il nous rappelle que notre vie prend tout son sens lorsque nous nous ouvrons à l’amour qui vient d’en haut, et que nous nous consacrons à répandre cet amour autour de nous. Jacques Cartier a planté une croix lorsque pour la première fois il a débarqué sur cette plage qui deviendrait un jour sol canadien. Notre mission, c’est de replanter la croix sur ce sol canadien tous les jours de notre vie, partout où nous passons, en témoignant de notre foi, en semant l’espérance et en partageant l’amour qui nous pousse vers l’autre pour qu’il vive en plénitude. Que cette semaine, la croix soit au centre de notre rencontre. Et que chaque jour, la croix soit au centre de nos vies.