Discours prononcé ce lundi 23 septembre par Mgr Richard Smith, archevêque d’Edmonton et président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, à l’occasion de l’Assemblée plénière de la CECC qui se tient à Sainte-Adèle (Québec), jusqu’au 27 septembre.
Chers frères évêques, chers invités, chers membres de notre personnel,
Introduction : Envoyés par le Christ dans la périphérie
Le 11 février de cette année, un photographe a capté la foudre qui frappait la coupole de la basilique Saint-Pierre de Rome. La photo a fait le tour du monde. Pour bien des gens, le phénomène symbolisait le choc vécu par l’Église le jour même, quand le pape Benoît XVI a annoncé qu’il renonçait à ses fonctions. Rares sont ceux d’entre nous qui oublieront cette journée. Pendant huit ans, nous avions aimé et suivi notre Saint-Père, nous avions été les témoins oculaires et les bénéficiaires d’un magistère extraordinaire. Le pape Benoît XVI a été pour l’Église et pour le monde un maître extrêmement doué, qui dans chaque lettre, chaque discours, chaque message et chaque homélie de son ministère pétrinien, a su expliquer la foi d’une manière aussi compréhensible qu’attrayante. Les qualités personnelles qui ont sous-tendu son ministère se sont manifestées de manière éclatante au moment de sa renonciation : l’humilité, la simplicité, le courage et le don total de soi pour le bien de l’Église. Nous avons été nombreux à participer à des célébrations liturgiques et à rendre grâce à Dieu pour le don du pape Benoît XVI, conscients qu’une fois encore, le Seigneur nous avait fait la grâce de nous donner un géant pour pasteur, et sûrs que la pensée que le Pape nous a léguée continuera de nourrir l’Église pour plusieurs générations.
Peu après, l’Église invoquait l’Esprit Saint pour qu’il guide le choix d’un nouveau pontife. Et, de nouveau, nous avons été secoués par un coup de tonnerre dans un ciel bleu. J’étais à la Place Saint-Pierre quand la fumée blanche est apparue. Je peux vous assurer que l’atmosphère était vraiment chargée d’électricité pour accueillir le nouveau successeur de saint Pierre. Le niveau d’énergie a encore augmenté quand on a présenté au monde Jorge Mario Bergoglio comme le pape François. À compter de cet instant, et sans relâche depuis, il nous a tous convoqués à un ministère et à une mission qui mettent au cœur de nos préoccupations ceux et celles que la société relègue à la périphérie. Dans les quelques mois qui se sont écoulés depuis son élection, le pape François a eu souvent l’occasion de prendre la parole. Ce qu’il n’en finit plus de souligner dans ses allocutions, c’est son souci profond pour toutes les personnes qui vivent dans la périphérie, dans les marges de notre société. En allant visiter des jeunes dans une prison romaine, des migrants sur l’île italienne de Lampedusa, les défavorisés d’une favela brésilienne, le Saint-Père appelle l’Église entière à se laisser étreindre par l’énergie de l’amour divin et à laisser son dynamisme nous envoyer de nouveau en mission.
Cette année, notre Assemblée plénière sera largement façonnée par cet appel du pape François. Nous considérerons la « périphérie » canadienne sous différents angles et nous discernerons comment nous sommes appelés, ici et maintenant, à lui être présents avec la bonne nouvelle de la fidélité et de l’amour du Christ. Le plan de notre semaine s’inspire du chapitre sept de Pastores Gregis, qui a pour titre « L’évêque face aux défis actuels ». Nous prêterons une attention particulière au rôle de l’évêque dans le travail pour la justice et la charité, dans le dialogue interreligieux en vue de la paix mondiale et par rapport aux nombreux problèmes civils, sociaux et économiques qui se posent à nous. Le fil conducteur de notre semaine sera l’idée de périphérie : elle nous guidera à travers les thèmes suivants.
La solidarité avec le peuple des Premières Nations
Beaucoup trop longtemps, les populations autochtones du Canada ont été cantonnées dans la périphérie, non seulement dans la périphérie géographique de notre pays, mais aussi dans celle de la conscience de ses habitants. Juste avant l’ouverture officielle de notre Assemblée, des évêques ont tenu un forum spécial sur les besoins de nos frères et sœurs des Premières Nations. Cette initiative, commencée l’an dernier, se poursuivra. Dès le début, l’Église s’est approchée du peuple des Premières Nations et elle continue de chercher des façons de se solidariser avec lui face aux défis qu’il lui faut relever aujourd’hui. Par ailleurs, notre longue association avec nos frères et sœurs autochtones nous a permis d’apprécier le don magnifique qu’ils sont pour l’Église et pour le pays. La chose a été soulignée avec éclat lors de la canonisation de Kateri Tekakwitha. Plusieurs membres de notre Conférence ont fait le pèlerinage à Rome avec leurs fidèles, en octobre dernier, pour assister à cet événement historique. La conviction qui a envahi et réuni nos cœurs à cette occasion est encore bien vivante aujourd’hui. Dieu nous a donné en sainte Kateri un modèle d’inculturation et de réconciliation, qui devrait inspirer notre travail ensemble aujourd’hui et à l’avenir. Sa canonisation a coïncidé avec le Synode sur la Nouvelle Évangélisation, devant lequel quatre membres de notre Conférence ont fait des interventions. La place centrale de Jésus dans la vie de Kateri fait ressortir d’une manière admirable l’importance qu’a donnée le Synode à la rencontre personnelle avec le Christ, fondement de la diffusion de l’Évangile.
Protéger la vie et la famille
Il n’y a pas de milieu qui favorise davantage cette rencontre que la famille. Première école de sainteté, la famille dispense l’apprentissage de l’apostolat (cf. Apostolicam Actuositatem, 30,2). Une famille en santé, véritable Église domestique, est donc inséparable de l’évangélisation. C’est là une des principales raisons qui nous ont amenés, comme membres de la Conférence, à proposer les éléments qui bâtiront avec le temps un plan national pour la vie et la famille. En mai, nous avons célébré notre première semaine nationale, et nous avons décidé d’en faire un événement annuel. Comme évêques, nous nous réjouissons de voir nombre de familles vivre leur vocation dans la joie et contribuer ainsi à renforcer la communion ecclésiale et le tissu social. Par ailleurs, nous nous inquiétons de constater que le dessein de Dieu sur la famille se heurte aujourd’hui à divers obstacles qui tendent à le reléguer en marge de la réflexion humaine. Ces obstacles ne viennent pas seulement des courants d’opinion dans notre pays qui prétendent concevoir et implanter une conception de la famille différente de celle que Dieu a inscrite dans la constitution même de la personne humaine, mais aussi des influences toujours plus diverses et néfastes qui agressent les familles tous les jours, qu’il s’agisse de la toxicomanie, de la pornographie ou même de la violence conjugale. Nous avons la responsabilité comme évêques d’enseigner la beauté et la merveille de la vie, du mariage et de la famille, et d’apporter notre soutien à tous ceux et celles qui éprouvent des difficultés. Nous avons donc invité des représentants des Offices de la famille des archidiocèses de Québec, de Montréal et de Toronto, ainsi que du diocèse de London à animer une séance sur la réalité et les besoins de la famille contemporaine, afin que notre planification pastorale, individuelle et collective bénéficie de l’information la plus à jour.
Le ministère de la Caritas
Dans les marges de notre société se trouvent toujours le pauvre, le sans-abri, le sans-emploi, le toxicomane et le prisonnier. Par les innombrables actions charitables des fidèles et des institutions de nos diocèses, l’Église est présente dans un service d’amour. Depuis notre dernière Assemblée plénière, Benoît XVI a publié sa Lettre apostolique sous forme de motu proprio Intima Ecclesiae Natura, sur le service de la charité. Dans le prolongement de l’enseignement qu’il avait proposé dans Deus Caritas Est, le Pape rappelait aux évêques la responsabilité première qui est la nôtre du ministère de la diakonia et il déployait un cadre juridique défini pour mettre en ordre les différentes institutions ecclésiales vouées à la charité. Comme nous le savons, l’accent est mis dans cette lettre sur la responsabilité et l’engagement de l’évêque local dans les activités caritatives de son diocèse. Mais le texte attire aussi l’attention sur le rôle de la conférence épiscopale. La chose est devenue évidente avec la publication en mai d’une lettre du Président du Conseil pontifical Cor Unum, dans laquelle le cardinal Robert Sarah décrit quelques aspects pratiques de la mise en application du motu proprio. C’est pourquoi nous consacrerons à cette question une journée de notre assemblée. Pour guider notre réflexion, nous aurons la joie d’accueillir Monsieur le cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga et Monsieur Michel Roy, respectivement président et directeur général de Caritas Internationalis. Leurs exposés sur la présence et le ministère de Caritas à l’échelle mondiale amorceront nos échanges sur les rapports de notre Conférence à la diakonia de la charité dans notre propre pays.
Bien sûr, notre sollicitude et notre service pastoral débordent largement nos frontières nationales. Nous travaillons depuis des années avec l’Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix et avec la Catholic Near East Welfare Association (CNEWA) au service de nos frères et sœurs qui vivent différentes formes de marginalisation à travers le monde. Notre souci le plus récent concerne la situation au Moyen-Orient. En mai de cette année, je me suis joint en votre nom aux chefs d’autres Églises et communautés ecclésiales présentes au Canada pour signer une lettre commune au Premier Ministre. Cette lettre du Conseil canadien des Églises exprimait notre inquiétude face aux souffrances sans nombre des gens de la région, et demandait une action ou une pression, quelle qu’elle soit, pour leur venir en aide. À l’heure qu’il est, c’est la situation en Syrie qui est la plus grave, et nous sommes intervenus en partenariat avec Développement et Paix pour réagir à la détresse des gens de là-bas. Travaillant de concert avec la CNEWA et les Jesuit Relief Services, Développement et Paix emploiera les fonds recueillis dans le cadre de notre collecte nationale pour appuyer le travail des autres agences Caritas. Comme vous le savez, quand cette campagne de collecte de fonds a été lancée en juin dernier, les évêques du Canada avaient proposé un jour de jeûne national pour la paix en Syrie le 14 septembre, fête de la Sainte Croix. Entre-temps, le pape François a proclamé un jour de jeûne analogue pour le 7 septembre, vigile de la naissance de Marie, Reine de la Paix. C’est ainsi que nous avons eu la chance de célébrer deux journées de prière pour qu’avec l’intercession de Notre Dame, la puissance de la Croix apporte à la Syrie et à tout le Moyen-Orient une paix authentique et durable. Une séance animée par notre Commission épiscopale responsable des relations ecclésiales et interreligieuses orientera nos échanges sur ce qui peut se faire de plus pour promouvoir une meilleure compréhension dans nos diocèses, particulièrement sur comment la crise au Moyen-Orient a affecté les relations entre les communautés confessionnelles.
Défendre la liberté religieuse
L’espoir d’une vie nouvelle sous le signe de la paix au Moyen-Orient peut se nourrir des développements que connaît actuellement l’Église en Ukraine. Le mois dernier, j’ai visité ce pays au nom de la Conférence pour un événement véritablement historique. Pendant des générations, l’Église catholique grecque de ce pays n’a pas seulement été refoulée dans la marge, elle a été contrainte de survivre dans la clandestinité. Jusqu’à la libération en 1991, cette Église a vécu et célébré le culte dans les catacombes. Et pourtant, en août de cette année, pour célébrer le 1025e anniversaire du baptême du peuple de la Rus’ de Kiev, son archevêque majeur, en présence de plusieurs milliers de prêtres, de religieux et religieuses et de fidèles du monde entier, consacrait une magnifique cathédrale neuve sur la rive orientale du fleuve Dniepr. Ce splendide édifice a reçu le nom de Cathédrale de la Résurrection du Christ, ce qui démontre la force du témoignage de foi. Grâce à la résilience et à la fidélité du peuple ukrainien à travers de longues années de tyrannie et d’oppression, Dieu a façonné un nouveau commencement débordant d’espérance.
Comme je l’ai dit aux évêques ukrainiens quand j’ai pris la parole devant leur Synode, je suis convaincu que leur exemple peut être une inspiration pour nous au Canada. Dans un contexte différent, bien entendu, l’Église doit affronter dans notre propre pays des pressions qui cherchent à la reléguer dans la marge, ce qui renverse complètement la question des rapports entre l’Église et la périphérie. En vertu du mandat que lui confère l’Évangile, l’Église n’hésite pas à aller vers les personnes dans la marge pour réaffirmer leur dignité et promouvoir leur pleine inclusion dans la société. Mais au moment où nous nous dirigeons vers la périphérie, bien des gens voudraient nous y maintenir, voire nous y précipiter. La liberté de conscience et de religion et la contribution de l’Église au débat sur le bien commun ont fait l’objet en 2012 d’une prise de position du Conseil permanent dans un document consacré à cette question. Le problème reste d’actualité. C’est pourquoi, sous la direction de notre Commission épiscopale pour la doctrine, nous l’examinerons de nouveau pendant cette Assemblée plénière. Les tendances que nous observons ont de quoi inquiéter, c’est vrai, mais elles n’ont rien d’étonnant. Pour l’Église fidèle à son Seigneur, il en a toujours été ainsi. La fidélité de nos sœurs et de nos frères face à la souffrance, en Ukraine et ailleurs, nous encourage à nous montrer fidèles et constants, sûrs que le Seigneur apaisera la tempête.
Anniversaires
En plus de prêter attention à ces nombreux problèmes pastoraux, nous aurons l’occasion, pendant la Plénière, de souligner quelques grands anniversaires. Cette année marque le 50e anniversaire de Pacem in Terris. Nous avons demandé à notre Commission pour la justice et la paix de nous guider dans une réflexion sur ce document et son importance pour nous aujourd’hui. 2013 représente aussi un anniversaire particulièrement significatif pour la CECC. Notre Conférence épiscopale a été créée il y a 70 ans. Nous soulignerons l’événement par un dîner de fête, auquel nous avons invité nos anciens présidents; à cette occasion, deux d’entre eux partageront avec nous quelques souvenirs et réflexions.
L’administration de la CECC
Il va sans dire que le travail de notre Conférence s’appuie lourdement sur un Secrétariat général et un personnel d’appoint compétents et efficaces, qui travaillent de concert dans un cadre financièrement durable. Les deux dernières années ont été marquées par un regain d’effort pour réorganiser le Secrétariat général de la Conférence. Ceci a entraîné des réductions de dépenses là où c’était nécessaire et de nouveaux investissements dans des infrastructures négligées jusqu’ici. C’est ainsi que notre masse salariale annuelle a été réduite d’un montant net de plus de 945 000 $. Nous avons dépensé plus de 250 000 $ pour la mise à niveau de notre système informatique, ce qui n’avait pas été fait depuis quinze ans. Ces changements nous ont permis de transmettre à nos diocèses les informations les plus à jour sur certains des événements les plus importants de la vie de l’Église. Nous sommes maintenant en mesure de diffuser sur notre site Internet de grandes émissions en provenance de Rome, grâce à la collaboration de Télévision Sel + Lumière. Comme vous le savez, le Bureau de direction et le Conseil permanent ne pourraient s’acquitter de leur mandat sans l’aide de nombreux collaborateurs et collaboratrices, dont les professionnels qui travaillent pour notre Conférence. En votre nom, je leur exprime nos plus sincères remerciements pour leur dévouement et leur travail acharné au service de tous les évêques de notre pays.
Conclusion
Lors de la Journée mondiale de la jeunesse au Brésil, plus de 1 000 délégués canadiens ont participé à un rassemblement de près de quatre millions de personnes qui ont entendu le pape François relancer l’appel de Notre Seigneur à aller faire des disciples. Dans le contexte de cet événement extraordinaire, le Pape a rencontré les évêques du Brésil et il leur a parlé des besoins de la multitude d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, et en particulier de leur « besoin d’être rejoints par le regard miséricordieux du Christ Bon Pasteur, que nous [les évêques] sommes appelés à rendre présent ». Il est clair que ces paroles s’adressent aussi à nous, si nous pensons à la multitude d’hommes, de femmes et d’enfants de notre propre pays, qui ont besoin de rencontrer la personne aimante et miséricordieuse de Jésus pour retrouver l’espoir. Puissent notre réunion et nos délibérations de cette semaine nous confirmer dans la réponse que nous donnons à l’appel que nous avons reçu : appel à rendre le Christ présent et à proclamer non seulement à la périphérie, mais en toutes circonstances et à tous les niveaux de notre société, la vie nouvelle et l’espérance que Jésus seul peut apporter.