(Sur l’adoption et l’application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones)
1. Introduction : La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Voilà presque un an, la Commission de vérité et réconciliation du Canada publiait 94 Appels à l’action. L’un de ceux-ci demande aux groupes confessionnels au Canada d’« adopter officiellement et de respecter les normes et les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation ». Les évêques catholiques, les instituts de vie consacrée, les sociétés de vie apostolique et les autres organisations catholiques au Canada appuient la Déclaration et ils estiment que son esprit peut être le point de départ d’une réconciliation entre autochtones et non-autochtones au Canada. D’ailleurs, le bureau du Saint-Siège qui intervient aux Nations Unies – l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU – a appuyé explicitement cette Déclaration à plusieurs occasions2345 .
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007. Sur le plan technique, il s’agit d’un « instrument de défense des droits de la personne », et non d’un traité ou d’une convention : une fois adoptée, elle n’a donc pas à être signée ou ratifiée. Elle s’adresse aux gouvernements des États nations; en ce sens, elle ne fait pas référence aux églises ou aux groupes religieux. Ce qui ne veut pas dire que les églises et les groupes religieux ne peuvent pas chercher à mettre en pratique les principes qu’elle formule. Étant donné que les églises et les groupes religieux font partie intégrante de la société au nom de laquelle parle et agit le gouvernement, il nous importe de nous faire entendre.
Les grands thèmes de la Déclaration présentent une forte convergence avec diverses déclarations qu’a déjà faites l’Église catholique par la voix de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) ou du Saint-Siège. C’est le cas notamment du droit des peuples autochtones à l’autodétermination, à l’autonomie gouvernementale et à leurs propres institutions, du droit à leurs territoires traditionnels, du droit à un processus équitable dans le règlement des revendications territoriales, du droit à leurs coutumes et à leurs traditions culturelles, du droit de pratiquer et de manifester leurs coutumes et leurs traditions spirituelles, du droit de préserver leurs langues, du droit à leurs propres établissements d’enseignement, du droit à l’amélioration de leur situation économique et sociale, du droit de diriger leur propre développement et du droit à la reconnaissance et à l’application des traités.
2. Le respect des pratiques spirituelles autochtones
Un principe qui touche la vie et la mission de l’Église catholique est formulé à l’article 12(1) de la Déclaration. Il stipule que « les peuples autochtones ont le droit de manifester, de pratiquer, de promouvoir et d’enseigner leurs traditions, coutumes et rites religieux et spirituels ». Le non-respect de ce droit traverse tout le Rapport final de la CVR. L’Église catholique proclame que Jésus Christ est « la voie, la vérité et la vie » (Jean 14, 6), mais il y a déjà longtemps par ailleurs, même si la chose est trop peu connue, qu’elle interdit toute coercition religieuse. Cet enseignement, malheureusement, n’a pas toujours été mis en pratique par certains de ses propres membres, le clergé notamment qui exerçait une grande influence sur les fidèles7 .
Dès les premiers contacts entre Européens et Autochtones, on signale que des missionnaires, aidés et encouragés par les puissances coloniales, ont contraint des autochtones à se faire baptiser et à devenir membres de l’Église catholique. La chose s’est répétée au point qu’en 1537 déjà le pape Paul III intervenait pour condamner cette pratique; l’évangélisation des peuples indigènes, déclara-t-il, ne doit se faire que « par la prédication de la parole de Dieu et par l’exemple d’une vie sainte et exemplaire8 ». C’est ainsi que le Code de droit canonique de l’Église a longtemps insisté pour qu’aucun adulte ne soit baptisé à moins d’en avoir exprimé le désir et de savoir ce que cela signifiait9 . Comme devait le formuler clairement la Déclaration sur la liberté religieuse du Deuxième Concile du Vatican, « c’est un des points principaux de la doctrine catholique… que la réponse de foi donnée par l’homme à Dieu doit être volontaire; en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui10 ». Le même Concile prescrit également que « dans la propagation de la foi et l’introduction des pratiques religieuses on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnêtes ou simplement peu loyaux11 ».
Bien que plusieurs des prêtres, des frères, des sœurs et des laïcs qui ont travaillé dans les pensionnats indiens l’aient fait avec générosité, fidèlement et dans le respect de leurs élèves, ce ne fut pas toujours le cas. Le Rapport final de la CVR remarque à juste titre que lorsque le personnel chrétien des pensionnats indiens traitait les élèves autochtones de « païens12 », qu’il les « diabolisait, les punissait et les terrorisait pour qu’ils acceptent les croyances chrétiennes13 », il agissait en contradiction fondamentale avec les convictions profondes du christianisme14 . Il est arrivé que des chrétiens n’aient pas été à la hauteur de ce à quoi ils étaient appelés par Dieu, et le manque de respect flagrant pour l’identité et la liberté des enfants autochtones que décrit le Rapport final de la CVR est particulièrement consternant; cela ne doit plus jamais arriver.
En 2012, le Conseil permanent de la CECC a publié une Lettre pastorale sur la liberté de conscience et de religion, où il déclarait que chacun « a le droit d’honorer Dieu selon la juste règle de sa conscience. Les autres, ainsi que la société civile, ont le devoir correspondant de respecter le libre épanouissement spirituel des personnes » [saint Jean XXIII, Pacem in terris, 14]. En plus d’être libre de toute contrainte extérieure, chacun doit pouvoir exercer librement le droit de choisir, de professer, de diffuser et de pratiquer sa propre religion en privé et en public. Ce qui comprend la liberté pour les parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions religieuses et de choisir des écoles qui offrent cette formation. En outre, l’État est tenu de protéger ce droit en l’encadrant sur le plan juridique et administratif, mais aussi de créer un environnement où il puisse s’exercer .
L’Église catholique ne revendique pas ces droits seulement pour les chrétiens, mais pour tout être humain – y compris celui qui choisit de suivre des formes de spiritualité et des croyances religieuses autochtones. Ne pas le faire, c’est aller à l’encontre de la mission de l’Église. Comme les évêques du Canada l’affirmaient en 2012, « nul individu, nulle collectivité et nul État ne sauraient oublier que la vérité ne s’impose jamais par la violence, mais seulement par la force de la vérité elle-même. Par conséquent, aucune religion ne peut être imposée de l’extérieur; elle doit être adoptée par la personne « uniquement à travers le processus de la conviction16 . »
Le Rapport final de la CVR signale qu’à propos du christianisme, certains autochtones « estiment que la spiritualité autochtone et la religion occidentale devraient coexister sur des chemins séparés, mais parallèles17 » alors que « les chrétiens autochtones qui pratiquent également la spiritualité autochtone cherchent la coexistence religieuse et spirituelle chrétienne et autochtone au sein des églises elles-mêmes18 ». Dans le cas de ceux qui cultivent la spiritualité autochtone à l’extérieur du christianisme, l’Église catholique les approche comme elle le ferait pour les fidèles de toute autre religion : sous le signe de l’humilité et du respect et en les invitant à un dialogue sincère19 . Comme l’écrivait en 1999 la Commission de la CECC pour l’évangélisation des peuples, « comme évêques, nous respectons vos coutumes ancestrales et votre héritage spirituel. Nous respectons aussi ceux et celles parmi vous qui avez trouvé dans l’expression contemporaine de ces traditions des façons d’honorer la puissance de Dieu présent dans toute la création. Nous renouvelons notre engagement relativement au dialogue qui s’est amorcé entre nos traditions spirituelles respectives». Pour ceux et celles qui vivent un catholicisme authentiquement autochtone, l’Église reconnaît que de diverses façons et à nombre d’endroits dans le passé, les autochtones ont été encouragés à abandonner complètement leur spiritualité, leurs cérémonies et leurs rituels. Depuis quelques années, plusieurs autochtones, tout en restant fermement attachés à leur foi en Jésus Christ qu’ils en étaient venus à connaître, expriment le désir de revendiquer et de pratiquer publiquement des traditions spirituelles autochtones. Porteuse de l’Évangile, l’Église est disposée à soutenir, à encourager, à offrir ses conseils et à apprendre à mesure que se déploie ce processus d’inculturation de l’Évangile.
En rejetant toute forme de coercition religieuse et en reconnaissant la souffrance qu’elle provoque, l’Église catholique ne cherche pas seulement à défendre un droit fondamental de la personne, mais à remplir sa mission, qui ne consiste pas à contraindre qui que ce soit à se convertir, mais à proposer à tous les peuples la beauté du mystère de Jésus Christ. Le christianisme, cependant, n’est pas lui-même une culture et il s’exprime de différentes façons puisque chacune des cultures qui l’accueillent lui apporte du neuf et du beau. Depuis près de cinq siècles, maintenant, des expressions spirituelles spécifiquement autochtones font partie du catholicisme dans les Amériques, en remontant à l’apparition de Notre Dame de Guadalupe à saint Juan Diego, un Indien aztèque, en 1531, quand la Mère de Dieu apparut à Juan sous les traits d’une femme indigène et s’adressa à lui dans sa langue nahuatl21 . Ce processus doit se poursuivre chez les catholiques autochtones du Canada, et il se vit dans nos paroisses et nos diocèses d’une manière plus intense depuis les 25 dernières années.
Lors de sa visite pastorale au Canada en 1984, saint Jean-Paul II a réitéré son respect pour les expressions de la spiritualité autochtone et souligné l’importance pour les autochtones de prendre toutes leurs responsabilités légitimes.
Votre rencontre de l’Évangile non seulement vous a enrichis, mais elle a enrichi l’Église. Nous savons bien que cela ne s’est pas fait sans difficulté, et parfois même sans maladresse… D’autre part, vos traditions amérindiennes et inuit permettent de nouvelles expressions du message du Salut et nous aident à mieux comprendre à quel point Jésus est Sauveur et son salut catholique, c’est-à-dire universel… Le Synode des évêques sur « la justice dans le monde » (1971) proclamait que, dans la collaboration mutuelle, chaque peuple devait être le principal artisan de son progrès économique et social, et aussi que chaque peuple devait prendre part à la réalisation du bien commun universel comme membre actif et responsable de la société humaine. C’est dans cette optique que vous devez être les artisans de votre avenir, en toute liberté et responsabilité. Que la sagesse des anciens s’allie à l’esprit d’initiative et au courage des plus jeunes pour relever ce défi!
Et considérant tout ce que les catholiques autochtones ont apporté à l’Église, les évêques catholiques du Canada écrivaient en 1993:
Les autochtones membres de notre Église vivent leurs valeurs culturelles (religieuses et sociales) à l’intérieur de la tradition de la foi catholique. L’Église apprécie ce développement d’une spiritualité autochtone catholique et d’une expression autochtone du catholicisme. Cette spiritualité est caractérisée par son lien intrinsèque harmonieux avec la création tout entière et avec les peuples, par l’importance qu’elle attache à la guérison individuelle et collective, par sa conviction de la nécessité d’une plus grande justice. Tous ces traits de la spiritualité indigène se trouvent présents d’une façon particulière dans l’Église grâce à la contribution qu’apportent les autochtones par leur présence et leur spiritualité.
3. Appuyer publiquement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
En 2007, les Nations Unies adoptaient la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Le Gouvernement du Canada avait exprimé des réserves à l’époque, notamment à propos du concept de « consentement préalable donné librement et en connaissance de cause » et de ses conséquences possibles. Par la suite, en 2010, le Gouvernement a publié une déclaration conditionnelle appuyant la Déclaration et réaffirmé « sa détermination à promouvoir et à protéger les droits des peuples autochtones, aussi bien au pays que dans le monde entier », tout en se disant confiant que « le Canada peut interpréter les principes de la Déclaration de façon conforme à sa Constitution et à son cadre juridique24 ». Plus tôt en 2010, quand le Gouvernement avait annoncé qu’il appuierait la Déclaration, le président de la CECC avait cosigné une lettre de chefs d’églises, publiée par Kairos (une coalition œcuménique dont fait partie la CECC) et adressée à plusieurs membres du cabinet; les leaders religieux exprimaient au gouvernement leur satisfaction pour l’appui donné à la Déclaration et le pressaient de « travailler en partenariat avec les peuples autochtones sur une façon respectueuse d’avaliser et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ».
Dans le prolongement de la Déclaration, une Conférence mondiale sur les peuples autochtones a eu lieu en septembre 2014 et a publié un Document final. Ici encore, le Gouvernement du Canada s’est objecté à de possibles conséquences des formulations employées dans le document au sujet du « consentement préalable donné librement et en connaissance de cause » par des autochtones à des projets qui les affecteraient eux, leurs terres, leurs territoires ou leurs ressources. Le 17 avril 2015, le président de la CECC envoyait une lettre, rédigée en collaboration avec le Conseil autochtone catholique du Canada, au Premier Ministre Stephen Harper pour demander au Gouvernement fédéral de continuer d’appuyer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de même que le Document final (ci-joint). La lettre mentionnait spécifiquement la nécessité pour les autochtones – au Canada et à l’étranger – d’avoir leur mot à dire sur les projets de développement qui les affectent, eux et leurs territoires traditionnels, notamment pour l’extraction de ressources naturelles.
4. Conclusion
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones représente « un idéal à atteindre dans un esprit de partenariat et de respect mutuel26 ». Elle offre aux Canadiens une importante série de jalons sur la route de la réconciliation. L’Église catholique au Canada n’est pas une Église nationale. Chaque diocèse, institut de vie consacrée et société de vie apostolique garde son autonomie en s’unissant à la communion de foi et d’amour. Bien qu’il n’y a pas de politique interne commune à tous les diocèses catholiques, aux instituts de vie consacrée, aux sociétés de vie apostolique, et aux organisations laïques catholiques, nous soussignés réitérons l’enseignement de l’Église catholique sur l’universalité des droits de la personne, et notamment le droit à la liberté de religion et de croyance. Nous faisons ici écho à la déclaration faite en 2009 par l’Observateur permanent du Saint-Siège sur l’importance de la Déclaration pour orienter les relations entre les États et les peuples autochtones : « Il faut des initiatives pertinentes guidées par les principes du respect de l’identité et de la culture des populations autochtones. La compréhension et le respect de leurs traditions culturelles, de leur conscience religieuse et de leur capacité bien établie de décider et de contrôler leurs programmes de développement favoriseront une meilleure interaction et une meilleure coopération entre les peuples autochtones et les États . »