Par Benoît Lévêque, séminariste en stage à Télévision Sel + Lumière
Le débat sur les sectes qui a agité durant quelques jours les politiciens français à la suite des déclarations d’Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du président de la République, a donné l’opportunité d’ouvrir un débat trop souvent occulté. En réalité, la question n’est pas de savoir s’il faut interdire ou autoriser les sectes, même si la campagne en vue des élections municipales de dimanche prochain prête à ce raccourci, mais plutôt de déterminer précisément ce qu’est une secte.
A l’origine le terme n’a pas une connotation négative mais il désigne communément les organisations philosophiques ou religieuses manipulatrices et possiblement dangereuses pour leurs membres et pour la société. Selon quels motifs peut-on dissoudre un groupe, une association qui se réunit autour de croyances communes ?
Le premier article de la Constitution de 1958 précise que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». C’est donc très clair, les français peuvent adhérer à la religion ou à la secte de leur choix pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public. La République laïque ne sachant pas distinguer ce qui est religieux de ce qui ne l’est pas ; son point d’appui ce sont les dérives sectaires. Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, a adressé une circulaire aux préfets le 25 février ordonnant de repérer les faits pénalement répréhensibles en précisant que l’arsenal juridique est « suffisant pour sanctionner les dérives sectaires ». La réalité, c’est que l’appréciation du problème n’est pas la même dans les différentes composantes de l’administration chargée de cette mission. Par exemple, le bureau des cultes du ministère de l’Intérieur reconnaît les Témoins de Jéhovah comme une religion alors que la Mivilitudes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires les considère comme fauteurs de trouble à l’ordre public. Il faut noter que ces deux institutions sont sous la responsabilité du même gouvernement. Ces divergences viennent sans doute d’un angle d’approche différent. Alors que les services du ministère de l’Intérieur se fient aux données judiciaires et policières qui relativisent l’importance des troubles à l’ordre public répréhensibles au vu du nombre de condamnations, la Mivilitudes qui travaille avec des groupes parlementaires et avec les associations d’aide aux victimes se montre beaucoup plus prompte à dénoncer la dangerosité de certains groupes. Ceci vaut à cette organisation d’être dénoncée par la Cour Européenne des droits de l’homme ou dans des rapports de l’ONU pour atteinte à la liberté de croyance. En effet, des groupes sont accusés de dérives sectaires selon des présomptions sérieuses mais qui relèvent de l’arbitraire.
Les catholiques ne peuvent que se féliciter de la vigilance de l’État à l’endroit des organisations déviantes qui prospèrent dans le milieu de la santé comme dans celui de l’entreprise. Mais depuis quelques années, la radicalisation des mouvements laïques ou « libres penseurs » dans la lutte contre les sectes inquiète. Le fait que les « experts » puissent déterminer si tel groupe ou telle communauté religieuse est une secte, est contesté par des religieux aussi bien que par des chercheurs qui mettent en doute le bien fondé des classements. La première version de la loi de lutte contre les dérives sectaires votée en 2001 donnait de larges possibilités pour les victimes présumées de se retourner contre les groupes religieux dont elles avaient fait partie. Avec l’objectif de rendre la vie des sectes plus difficile, la loi aurait aussi considérablement gêné les religions qui auraient été confrontées à des enquêtes judiciaires et policières pour déterminer si une personne a cru de son plein gré ou si elle a été endoctrinée.
Les anticléricaux qui luttent contre la présence des religions dans la sphère publique, trouvent dans les associations de lutte contre les dérives sectaires le lieu idéal pour poursuivre leur combat contre « les croyances qui aliènent les citoyens ». Ces « libres penseurs » se retrouvent alors dans le rôle des inquisiteurs qu’ils ont tant dénoncé.