Quand Dieu donne la vie…

La mort d’Eluana Englaro n’a pas le dernier mot déclarait le porte-parole du Vatican aujourd’hui. L’Italienne de 38 ans est décédée à peine quatre jours après son transfert à la maison de repos qui devait lui retirer progressivement son alimentation et son hydratation. La jeune femme qui était dans le coma depuis 1992 est devenue la nouvelle figure du débat sur l’euthanasie, un débat qui occupe toute l’Italie et qui captive l’attention du monde occidentale. L’euthanasie est une question complexe. En cette matière, l’Église offre des balises claires et sans équivoque, tout en reconnaissant la charge d’émotions et les difficultés qui entourent cette question.

Il arrive souvent que les décisions à ce sujet soient motivées par la compassion. Le père Léo Walsh de l’Institut catholique de bioéthique du Canada écrivait d’ailleurs que « cet élément est présenté comme un argument qui ne requiert aucune justification. Nous ne laisserions pas souffrir un chien comme nous laissons souffrir un humain. Pourquoi devrions-nous rester-là et regarder une personne que l’on aime endurer une agonie qui n’a aucun sens? Ainsi, si le motif semble correct, on présume que l’action le soit
tout autant.

Mais voilà, à en croire les médecins qui l’ont évaluée, Eluana ne souffrait pas. Il revenait tout de même à sa famille de décider pour elle. Encore là, le père Walsh nous éclaire : enlever intentionnellement la vie à une personne appartient à un tout autre domaine. Personne ne peut décider qu’une autre personne serait mieux morte que vivante. Ceci va littéralement au-delà de ce que la personne humaine peut juger. Présumer une telle aptitude revient à s’établir arbitre de la vie et de la mort, une position qui appartient uniquement à Dieu.

Ce que Dieu nous donne, Dieu seul peut le reprendre.

Jean-Paul II a clarifié la question de l’euthanasie et d’autres questions liées à la vie dans son encyclique Evangelium Vitae. Celui qui a témoigné de la dignité de la personne à travers sa longue maladie et sa mort nous a aussi laissé un enseignement qui fait figure de proue pour l’Église. Il mentionne d’abord que «  par euthanasie au sens strict, on doit entendre une action ou une omission qui, de soi et dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur. « L’euthanasie se situe donc au niveau des intentions et à celui des procédés employés ». » (EV, 5)  Il explique ensuite que l’euthanasie n’a rien à voir avec la décision de renoncer à l’acharnement thérapeutique, des interventions médicales disproportionnées auprès du malade par rapport au résultats/conséquences attendus. Les soins palliatifs sont toutefois d’une grande importance pour les malades à la fin de leur vie, pour alléger leurs souffrances et leur permettre de vivre une fin aussi paisible que possible. Le Pape peut ainsi continuer:

Ces distinctions étant faites, en conformité avec le Magistère de mes Prédécesseurs et en communion avec les Evêques de l’Eglise catholique, je confirme que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite; elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel.
(…)
66. Le choix de l’euthanasie devient plus grave lorsqu’il se définit comme un homicide que des tiers pratiquent sur une personne qui ne l’a aucunement demandé et qui n’y a jamais donné aucun consentement. On atteint ensuite le sommet de l’arbitraire et de l’injustice lorsque certaines personnes, médecins ou législateurs, s’arrogent le pouvoir de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Cela reproduit la tentation de l’Eden: devenir comme Dieu, « connaître le bien et le mal » (cf. Gn 3, 5). Mais Dieu seul a le pouvoir de faire mourir et de faire vivre: « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » (Dt 32, 39; cf. 2 R 5, 7; 1 S 2, 6). Il fait toujours usage de ce pouvoir selon un dessein de sagesse et d’amour, et seulement ainsi. Quand l’homme usurpe ce pouvoir, dominé par une logique insensée et égoïste, l’usage qu’il en fait le conduit inévitablement à l’injustice et à la mort. La vie du plus faible est alors mise entre les mains du plus fort; dans la société, on perd le sens de la justice et l’on mine à sa racine la confiance mutuelle, fondement de tout rapport vrai entre les personnes.

67. Tout autre est au contraire la voie de l’amour et de la vraie pitié, que notre commune humanité requiert et que la foi au Christ Rédempteur, mort et ressuscité, éclaire de nouvelles motivations. La demande qui monte du cœur de l’homme dans sa suprême confrontation avec la souffrance et la mort, spécialement quand il est tenté de se renfermer dans le désespoir et presque de s’y anéantir, est surtout une demande d’accompagnement, de solidarité et de soutien dans l’épreuve. C’est un appel à l’aide pour continuer d’espérer, lorsque tous les espoirs humains disparaissent. Ainsi que nous l’a rappelé le Concile Vatican II, «c’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet » pour l’homme; et pourtant « c’est par une inspiration juste de son cœur qu’il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa personne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui, irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort».

Cette répulsion naturelle devant la mort est éclairée et ce germe d’espérance en l’immortalité est accompli par la foi chrétienne, qui promet et permet de participer à la victoire du Christ ressuscité, la victoire de Celui qui, par sa mort rédemptrice, a libéré l’homme de la mort, rétribution du péché (cf. Rm 6, 23), et lui a donné l’Esprit, gage de résurrection et de vie (cf. Rm 8, 11). La certitude de l’immortalité future et l’espérance de la résurrection promise projettent une lumière nouvelle sur le mystère de la souffrance et de la mort; elles mettent au cœur du croyant une force extraordinaire pour s’en remettre au dessein de Dieu.

Étudiant, j’ai travaillé à l’infirmerie d’une grande communauté religieuse à Sherbrooke. Je me souviens très bien de ces deux religieuses alitées en permanence. Elles ne bougeaient pas. Elles ne parlaient pas. L’une semblait dans le coma alors que l’autre, atteinte d’Alzheimer, n’était plus présente au monde. Tout de même, les infirmières et les autres religieuses s’assuraient que les deux femmes étaient confortables, nourries et propres. Certaines allaient priaient auprès d’elles entre les deux lits, d’autres leur flattaient la tête en chantant. J’ai compris alors l’un des aspects de la dignité humaine : de la douceur, du respect et, dans ce cas-ci, de l’amour : la voie de l’amour dont parlait Jean-Paul II.  À 97 ans, l’une des deux religieuses ne pouvait plus respirer d’elle-même. Après quelques jours sur le respirateur artificiel, les sœurs ont finalement accepté de la laisser partir, ce qu’elle a fait tout doucement. 

Nous ne sommes pas les maîtres de la vie. Nous en sommes les gardiens, les protecteurs et les porteurs. Si un jour se pose à moi la décision de vie ou de mort pour quelqu’un que j’aime, je penserai à ces religieuses et à leurs gestes de vie. 

Secured By miniOrange