Par le père Thomas Rosica, C.S.B.
La Semaine Sainte est vraiment différente de toutes les autres semaines de l’année chrétienne. Les trois jours du Triduum se trouvent entre les quarante jours de Carême et les cinquante jours de Pâques. Le Triduum se termine l’après-midi du dimanche de Pâques. Cette semaine, la Passion, la souffrance, la mort et la résurrection du Seigneur sont les thèmes qui nous unissent le plus comme peuple chrétien et comme Église.
Lors de ce dimanche des Rameaux, nous ne pouvons nous empêcher de revenir sur les contrastes frappants du récit de la Passion selon saint Matthieu. L’évangéliste nous présente l’entrée triomphale de Jésus dans la ville pour la semaine finale et fatale pour sa vie. Nous accompagnons Jésus qui monte à Jérusalem au milieu de la foule criant « Hosanna, béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ! » La journée est remplie d’une louange et d’une allégresse débordante, mais il se profile à l’horizon une vague de haine, de destruction et de mort.
Nous aussi nous sommes pris dans la foule qui acclame son Messie et Roi alors qu’il descend le Mont des Oliviers… ne venant pas avec le cérémonial d’un cortège royal, mais sur une bête de somme. Quelles images saisissantes de la royauté, de l’humilité et de la divinité sont rassemblées dans cette scène paradoxale de l’entrée de Jésus dans sa ville ! Pleins d’enthousiasme, ils l’accueillent avec des rameaux comme le Roi de la paix et le porteur de l’espérance. Pleins de haine cinq jours plus tard, ils exigent sa mort sur la croix. Au dimanche des Rameaux nous sommes invités à demeurer parmi ceux qui lui sont restés fidèles même alors qu’il était sur la croix.
Le Jeudi Saint, les lectures de l’Écriture nous enracinent dans notre passé juif… . Célébrant la Pâque avec les Juifs, recevant de saint Paul ce qui lui a été transmis, le banquet eucharistique, et regardant le visage de Jésus lorsqu’il se met à genoux devant nous pour laver nos pieds humblement. Après l’écoute des Écritures, nous faisons quelque chose d’étrange : le lavement des pieds. Au cours de cette nuit, Jésus nous donne une image de ce à quoi l’Église est censée ressembler : une communauté de serviteurs, lavant les pieds.
Après le repas sur le mont Sion, Jésus est allé au jardin de Gethsémani et se jeta la face contre terre en pleurant. Trois fois, il a prié le Père, toujours pour dire la même chose – qu’il ne pouvait poursuivre le dessein de son Père. Il regardait fixement avec des yeux égarés le visage de l’ange qui cherchait à le réconforter. Nous ne pourrons jamais comprendre pleinement à quel point Jésus s’est abaissé dans sa souffrance, est descendu en enfer, là où tous les espoirs sont détruits. Pourtant, il n’y avait aucune puissance dans le monde qui pouvait nous prendre un tel sauveur. Ceux qui ont fait de la recherche d’eux-mêmes et d’une impitoyable affirmation d’eux-mêmes une règle de vie peuvent nous causer des souffrances et de la misère. Mais dans les profondeurs de notre être, ils n’ont plus de pouvoir sur nous, car ils n’avaient aucun pouvoir sur Jésus.
Le Vendredi Saint est le jour du paradoxe divin. L’émouvant récit de la Passion selon saint Jean est proclamé dans la liturgie. Nous nous réunissons en silence pour écouter le récit du disciple bien-aimé et de la mort du Messie. Comme la croix est élevée au milieu de nous, nous regardons cet instrument de mort et de destruction, et d’une manière étrange et silencieuse, nous trouvons la force et l’espérance dans nos propres luttes. Ce n’est pas seulement un jour de tristesse, c’est aussi un jour de gloire. Aujourd’hui, ce qui n’aurait pas pu demeurer autres choses que des souvenirs honteux se transforme en beauté, en espérance et en un appel continu à la bonté héroïque. Aujourd’hui le « grand prêtre » n’est pas loin de nous, ni éloigné de notre condition, mais il est celui qui éprouve de la sympathie pour nous parce qu’il a connu notre faiblesse et notre douleur et même nos tentations (Hébreux 4, 14-45).
Le Samedi Saint est le jour de la douleur et du deuil, de l’attente et de l’espérance. Ce temps que nous vivons peut être mis en parallèle avec l’expérience des disciples et de Marie, la mère du Seigneur, alors qu’ils laissaient l’impact de la mort du Seigneur devenir une réalité pour eux. Leur foi a été sévèrement mise en question alors qu’ils attendaient la résurrection.
À la fin d’une longue journée d’attente, nous célébrons la mère de toutes nos liturgies, une vraie fête pour les sens. L’Église se réunit entre les ténèbres et la lumière d’un feu nouveau et d’un grand cierge qui rendront cette nuit brillante pour nous. Nous écoutons les Écritures : récit de la création, Abraham et Isaac, Moïse et Myriam et la traversée de la mer, des poèmes de promesses et de réjouissance et l’histoire du tombeau vide. Nous voyons, nous entendons, nous goûtons, nous sentons la nouveauté de Dieu en Jésus Christ ressuscité d’entre les morts. Dans cette liturgie, le passé et le présent se rencontrent, la mort et la vie s’embrassent et la vie est triomphante ; nous rejetons le mal et renouvelons nos promesses baptismales à Dieu.
Regardons l’exemple de la femme qui a généreusement versé de l’huile précieuse sur la tête de Jésus en vue de la passion (Mt 26, 6-13). Ses disciples trouvent à y redire, et la réponse de Jésus à leurs objections est tout à fait révélatrice. Son acte prophétique est tout à fait extraordinaire dans le contexte de la passion selon saint Matthieu parce que nous découvrons dans les passages qui suivent que les disciples vont s’endormir (Pierre, Jacques et Jean), le trahir (Judas), et le renier (Pierre). Quel itinéraire pour les disciples les plus près de Jésus ! Mais quel courage, quelle audace et quel exemple de la part de cette femme !
Bien que cette femme anonyme ne pouvait pas comprendre pleinement la signification symbolique et prophétique de l’onction, ni l’à-propos de son geste ; elle désirait simplement être avec Jésus et lui exprimer son amour généreux et son attention. C’est ce que nous sommes appelés à faire cette semaine : aimer Jésus et être attentifs à lui tout au long du mouvement final de la symphonie de sa vie terrestre. Que nos vies soient comme la jarre d’onguent précieux que cette femme anonyme verse abondamment sur son Seigneur.
Bonne Semaine Sainte!