Par le père Thomas Rosica, c.s.b.
Le Vendredi Saint nous nous rassemblons ensemble, en communauté chrétienne, pour pleurer la mort de l’un des nôtres. Nous voyons « l’homme », Jésus, qui a pris sur lui tous nos péchés et tous nos échecs, pour que nous puissions faire l’expérience de la paix et de la réconciliation avec Celui qui l’a envoyé.
Chaque année au Vendredi Saint, nous lisons la Passion selon saint Jean. Tout ce récit profondément émouvant met l’accent sur la souveraineté de Jésus, même dans la mort. Dans le récit des dernières heures de Jésus, Ponce Pilate présente Jésus au peuple avec ces mots : Ecce Homo – Voici l’homme (19, 5). Quelle expression obsédante pour décrire les paradoxes de la personne et de la mission du Fils de Dieu. Ecce Homo – qui est venu dans le monde, étant sans péchés, parfait, juste, saint et nous l’avons tué. Ecce Homo – qui a vécu pour les autres, leur donnant la guérison, les rétablissant et les aimant pour la vie. Ecce Homo – qui a eu le courage à son époque de choisir des femmes comme disciples et amies proches. Ecce Homo – qui a revendiqué avoir une relation unique, personnelle, avec le Dieu d’Israël qu’il a appelé « Abba ». Ecce Homo – en qui l’humanité était si bien intégrée qu’il était pleinement homme et qu’il est vraiment un modèle pour chacun pour être pleinement humain, pour être authentiquement saint.
On nous demande le Vendredi Saint de réaliser profondément la tragédie de la mort de Jésus dans le contexte de nos propres épreuves, tristesses et morts. La croix de Jésus est un message, une parole pour nous, un signe de contradiction, un signe de victoire. Nous regardons la Croix et nous répondons dans la Foi au message de vie qui en découle, un message qui nous apporte la guérison et la réconciliation.
Alors que nous contemplons la croix de Jésus, peut-être que nous pouvons seulement crier : « Où est tu, Dieu ? » «Si seulement tu avais été là, notre frère ne serait pas mort ! ». Et dans la croix nous trouvons la réponse : Dieu est suspendu sur un arbre, dans le corps brisé d’un jeune homme – les bras ouverts pour nous embrasser – qui nous demande de grimper sur la Croix avec lui, pour voir le monde depuis une perspective entièrement nouvelle.
Ou peut-être avons-nous besoin d’implorer sa miséricorde, demandant qu’il ne nous oublie pas dans la nouvelle Jérusalem : « Jésus souviens toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne ».
Dans le fond de nos obscurités, nous aurons peut-être à prier avec Cléophas et son compagnon anonyme sur la route d’Emmaüs, « Reste avec nous Seigneur car le soir vient et la journée déjà est avancée ». Ou peut-être au milieu de notre désespoir, nous reconnaissons la source de notre espérance et l’écho des mots de Jésus, « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Ensuite nous sommes peut-être Pierre, stupéfait de l’extraordinaire douceur et patience de son maître avec lui, et nous pouvons seulement prononcer, « Mais Seigneur, tu sais bien que je t’aime ».
Pour Jean, le vendredi Saint est déjà la Pentecôte. Déjà à la crucifixion l’Église est née et a reçu le pouvoir de l’Esprit. Avant de mourir, Jésus confie son disciple bien-aimé aux soins de sa mère et sa mère aux soins de son disciple. « Voici ton fils ! Voici ta mère ! » A partir de ce moment, le disciple et la communauté chrétienne qu’il symbolise continuent l’œuvre de Jésus sur la terre. Même l’inclinaison de sa tête au moment de mourir peut être interprétée comme un signe dans leur direction. Par la mort de Jésus vient la vie pour ceux qui le suivent. Dans sa mort, Jésus devient pour nous un point d’embarquement.
Nous connaissons tous des gens comme ça: il suffit d’être en leur présence, on ne sait pas pourquoi mais les choses semblent s’arranger pour nous, il remet les morceaux de notre vie ensemble.
Le Vendredi Saint, alors que nous sommes en deuil, rassemblés sur la colline de la mort et entourant le membre le plus important de notre communauté, nous savons d’une manière étrange et mystérieuse que le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus recueille les morceaux brisés de nos vies, les remet ensemble, dans le bon ordre et il fait de nous des êtres réunifiés.
Devant ce spectacle de gens qui affluent vers un crucifié depuis tant de siècles et de tous les coins du monde, on se pose la question: s’agit-il seulement d’un homme grand et bienfaisant ou bien d’un Dieu?
Toi-même tu as donné la réponse, et il l’accepte celui qui n’a pas les yeux obscurcis par des préjugés et qui est avide de lumière.Quand Pierre déclare : «Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant», non seulement tu acceptes cette profession de foi mais tu la récompenses. Tu revendiques toujours comme tien ce que les juifs considèrent comme réservé exclusivement à Dieu. A leur grand scandale tu remets les péchés, tu te proclames maître du Sabbat, tu enseignes avec pleine autorité, tu te ddéclares l’égal du Père. Plusieurs fois ils tentent de te lapider comme blasphémateur parce que tu te dis Dieu. Quand finalement le grand prêtre te demande solennellement:
– Es-tu, oui ou non, le Fils de Dieu?
– Je le suis, et vous me verrez à la droite du Père.Tu acceptes la mort plutôt que de te dédire et de renier ton essence divine.
J’ai écrit, mais je n’ai jamais été aussi mécontent de ce que j’écrivais. Il me semble avoir omis la majeure part de ce qu’on pouvait dire de toi et d’avoir gâché ce qu’il aurait fallu dire infiniment mieux. J’ai pourtant une consolation, c’est que l’important n’est pas qu’on écrive sur toi, mais que beaucoup t’aiment et t’imitent. Et par chance, malgré tout, cela arrive encore.Mai 1974
Albino Luciani (Pape Jean-Paul I)
« A Jésus: j’écris en tremblant »
dans Humblement vôtre: Lettres du Pape Jean-Paul I