Le texte suivant examine et rejette des concepts et des principes dénués de fondement dont se sont servis les Européens pour justifier la saisie de territoires qui appartenaient à des peuples autochtones, et souvent connus sous le nom de « doctrine de la découverte » et de terra nullius. Une annexe fournit un aperçu historique de l’évolution de ces concepts en regard de la doctrine catholique et retrace leur répudiation. Les présupposés qui sous-tendent ces concepts ont aussi inspiré la politique profondément déplorable qui a amené à arracher des enfants autochtones à leurs familles et à leurs cultures pour les placer dans des pensionnats indiens. Le texte comprend des engagements qui sont recommandés pour une meilleure façon de cheminer avec les peuples autochtones.
Préambule
Ces dernières années, le processus de Vérité et Réconciliation nous a amenés à reconnaître de nouveau les abus commis dans le passé envers les peuples autochtones de notre pays. C’est avec émotion et beaucoup d’humilité que nous avons écouté des témoignages courageux et détaillés sur la violence, les traitements inhumains et le dénigrement culturel perpétrés par le système des pensionnats indiens. La brève note que voici traduit notre détermination à collaborer avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis afin d’aller de l’avant et veut aussi répondre en partie aux Appels à l’action de la Commission de Vérité et Réconciliation : nous entendons notamment revenir sur la façon dont la terre a souvent été arrachée à ses habitants autochtones sans leur consentement ou sans aucune justification juridique. La Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), le Conseil autochtone catholique du Canada et d’autres organisations catholiques réfléchissent depuis un certain temps aux notions de « doctrine de la découverte » et de terra nullius (on trouvera en annexe une analyse historique plus poussée).
Déclaration
Nous estimons que l’heure est venue de publier une déclaration pour répondre aux erreurs et aux contre-vérités transmises, souvent par des chrétiens, depuis l’époque dite des grandes découvertes. Dans ce contexte, en tant que catholiques :
1. Nous affirmons sans réserve que les droits fondamentaux des autochtones, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu notre Créateur, auraient dû être reconnus et respectés dans le passé et qu’il faut rejeter et combattre le plus vigoureusement possible tout défaut de reconnaissance et tout manque de respect à l’égard de leur humanité et de leurs droits fondamentaux;
2. Nous affirmons sans réserve que rien dans l’Écriture, la tradition ou la théologie de l’Église ne justifie la spoliation par des Européens de terres déjà habitées par des peuples autochtones;
3. Nous rejetons l’idée qu’on puisse appliquer aux terres déjà habitées par des peuples autochtones le principe du premier bénéficiaire ou découvreur, souvent invoqué aujourd’hui par les expressions « doctrine de la découverte » et terra nullius;
4. Nous rejetons l’assertion voulant que l’absence de pratiques agricoles ou de technologies européennes ou d’autres aspects communs à la culture européenne ait pu suffire à justifier la revendication d’un territoire comme s’il n’avait pas de propriétaire;
5. Nous rejetons l’assertion voulant que les Européens pouvaient décider si une terre était utilisée ou occupée par des autochtones sans même les consulter.
Exposé raisonné
Nous avons lu ce que dit le Rapport de la Commission de Vérité et Réconciliation sur la doctrine de la découverte et nous comprenons le lien qu’établit le Rapport entre les injustices perpétrées à propos des terres et des ressources et celles qui ont été commises dans le cadre du système des pensionnats indiens. Les attitudes et les politiques qui ont privé les autochtones de leur mode de vie sur la terre étaient étroitement apparentées à celles qui présumaient qu’il convenait d’arracher les enfants autochtones à leur famille et à leur propre système d’éducation pour les placer dans des pensionnats. Nous sommes conscients du fait que des catholiques ont été complices de ces systèmes. Bien que plusieurs des prêtres, des frères, des sœurs et des laïcs qui ont œuvré dans les pensionnats indiens l’aient fait avec générosité, fidélité et sollicitude, les politiques gravement déficientes à l’origine des pensionnats et les gestes abusifs commis par certains des membres du personnel ont laissé un héritage de souffrance.
C’est dans le contexte de cet héritage que nous reprenons les paroles du pape François en Bolivie, le 9 juillet 2015 : « je vous le dis avec peine : de nombreux et de graves péchés ont été commis contre les peuples originaires de l’Amérique au nom de Dieu… À l’instar de saint Jean-Paul II, je demande que l’Église s’agenouille devant Dieu et implore le pardon des péchés passés et présents de ses fils et de ses filles. » Nous avons bien conscience qu’une politique néfaste, l’assimilation, a profondément meurtri de nombreux autochtones et porté atteinte à la relation d’accueil réservée aux nouveaux venus à l’origine par un si grand nombre de premières nations de notre pays.
En implorant sur nous tous la miséricorde du Père, nous prions afin de trouver les moyens qu’il faut pour composer avec les vagues de blessures et de douleur provoquées dans le passé par des membres de la communauté catholique. Nous prions aussi pour demander le courage dont ont fait preuve les peuples autochtones en cherchant une issue pacifique à cette situation et le courage qui a inspiré ces voix prophétiques qui se sont élevées dans l’Église en solidarité avec les peuples autochtones et qui ont dénoncé des injustices historiques, depuis Bartolomé de Las Casas, qui proclamait et célébrait il y a cinq cents ans la dignité et la beauté des peuples et des cultures autochtones d’Amérique, jusqu’au pape Jean-Paul II qui a reconnu et célébré, lui aussi, cette dignité et cette beauté. Nous reconnaissons que nombre de fidèles catholiques ont ignoré cette injustice ou ne l’ont pas dénoncée, ouvrant ainsi la voie à la violation de la dignité et des droits autochtones. Notre espoir et notre prière, en nommant et en rejetant les idées erronées à la base de ce qu’on appelle communément aujourd’hui la « doctrine de la découverte » et le principe de la terra nullius, c’est de savoir mieux discerner les défis qui se posent à nous aujourd’hui afin de les relever ensemble.
Aller de l’avant ensemble
Notre propos ici dépasse les références particulières à la doctrine de la découverte et au principe de la terra nullius pour aborder d’autres domaines qui font partie de l’héritage du colonialisme et du système des pensionnats indiens. Le Rapport de la Commission de Vérité et Réconciliation a souligné que la reconnaissance des torts du passé doit s’accompagner d’un engagement concret à guérir les injustices commises. En tant que représentants des fidèles catholiques du Canada, et comptant sur l’entière collaboration du Conseil autochtone catholique du Canada, nous demandons à tous nos frères et sœurs catholiques – laïcs, membres des instituts de vie consacrée et de sociétés de vie apostolique, diacres, prêtres et évêques – de s’approprier les engagements suivants, comme recommandé par la Commission pour la justice et la paix de la Conférence des évêques catholiques du Canada, dans le but de continuer à cheminer avec les peuples autochtones pour édifier une société plus juste où seront cultivés et honorés leurs dons et ceux de toute la société :
1. Continuer de travailler avec les établissements d’enseignement et les programmes de formation catholiques pour présenter l’histoire du Canada de manière véridique, en traitant correctement l’histoire et l’expérience des peuples autochtones, y compris l’expérience d’oppression et de marginalisation qui a résulté de la Loi des Indiens, du système des pensionnats indiens et de la façon dont on a souvent ignoré ou enfreint les traités conclus.
2. Travailler avec les centres de pastorale et de formation du clergé et des intervenants pastoraux de promouvoir une culture de la rencontre en y inscrivant l’étude de l’histoire des missions canadiennes, avec leurs forces et leurs faiblesses, ce qui comprend l’histoire des pensionnats indiens. Ce faisant, il importera de porter attention aux versions autochtones de l’histoire du Canada, et pour ces centres d’accueillir des enseignants autochtones pour collaborer à l’instruction du clergé et des agents de pastorale, de manière que chaque étudiant ou étudiante ait l’occasion, pendant sa formation, de rencontrer des cultures autochtones.
3. Demander aux centres de formation théologique de promouvoir et de continuer d’appuyer la réflexion autochtone au sein de la communauté catholique, et d’inclure cet effort dans le cadre des dialogues œcuméniques et interreligieux nationaux auxquels participe la CECC.
4. Encourager le partenariat entre groupes autochtones et établissements de santé afin que soient offerts des soins holistiques, en particulier là où les besoins en santé sont les plus importants.
5. Encourager des initiatives visant à instaurer et renforcer le modèle de la justice réparatrice à l’intérieur du système de justice pénale. Le taux d’incarcération d’Autochtones est beaucoup plus élevé que celui de l’ensemble de la population, et les prisons ne sont pas des lieux de réconciliation et de réadaptation adéquats. De telles initiatives comprennent notamment le renouveau du système de justice pénale par des cercles de sentence et de guérison et d’autres approches autochtones traditionnelles pour intervenir auprès des contrevenants, lorsque cela convient et que les peuples autochtones le désirent.
6. Appuyer l’enquête nationale en cours sur la disparition et l’assassinat de femmes autochtones, et travailler à assainir notre société pour que des relations équitables prévalent dans les familles et les collectivités et pour que les personnes les plus vulnérables y soient protégées et respectées.
7. Appuyer les évêques et leurs diocèses et éparchies, de même que les supérieur-e-s d’instituts de vie consacrée et de sociétés de vie apostolique, et les organisations laïques catholiques pour qu’ils approfondissent et élargissent leurs rapports, leur dialogue et leur collaboration avec les peuples autochtones, qu’ils développent des programmes d’enseignement sur l’expérience et la culture autochtone et qu’ils s’efforcent de donner suite aux Appels à l’action de la Commission de Vérité et Réconciliation, à ceux notamment qui sont lancés aux communautés croyantes.
8. Encourager les évêques, de même que les supérieur-e-s d’instituts de vie consacrée et de sociétés de vie apostolique, et les organisations laïques catholiques à faire mieux connaître la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans leurs diocèses et leurs éparchies, leurs paroisses et leurs établissements d’enseignement, leurs communautés et leur milieu pastoral, afin de favoriser une réflexion continue au niveau local sur la façon de mettre en œuvre ou d’appuyer différents aspects de la Déclaration.
Le 19 mars 2016
Solennité de saint Joseph, époux de la Vierge Marie
Patron principal du Canada 5