Discours d’adieu de Mgr Ventura à la CECC

Nous publions ici le texte intégral de l’allocution de Mgr Luigi Ventura, Nonce apostolique au Canada, lors de l’Assemblée plénière de la CECC le 19 octobre 2009. Pour voir et entendre le discours, rendez-vous sur la chaîne de Télévision Sel + Lumière sur Youtube.

Chers frères Évêques,

Je voudrais d’abord remercier de tout cœur Mgr Weisgerber pour les bonnes paroles qu’il m’a adressées, interprétant les sentiments de chacun, ainsi que pour cette projection qui me touche par la bienveillance qui l’a inspirée. L’Assemblée plénière de la Conférence des évêques de l’Église au Canada, des rites latin et orientaux, me donne l’opportunité d’étendre ma sincère et profonde gratitude également aux Présidents que j’ai connus depuis 2001 :

Mgr Gerald Wiesner, au terme de son mandat, lors de mon arrivée;
Mgr Jacques Berthelet (2001-2003);
Mgr Brendan O’Brien  (2003-2005);
Mgr André Gaumond  (2005-2007);
Mgr V. James Weisgerber  (2007-2009);
Mgr Pierre Morissette qui entre en fonction au cours des présentes
assises.

1- Je voudrais aussi remercier chacun de vous qui m’avez accueilli et accompagné dans notre commun engagement de servir le Seigneur et de transmettre l’annonce du Règne de Dieu, dans un esprit de charité et de communion, qui trouve dans le Successeur de Pierre son point de rencontre et de cohésion.

2- Au cours de ces huit années, j’ai pu connaître l’immense extension géographique du Canada, en visitant 64 des 70 circonscriptions ecclésiastiques, en particulier à l’occasion des ordinations épiscopales et de l’installation des nouveaux évêques. J’ai pu apprécier votre engagement et votre zèle ainsi que ceux de vos prêtres, des religieux et des religieuses, dans vos communautés ecclésiales. J’ai vu l’engagement d’une Église vivante qui cherche à être présente dans le monde, avec la faiblesse de ses moyens et la force qui lui est donnée par la présence du Seigneur; une Église qui cherche à maintenir ouvert le regard vers un espace qui la transcende et auquel nous sommes appelés; une Église qui ne cherche pas des faveurs ou des privilèges, mais qui désire se placer au service et aux côtés de chacun, pour partager en amitié, en écoute réciproque, en solidarité le voyage de la vie, en témoignant de sa foi et de l’intelligence de la réalité qui jaillit à l’école de son Maître.

3- Dans l’homélie à l’occasion de la prise de possession de la Cathédrale de Rome, peu de temps après l’Inauguration de son ministère comme Évêque de Rome, le Pape Benoît XVI disait à ce propos :

« C’est à travers les témoins que l’Église a été construite – à commencer par Pierre et par Paul, et par les Douze, jusqu’à tous les hommes et toutes les femmes qui, comblés du Christ, ont rallumé et rallumeront au cours des siècles de manière toujours nouvelle la flamme de la foi… Aux successeurs des Apôtres, c’est-à-dire aux Évêques, revient la responsabilité publique de faire en sorte que le réseau des témoignages demeure dans le temps… Dans ce réseau de témoins, une tâche particulière revient au Successeur de Pierre. Ce fut Pierre qui exprima le premier, au nom des Apôtres, la profession de foi : ‘Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant’ (Mt 16, 16). Telle est la tâche de tous les Successeurs de Pierre : être un guide dans la profession de foi dans le Christ, le Fils du Dieu vivant. La Chaire de Rome est avant tout la Chaire de ce credo » (7 mai 2005).  C’est la foi qui nous réunit en un seul Corps, qui constitue l’Église, dans le passé et à présent. Comme Paul, dans ses lettres aux Romains et aux Corinthiens, comme Pierre dans l’Évangile de Jean, nous sommes aussi appelés à reprendre et à annoncer « Jésus est Seigneur » et « Tu as les paroles de la vie » (ibid.).

4- Au terme de ma mission au Canada, je sens le devoir de remercier le Seigneur de m’avoir appelé à travailler à vos côtés dans sa vigne. Si quelques résultats positifs ont pu être atteints, je le dois aussi à l’aide de ceux qui m’ont secondé dans le travail de la Nonciature, et particulièrement à la confiance et à la collaboration que j’ai sentie pleine, cordiale et fraternelle de votre part.

5- J’ai partagé, et il ne pouvait pas en être autrement, vos projets, les défis notables, les moments de célébration et de joie, comme les moments d’obscurité et de souffrance. Plus récemment, j’ai partagé, avec vous tous, avec les prêtres, avec l’Église au Canada et dans le monde, les larmes et le cri de douleur de Mgr Anthony Mancini pour la tragique situation de l’un de nos frères. Je voudrais faire miennes ses paroles : « A ce moment où tant de cœurs sont brisés, nous avons besoin de comprendre encore une fois – ou pour la première fois – ce pouvoir de guérison qui nous vient de la grâce de Dieu. Une telle grâce de guérison  ne pourra nous être donnée que si ensemble, nous partageons notre foi et notre conviction qu’en dépit de toutes sortes de péchés, la miséricorde est plus forte que la colère, le pardon plus puissant que le rejet et la réconciliation plus transformante que la dévastation spirituelle, et que ces attitudes nous ouvrent à de nouvelles perspectives de vie » (2 octobre 2009).

6-  Permettez-moi de reprendre aussi ce que j’ai dit il y a deux semaines aux étudiant gradués en théologie de l’Université de Saint Michael’s College de Toronto: « L’Église au Canada porte des blessures qu’elle partage avec les victimes d’un passé tragique. Elle a fait et continue de faire des efforts réels et soutenus pour prévenir la répétition de tels abus et exploitations. Cependant nous ne pouvons jamais sous-estimer le pouvoir destructeur du péché et du mal qui vient déchirer les fibres du tissu de notre communauté » (7 octobre 2009).

7-  En me présentant, lors de notre première rencontre le 20 septembre 2001, je citais une description classique de ce pays : « quelques arpents de neige » . En fait, mon expérience m’a fait découvrir qu’ils sont plus que quelques-uns : ils sont des milliers ! J’ai pu le constater, de par les visites en vos diocèses. Ces différents voyages m’ont fait admirer encore davantage le zèle et le courage extraordinaires des bâtisseurs de ce pays et de cette Église; ils peuvent toujours inspirer les générations nouvelles a mari usque ad mare (selon la devise canadienne) et qui se souviennent (selon la devise du Québec).

8-  La neige, l’hiver n’ont pas le dernier mot, heureusement ! J’étais chaque année surpris par l’éclosion de vie qu’apporte le printemps : à peine la neige disparaît-elle, que les premières fleurs surgissent du sol encore gelé. Je crois qu’un dynamisme similaire est à l’œuvre dans la vie de l’Église : si, pour d’aucuns, une certaine léthargie semble affecter la vie chrétienne, dans les défis « ad intra et ad extra » (Benoît XVI, 4 octobre 2009), pour celui qui a « le regard pénétrant » (Nb 24, 3), le printemps de l’Esprit est toujours à l’œuvre.  Dans le sillon des JMJ 2002, j’ai pu constater de beaux signes de vitalité dans les regroupements de jeunes, les nouvelles communautés; au Congrès Eucharistique de Québec j’ai vu un peuple joyeux autour de son Seigneur. J’ai vu aussi beaucoup d’amour envers l’Église et le Saint-Père.

9-  Votre Conférence a su aborder de nombreux et difficiles dossiers sur le plan doctrinal et dans le domaine social également. On était heureux en particulier de voir d’importants pas de réconciliation effectués avec les communautés autochtones; la rencontre avec le Saint-Père en avril dernier demeure emblématique à cet égard. Restent toujours en lice les dossiers relatifs à la famille, au mariage, à la vie, à la transmission de la foi aux jeunes générations par une éducation appropriée; la lettre de la Congrégation pour l’Éducation catholique en mai dernier donne de précieux repères à ce sujet.

10- Le chemin de l’Église dans l’histoire, depuis ses origines, n’a jamais été facile. Toutefois, malgré l’hostilité et les obstacles, avec la fragilité et la pauvreté de ses membres, elle a toujours connu l’idéal vivant et la lumière provenant d’hommes et de femmes, dans leur témoignage héroïque de foi et de charité. « Quand nous lisons les noms des saints, nous pouvons voir combien de fois ils ont été et continuent à être, tout d’abord des hommes simples, des hommes dont émanait – et émane – une lumière resplendissante capable de conduire au Christ » (Benoît XVI, 7 mai 2005).

11-  Les défis ne manquent pas aujourd’hui non plus et, nous le savons, ce n’est pas rien. Le défi principal de notre époque me semble anthropologique : une vision hégémonique du monde qui transforme la personne humaine en objet d’ingénierie sociale; une nouvelle anthropologie impose des paradigmes culturels inattaquables, indiscutables. On offre, selon l’expression bien inspirée d’un jeune philosophe espagnol, « l’opportunité de transformer ses intérêts et ses désirs en libertés et en droits. Toutefois ceux-ci ne sont plus inhérents à la nature mais deviennent des ‘concessions gracieuses’ d’un pouvoir qui les consacre légalement » (J. M. de Prada).

12-  À cet égard, me semblent très inspirées, avec la clarté habituelle et la profonde intelligence de son Magistère, les paroles que le Pape Benoît XVI adressait aux Évêques du Brésil, en visite ad limina, le 7 septembre dernier : « Bien-aimés frères, dans les décennies qui ont suivi le Concile Vatican II, certains ont interprété l’ouverture au monde non comme une exigence de l’ardeur missionnaire du cœur du Christ, mais comme un passage à la sécularisation, en trouvant dans celle-ci plusieurs valeurs d’une grande profondeur chrétienne, comme l’égalité, la liberté et la solidarité, et se montrant disponibles à faire des concessions et à découvrir des domaines de collabo-ration. On a ainsi assisté à des interventions de certains responsables ecclésiaux dans des débats éthiques, en réponse aux attentes de l’opinion publique, mais on a cessé de parler de certaines vérités fondamentales de la foi, comme le péché, la grâce, la vie théologale et les quatre fins de l’homme. On est tombé inconsciem-ment dans l’auto-sécularisation de nombreuses communautés ecclésiales; celles-ci, espérant attirer ceux qui étaient loin, ont vu s’en aller, dépouillés et déçus, ceux qui y participaient déjà : nos contemporains, lorsqu’ils nous rencontrent, veulent voir ce qu’ils ne voient nulle part ailleurs, c’est-à-dire la joie et l’espérance qui naissent du fait d’être avec le Seigneur ressuscité ».

13- Notre témoignage d’Évêques, en communion avec l’Évêque de l’Église de Rome, « celle qui préside à la charité », selon la définition de Saint Ignace d’Antioche dans le prologue de sa lettre aux Romains, est garantie d’obéissance au Christ et à sa Parole. Quelquefois, nous pourrions être tentés de vérifier l’efficacité de notre vocation et de notre ministère avec les paramètres des nombres et du succès.  L’exemple de saint Pierre nous aide; en un moment de crise, alors que plusieurs disciples voulaient partir, il disait : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle; nous croyons et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 68).

14- En terminant, je voudrais renouveler encore mes sentiments de gratitude pour les expressions d’affection fraternelle et de sympathie que j’ai reçues ces dernières semaines.

15- Finalement, j’emprunte les mots de saint Augustin, que Jean-Paul II a repris au Parc Downsview lors de l’Angelus au terme de la JMJ 2002 : « Chacun de vous rentrera chez soi. Il nous a été bon de communier dans la lumière, il nous a été bon de nous réjouir, il nous a été bon d’être dans l’allégresse (et j’ajouterais ‘aussi en partageant la douleur’). Mais en nous éloignant les uns des autres, ne nous éloignons pas de lui » (Homélie sur l’Évangile de Jean; 34e mardi du temps per annum), en ‘gardant l’unité de l’Esprit’ ! (Ep 4, 3).

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