Dimanche 7 novembre, Benoît XVI a consacré l’autel de la cathédrale de la Sagrada Familia à Barcelone. Plus d’un siècle après le début de la construction de cette église, point culminant de l’oeuvre d’Antoni Gaudi, il revient au successeur de Pierre de procédé à la dédicace de ce monument inouï. C’était la deuxième visite de Benoît XVI en Espagne, après la Rencontre mondiale des familles en 2006. Il se rendra de nouveau dans ce pays d’Europe à l’été 2011 pour la Journée mondiale de la jeunesse. S+L diffusera la messe à 15h30 ce dimanche. Ci-dessous l’homélie du Saint-Père.
Frères et Sœurs bien-aimés dans le Seigneur,
« Ce jour est consacré au Seigneur, votre Dieu ! Ne soyez pas tristes, ne pleurez pas !… La joie du Seigneur est votre rempart ! » (Ne 8, 9-11). Par ces paroles de la première lecture que nous avons proclamée, je désire vous saluer, vous tous qui êtes ici présents pour participer à cette célébration. (…)
(en espagnol)
Ce jour est un moment significatif dans une longue histoire d’aspirations, de travail et de générosité, qui dure depuis plus d’un siècle. Je voudrais maintenant faire mémoire de chacune des personnes qui ont permis la joie qui domine aujourd’hui en nous tous : des promoteurs jusqu’aux exécutants de cette œuvre ; de ses architectes et de ses maçons, jusqu’à tous ceux qui ont offert, d’une manière ou d’une autre, leur contribution irremplaçable pour rendre possible la construction progressive de cet édifice. Et nous nous souvenons surtout de celui qui fut l’âme et l’artisan de ce projet : Antoni Gaudí, architecte génial et chrétien cohérent, dont le flambeau de la foi brûla jusqu’à la fin de son existence, vécue avec une dignité et une austérité absolue. Cet événement est aussi, en quelque façon, le point culminant et l’aboutissement d’une histoire de cette terre catalane qui, surtout à partir de la fin du XIXème siècle, donna une multitude de saints et de fondateurs, de martyrs et de poètes chrétiens. Histoire de sainteté, de créations artistiques et poétiques, nées de la foi, qu’aujourd’hui nous recueillons et présentons en offrande à Dieu dans cette Eucharistie.
La joie que j’éprouve de pouvoir présider cette célébration a encore grandi quand j’ai su que cet édifice sacré, depuis ses origines, est étroitement lié à la figure de saint Joseph. Ce qui m’a particulièrement ému, c’est l’assurance avec laquelle Gaudí, face aux innombrables difficultés qu’il devait affronter, s’exclama plein de confiance en la divine Providence : « Saint Joseph complètera l’église ». Par conséquent, il n’est pas sans signification maintenant que ce soit un Pape dont le nom de baptême est Joseph qui en fasse la dédicace.
Que signifie faire la dédicace de cette église ? Au cœur du monde, sous le regard de Dieu et devant les hommes, dans un acte de foi humble et joyeux, nous avons élevé une imposante masse de matière, fruit de la nature et d’un incalculable effort de l’intelligence humaine qui a construit cette œuvre d’art. Elle est un signe visible du Dieu invisible, à la gloire duquel s’élancent ces tours, flèches qui indiquent l’absolu de la lumière et de celui qui est la Lumière, la Grandeur et la Beauté mêmes.
Dans ce cadre, Gaudí a voulu unir l’inspiration qui lui venait des trois grands livres dont il se nourrissait comme homme, comme croyant et comme architecte : le livre de la nature, le livre de la Sainte Écriture et le livre de la Liturgie. Ainsi il a uni la réalité du monde et l’histoire du salut, comme elle nous est racontée dans la Bible et rendue présente dans la Liturgie. Il a introduit dans l’édifice sacré des pierres, des arbres et la vie humaine, afin que toute la création converge dans la louange divine, mais, en même temps, il a placé à l’extérieur les retablos, pour mettre devant les hommes le mystère de Dieu révélé dans la naissance, la passion, la mort et la résurrection de Jésus Christ. Il collabora ainsi de manière géniale à l’édification d’une conscience humaine ancrée dans le monde, ouverte à Dieu, illuminée et sanctifiée par le Christ. Et il réalisa ce qui est aujourd’hui une des tâches les plus importantes : dépasser la scission entre conscience humaine et conscience chrétienne, entre existence dans ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu qui est la Beauté. Antoni Gaudí n’a pas réalisé tout cela uniquement avec des paroles, mais avec des pierres, des lignes, des superficies et des sommets. En réalité, la beauté est la grande nécessité de l’homme ; elle est la racine de laquelle surgissent le tronc de notre paix et les fruits de notre espérance. La beauté est aussi révélatrice de Dieu, parce que, comme Lui, l’œuvre belle est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache à l’égoïsme.
Nous avons dédié cet espace sacré à Dieu, qui s’est révélé et donné à nous dans le Christ pour être définitivement Dieu parmi les hommes. La Parole révélée, l’humanité du Christ et son Église sont les trois expressions les plus grandes de sa manifestation et de son don aux hommes. « Que chacun prenne garde à la façon dont il construit. Les fondations, personne ne peut en poser d’autres que celles qui existent déjà : ces fondations, c’est Jésus Christ » (1 Co 3, 10-11), dit saint Paul dans la deuxième lecture. Le Seigneur Jésus est la pierre qui soutient le poids du monde, qui maintient la cohésion de l’Église et qui recueille dans une ultime unité toutes les conquêtes de l’humanité. En lui nous avons la Parole et la Présence de Dieu, et de Lui l’Église reçoit sa vie, sa doctrine et sa mission. L’Église ne tire pas sa consistance d’elle-même ; elle est appelée à être signe et instrument du Christ, dans une pure docilité à son autorité et entièrement au service de son mandat. L’unique Christ fonde l’unique Église ; il est le rocher sur lequel se base notre foi. Fondés sur cette foi, nous cherchons ensemble à montrer au monde le visage de Dieu, qui est amour et qui est l’unique qui peut répondre à l’ardent désir de plénitude de l’homme. Telle est la grande tâche, montrer à tous que Dieu est un Dieu de paix et non de violence, de liberté et non de contrainte, de concorde et non de discorde. En ce sens, je crois que la consécration de cette église de la Sagrada Familia, à une époque où l’homme prétend édifier sa vie en tournant le dos à Dieu, comme s’il n’avait plus rien à lui dire, est un événement de grande signification. Par son œuvre, Gaudí nous montre que Dieu est la vraie mesure de l’homme, que le secret de la véritable originalité consiste, comme il le disait, à revenir à l’origine qui est Dieu. Lui-même, ouvrant ainsi son esprit à Dieu, a été capable de créer dans cette ville un espace de beauté, de foi et d’espérance, qui conduit l’homme à la rencontre de Celui qui est la vérité et la beauté même. L’architecte exprimait ainsi ses sentiments : « Une église [est] l’unique chose digne de représenter ce que ressent un peuple, puisque la religion est ce qu’il y a de plus élevé dans l’homme ».
Cette affirmation de Dieu porte en soi la suprême affirmation et sauvegarde de la dignité de tout homme et de tous les hommes : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu… Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous » (1 Co 3, 16-17). Ici sont unies la vérité et la dignité de Dieu à la vérité et la dignité de l’homme. Par la consécration de l’autel de cette église, gardant présent à l’esprit que le Christ est son fondement, nous présentons au monde Dieu qui est l’ami des hommes, et nous invitons les hommes à être amis de Dieu. Comme l’enseigne l’épisode de Zachée, dont parle l’évangile d’aujourd’hui (cf. Lc 19, 1-10), si l’homme laisse entrer Dieu dans sa vie et dans son monde, s’il laisse le Christ vivre dans son cœur, il ne le regrettera pas, mais au contraire il fera l’expérience de la joie de partager sa vie même, étant destinataire de son amour infini.
L’initiative de la construction de cette église est due à l’Association des Amis de saint Joseph, qui voulut la dédier à la Sainte Famille de Nazareth. Depuis toujours, le foyer formé par Jésus, Marie et Joseph a été considéré comme une école d’amour, de prière et de travail. Les promoteurs de cette église voulaient montrer au monde l’amour, le travail et le service réalisés devant Dieu, comme les vécut la Sainte Famille de Nazareth. Les conditions de vie ont profondément changés et avec elles on a progressé énormément dans les domaines techniques, sociaux et culturels. Nous ne pouvons pas nous contenter de ces progrès. Ils doivent toujours être accompagnés des progrès moraux, comme l’attention, la protection et l’aide à la famille, puisque l’amour généreux et indissoluble d’un homme et d’une femme est le cadre efficace et le fondement de la vie humaine dans sa gestation, dans sa naissance et dans sa croissance jusqu’à son terme naturel. C’est seulement là où existent l’amour et la fidélité, que naît et perdure la vraie liberté. L’Église demande donc des mesures économiques et sociales appropriées afin que la femme puisse trouver sa pleine réalisation à la maison et au travail, afin que l’homme et la femme qui s’unissent dans le mariage et forment une famille soient résolument soutenus par l’État, afin que soit défendue comme sacrée et inviolable la vie des enfants depuis le moment de leur conception, afin que la natalité soit stimulée, valorisée et soutenue sur le plan juridique, social et législatif. Pour cela, l’Église s’oppose à toute forme de négation de la vie humaine et soutient ce qui promeut l’ordre naturel dans le cadre de l’institution familiale.
Contemplant avec admiration ce saint espace d’une beauté fascinante, avec tant d’histoire de foi, je demande à Dieu qu’en cette terre catalane se multiplient et se fortifient de nouveaux témoins de sainteté, qui offrent au monde le grand service que l’Église peut et doit rendre à l’humanité : être une image de la beauté divine, une flamme ardente de charité, un canal pour que le monde croie en Celui que Dieu a envoyé (cf. Jn 6, 29).
Chers frères, en consacrant cette splendide église, je supplie en même temps le Seigneur de nos vies qu’à partir de cet autel, qui va maintenant être oint avec l’huile sainte et sur lequel se consumera le sacrifice d’amour du Christ, jaillisse un fleuve incessant de grâce et de charité sur cette ville de Barcelone et sur ses habitants, ainsi que sur le monde entier. Que ces eaux fécondes remplissent de foi et de vitalité apostolique cette Église archidiocésaine, ses Pasteurs et ses fidèles.
(en catalan)
Je désire enfin confier à la protection aimante de la Mère de Dieu, Marie la Très Sainte, Rosa d’abril, Mare de la Mercè, vous tous qui êtes ici présents et toutes les personnes qui en paroles et en actes, dans le silence ou la prière, ont rendu possible ce miracle architectural. Qu’elle présente aussi à son divin Fils les joies et les souffrances de ceux qui viendront à l’avenir dans ce lieu sacré, pour que, selon la Liturgie de la dédicace des églises, les pauvres puissent trouver miséricorde, les opprimés obtenir la vraie liberté et tous les hommes se revêtir de la dignité d’enfants de Dieu. Amen.