Benoît XVI a rencontré aujourd’hui des catholiques engagés dans l’Église et la société. Pendant son discours, le Saint-Père a dit que « c’est de nouveau l’heure de retirer courageusement ce qu’il y a de
mondain dans l’Église. » Voici le discours de Benoît XVI :
Chers Confrères dans le ministère épiscopal et sacerdotal !
Mesdames et Messieurs !Je suis heureux de cette rencontre avec vous qui êtes engagés de multiples manières pour l’Église et la société. Ceci m’offre une occasion appréciée de vous remercier ici personnellement de tout coeur pour votre service et votre témoignage comme « hérauts puissants de la foi en ce qu’on espère » (Lumen gentium, n. 35). Dans votre milieu de travail vous défendez volontiers la cause de votre foi et de l’Église, chose qui n’est pas toujours facile dans les temps actuels.
Depuis des décennies, nous assistons à une diminution de la pratique religieuse, nous constatons une croissante prise de distance de la vie de l’Église d’une partie notable de baptisés. Jaillit alors la question : est-ce que, par hasard, l’Église ne doit pas changer ? Est-ce que, par hasard, dans ses services et ses structures, elle ne doit pas s’adapter au temps présent, pour rejoindre les personnes d’aujourd’hui qui sont en recherche et dans le doute ?
À la bienheureuse Mère Térésa il fut demandé un jour de dire quelle était, selon elle, la première chose à changer dans l’Église. Sa réponse fut : vous et moi !
Ce petit épisode nous rend évidentes deux choses. D’une part, la religieuse entend dire à son interlocuteur que l’Église ce n’est pas uniquement les autres, la hiérarchie, le Pape et les Évêques ; l’Église, nous la sommes tous : nous, les baptisés. Par ailleurs, elle part effectivement du présupposé : oui, il y a motif pour un changement. Il existe un besoin de changement. Chaque chrétien et la communauté des croyants sont appelés à une conversion continuelle.
Comment doit alors se configurer concrètement ce changement ? Est-ce qu’il s’agit ici, peut-être, d’un renouveau comme le réalise par exemple le propriétaire d’une maison à travers une restructuration ou une nouvelle peinture de son immeuble ? Ou bien s’agit-il ici d’une correction, pour reprendre le cap ou parcourir un chemin de façon plus allègre et directe ? Certainement ces aspects et d’autres ont leur importance. Mais pour ce qui regarde l’Église, le motif fondamental du changement est la mission apostolique des disciples et de l’Église elle-même.
En effet, l’Église doit toujours de nouveau vérifier sa fidélité à cette mission. Les trois évangiles synoptiques mettent en lumière différents aspects du mandat de cette mission : la mission se base sur l’expérience personnelle : « Vous êtes témoins » (Lc 24, 48) ; elle s’exprime en relations : « De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19) ; elle transmet un message universel : « Proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16, 15). Cependant, à cause des prétentions et des conditionnements du monde, le témoignage est obscurci à maintes reprises, les relations sont aliénées et le message est relativisé. Si ensuite l’Église, comme le dit le Pape Paul VI, « cherche à se rendre conforme à l’idéal que le Christ lui propose, du même coup se dégage tout ce qui la différencie profondément du milieu humain dans lequel elle vit et qu’elle aborde » (Encyclique Ecclesiam suam, n. 60). Pour réaliser sa mission, elle prendra continuellement ses distances de son milieu, elle doit, pour ainsi dire, se « dé-mondaniser ».
La mission de l’Église, en effet, découle du mystère du Dieu un et trine, du mystère de son amour créateur. L’amour n’est pas seulement présent de quelque façon en Dieu : lui-même, par sa nature, est amour. Et l’amour de Dieu ne veut pas être isolé en soi, il veut se répandre. Dans l’incarnation et dans le sacrifice du Fils de Dieu, il a rejoint les hommes de façon particulière. Le Fils est sorti de la sphère de son être Dieu, il s’est fait chair et il est devenu homme ; et cela non seulement pour confirmer le monde dans son être terrestre, et être son compagnon qui le laisse entièrement comme il est. De l’événement christique fait partie le fait incompréhensible qu’il existe – comme disent les Pères de l’Église – un commercium, un échange entre Dieu et les hommes, dans lequel les deux, même si c’est de manière totalement différente, donnent et prennent quelque chose, offrent en don et reçoivent comme don. La foi chrétienne sait que Dieu a placé l’homme dans une liberté, dans laquelle il peut être vraiment un partenaire et entrer dans un échange avec Dieu. En même temps, l’homme est bien conscient que cet échange est possible seulement grâce à la générosité de Dieu qui accepte la pauvreté du mendiant comme richesse, pour rendre supportable le don divin, que l’homme ne peut rendre avec rien d’équivalent.
L’Église aussi se doit elle-même totalement à cet échange inégal. Elle ne possède rien d’autonome face à Celui qui l’a fondée. Elle trouve son sens exclusivement dans l’engagement d’être un instrument de la rédemption, d’envahir le monde par la parole de Dieu et de transformer le monde en l’introduisant dans l’union d’amour avec Dieu. L’Église s’immerge totalement dans l’attention complaisante du Rédempteur envers les hommes. Elle-même est toujours en mouvement, elle doit continuellement se mettre au service de la mission, qu’elle a reçue du Seigneur. L’Église doit toujours de nouveau s’ouvrir aux préoccupations du monde et se consacrer sans réserve à elles, pour continuer et rendre présent l’échange sacré qui a commencé avec l’Incarnation.
Cependant, dans le développement historique de l’Église se manifeste aussi une tendance contraire : c’est celle d’une Église qui s’installe dans ce monde, devient autosuffisante et s’adapte aux critères du monde. Elle donne ainsi à l’organisation et à l’institutionnalisation une importance plus grande qu’à son appel à l’ouverture.
Pour correspondre à sa véritable tâche, l’Église doit toujours de nouveau faire l’effort de se détacher de la mondanité du monde. C’est ainsi qu’elle suit les paroles de Jésus : « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jn 17, 16). En un certain sens, l’histoire vient en aide à l’Église à travers les diverses périodes de sécularisation, qui ont contribué de façon essentielle à sa purification et à sa réforme intérieure.
En effet, les sécularisations – ce furent l’expropriation de biens de l’Église ou la suppression de privilèges ou de choses semblables – signifièrent chaque fois une profonde libération de l’Église de formes de mondanité : elle se dépouillait, pour ainsi dire, de sa richesse terrestre et revenait embrasser pleinement sa pauvreté terrestre. Ainsi, l’Église partageait le destin de la tribu de Lévi qui, selon l’affirmation de l’Ancien Testament, était la seule tribu en Israël qui ne possédait pas de patrimoine terrestre mais, comme part d’héritage, avait pris exclusivement Dieu lui-même, sa parole et ses signes. Avec cette tribu, l’Église partageait en ces moments historiques l’exigence d’une pauvreté qui s’ouvrait vers le monde, pour se détacher de ses liens matériels, et ainsi aussi son agir missionnaire redevenait crédible.
Les exemples historiques montrent que le témoignage missionnaire d’une Église « dé-mondanisée » ressort plus clairement. Libérée de son fardeau matériel et politique, l’Église peut se consacrer mieux et de manière vraiment chrétienne au monde entier, elle peut être vraiment ouverte au monde. Elle peut à nouveau vivre avec plus d’aisance son appel au ministère de l’adoration de Dieu et au service du prochain. La tâche missionnaire qui est liée à l’adoration chrétienne et qui devrait déterminer la structure de l’Église, se rend visible plus clairement. L’Église s’ouvre au monde non pour obtenir l’adhésion des hommes à une institution avec ses propres prétentions de pouvoir, mais pour les faire rentrer en eux-mêmes et ainsi les conduire à Celui dont toute personne peut dire avec Augustin : Il est plus intime à moi-même que moi-même (cf. Conf. 3, 6, 11). Lui, qui est infiniment au-dessus de moi, est toutefois tellement en moi-même jusqu’à être ma véritable intériorité. Par ce style d’ouverture de l’Église au monde, est tracée aussi en même temps la forme dans laquelle l’ouverture au monde de la part de chaque chrétien peut se réaliser de façon efficace et appropriée.
Il ne s’agit pas ici de trouver une nouvelle tactique pour relancer l’Église. Il s’agit plutôt de déposer tout ce qui est seulement tactique et de chercher la pleine sincérité, qui ne néglige ni ne refoule rien de la vérité de notre aujourd’hui, mais réalise pleinement la foi dans l’aujourd’hui, la vivant, justement, totalement dans la sobriété de l’aujourd’hui, la portant à sa pleine identité, lui enlevant ce qui est seulement apparemment foi, mais qui sont en vérité des conventions et des habitudes.
Disons-le encore avec d’autres mots : la foi chrétienne est toujours pour l’homme un scandale et pas seulement en notre temps. Que le Dieu éternel se préoccupe de nous êtres humains, qu’il nous connaisse ; que l’Insaisissable soit devenu en un moment déterminé saisissable ; que l’Immortel ait souffert et soit mort sur la croix ; qu’à nous, êtres mortels, soient promises la résurrection et la vie éternelle – croire cela est pour nous, hommes, une véritable prétention.
Ce scandale, qui ne peut être aboli si on ne veut pas abolir le christianisme, a malheureusement été mis dans l’ombre récemment par les autres scandales douloureux des annonciateurs de la foi. Une situation dangereuse se crée quand ces scandales prennent la place du skandalon premier de la Croix et ainsi le rendent inaccessible, c’est-à-dire quand ils cachent la véritable exigence chrétienne derrière l’inadaptation de ses messagers.
Il y a une raison en plus pour estimer que c’est de nouveau l’heure de retirer courageusement ce qu’il y a de mondain dans l’Église. Ceci ne veut pas dire se retirer du monde. Une Église allégée des éléments mondains est capable de communiquer aux hommes – à ceux qui souffrent comme à ceux qui les aident – justement aussi dans le domaine sociocaritatif, la force vitale particulière de la foi chrétienne. « La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence même, à laquelle elle ne peut renoncer » (Deus caritas est, n. 25). Certainement, les oeuvres caritatives de l’Église doivent aussi continuellement prêter attention à l’exigence d’un détachement approprié du monde pour éviter que, face à un éloignement croissant de l’Église, leurs racines ne se dessèchent. Seule la relation profonde avec Dieu rend possible une pleine attention à l’homme, de même que sans l’attention au prochain la relation à Dieu s’appauvrit.
Être ouverts aux événements du monde signifie donc pour l’Église « dé-mondanisée » témoigner, selon l’Évangile, par les paroles et par les oeuvres, ici et aujourd’hui, de la domination de l’amour de Dieu. Et cette tâche, en outre, renvoie au-delà du monde présent : la vie présente, en effet, inclut le lien avec la vie éternelle. Comme individus et comme communauté de l’Église nous vivons la simplicité d’un grand amour qui, dans le monde, est en même temps la chose la plus facile et la plus difficile, parce qu’elle exige rien de plus et rien de moins que le don de soi-même.
Chers amis, il me reste à implorer pour nous tous la bénédiction de Dieu et la force de l’Esprit Saint, afin que nous puissions, chacun dans son propre champ d’action, reconnaître toujours de nouveau l’amour de Dieu et sa miséricorde et en témoigner. Je vous remercie pour votre attention.
Photo de CNS, Frank Augstein, Reuters.