Par Stefano Cascio
Voici la conclusion de notre étude qui chaque jour a cherché de mieux définir le rôle des chrétiens grace à l’article 43 de la constitution pastorale « Gaudium et Spes » du concile Vatican II
« Nimis optimiscum » (trop optimiste), c’est ainsi que certains Pères ont jugé la vision du monde contenu dans Gaudium et Spes. Face à un monde en pleine mutation, où la conquête de l’espace et du temps mais aussi de l’homme lui-même se développe sans limite, où les moyens de communication contribuent à une accélération de l’histoire et à un mouvement d’unification (la mondialisation) en diffusant une information engendrant des réactions immédiates et universelles, le Concile Vatican II a voulu donner des réponses aux inquiétudes naissantes. La modification des structures sociales (la disparition des familles stables : premières cellules de socialisation), la prédominance de la société industrielle et de la civilisation urbaine qui engendre une société de consommation, les changements psychologiques, moraux, religieux, la remise en cause des valeurs traditionnelles, l’expansion de la culture scientifico-technique, provoquent un essor de l’esprit critique et un matérialisme pratique. L’athéisme ou l’agnosticisme ne se cantonnent plus au monde philosophique, mais à la littérature, l’art, les sciences humaines, l’histoire et le droit. L’humanisme actuel considère que pour que l’homme soit, il faut nier ou ignorer Dieu. De plus, la misère et l’abrutissement empêchent l’homme d’avoir une claire perception de la situation.
Pourtant, il y a un accroissement du désarroi d’un grand nombre dans un monde qui n’a plus de sens, des déséquilibres et des tensions au cœur même de la personne déchirée. La situation actuelle du monde, jette un défi à l’homme (GS n°4 §5). l’Eglise veut aider l’homme a répondre à ce défi car elle est engagée, comme l’humanité, dans le monde et l’histoire. « l’homme prend conscience que de lui dépend la bonne orientation des forces qu’il a mises en mouvement et qui peuvent l’écraser ou le sauver. » C’est pourquoi il s’interroge lui-même (GS n°9). La requête de sens ne peut trouver de réponse dans un univers d’incertitudes, plus que jamais des repères sont nécessaires. La crise morale actuelle est une absence de goût et une perte du sens de la vérité. La vérité n’a plus d’existence publique, elle ne sert plus à vivre ensemble. Ce sont les conséquences des grandes idéologies du XXème siècle. Puisque la vérité dans sa dimension publique et sa capacité à réaliser la communion était devenue irréelle, on a conclu que la vérité se contentait du seul assentiment intérieur de l’esprit et que sa manifestation par des signes était tout à fait accessoire, voire dangereuse. Le problème est donc la question de la possibilité d’un discours de vérité concernant l’existence religieuse de l’homme et qui ait une portée publique, c’est-à-dire qui dépasse les convictions intimes. La fin des idéologies contraint le chrétien à remettre au centre de sa foi le mystère de la croix et la résurrection du Christ comme lumière nécessaire à la compréhension de ce monde et de son déchirement. Ce numéro 43 de Gaudium et Spes cerne le problème majeur de notre époque, celui de l’insertion des chrétiens dans le monde et le témoignage qu’ils doivent y porter. Le titre même du numéro situe bien le problème : aide que l’Eglise, par les chrétiens, cherche à apporter à l’activité humaine. La sympathie pour ce monde n’exclut d’ailleurs pas la critique et c’est cet équilibre qui donne au texte son objectivité. Les Pères condamnent fortement « l’opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d’une part, de la vie religieuse d’autre part ». Il ne peut donc pas y avoir dissociation de l’Eglise et des hommes, divorce de la foi et des activités terrestres. Dans ce texte, le concile redit avec force au chrétien de prendre l’exemple du Christ vrai Dieu et…vrai homme. Le Christ est venu au monde au nom de l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. L’homme doit croître et se développer à partir du fondement divin de son humanité comme image et ressemblance de Dieu. Il est fils de l’adoption divine. Le message traduit une relation si étroite de l’homme avec son créateur qu’il valorise tous les aspects de la vie. Et Cela s’adresse « au monde où l’homme à peur de l’homme, peur de la vie tout autant et peut-être plus encore que de la mort » comme l’écrit Frossard 1. Ce numéro est en quelque sorte la charte du laïc témoin de l’Eglise dans le monde de ce temps. Il donne une définition positive des laïcs qui sont liés par essence au caractère séculier. Les Pères considèrent que les activités terrestres ont une valeur propre et encouragent les laïcs à être actifs pour imprégner le monde d’esprit chrétien. Il y a trois orientations fondamentales à suivre : respecter les règles qui régissent ces activités et acquérir une compétence dans son domaine pour la promotion personnelle, collaborer sur des projets communs et enfin, prendre des initiatives en les conduisant jusqu’à leur terme. Maîtrisant son corps et dominant la terre, la personne déploie des capacités à leur tour “ créatrices ”. Cela a contribué au développement des sciences et de la technique. La conception biblique de l’homme a permis aux Européens de soutenir une haute notion de la dignité de la personne. La démarche du fidèle est donc active. Il a une véritable responsabilité pour « préparer le champ de la semence ». L’Eglise affirme qu’il est en l’homme une conscience capable de connaître sa dignité propre et de l’ouvrir à l’absolu, une conscience qui est le lieu d’une liberté responsable. La conscience de chaque chrétien joue un rôle essentiel dans leur mission : « l’inscription de la loi divine dans la vie temporelle ». Mais cette conscience doit être « préalablement formée » par l’Eglise et ses pasteurs pour la dignité humaine et le projet de Dieu. Il faut être témoin du Christ en vivant selon sa conscience, en suivant l’éclairage de la Sagesse qui illumine et soutient la façon dont il faut se conduire dans la recherche de solutions concrètes. Ce numéro est aussi un appel au dialogue et au respect de l’opinion et donc de la conscience individuelle mais distingue fortement l’opinion personnelle et l’autorité de l’Eglise qu’aucun laïc ne peut s’approprier « d’une manière exclusive ».
Les chrétiens ont toujours conçu leur existence comme une authentique catéchèse (Vous êtes la lumière du monde. » Mt 5,14). La vérité publique de l’Evangile ne peut pas être manifestée autrement que par des signes qui en constituent la manifestation et l’attestation. « Au milieu de la communauté humaine » les laïcs sont appelés à être des « coopérateurs de vérité » comme l’écrit l’apôtre Jean. Leur apostolat est destiné à évangéliser et sanctifier. L’existence chrétienne sert alors de témoignages de vie qui attirera les hommes à Dieu. Les laïcs doivent approfondir, appliquer, défendre les principes chrétiens, en annonçant le Christ. Il est impossible de dissocier la vérité elle-même des signes (témoignages) par lesquels et dans lesquels elle se manifeste. La foi ne divise pas l’homme, bien au contraire elle l’unifie. C’est l’affirmation de l’homme tout entier dans sa constitution spirituelle et corporelle. Le Concile Vatican II aura parfaitement suivi l’orientation donnée par le pape Jean XXIII qui, le 11 septembre 1962 (un mois avant l’ouverture du Concile ), dans un « message au monde entier » déclarait :
La raison d’être du Concile, ce pourquoi on le salue, on le prépare, on l’attend, c’est qu’il continuera, ou mieux, qu’il reprendra avec plus de forces la réponse du monde entier, du monde moderne au testament que le Seigneur, les mains étendues vers les extrémités du monde, formula en ces mots empreints de solennité divine : « Allez donc! De toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tous les commandements que je vous ai donnés ».
C’est aussi dans cette perspective que le Pape Jean-Paul II au début de son pontificat exhorte les chrétiens à ne pas avoir peur de mettre le Christ au centre de leur vie. Saint Pierre lui-même, dans sa première lettre ne considère-t-il pas que l’on « doit être prêt à défendre la foi et à rendre compte de l’espérance qui vit en nous » ?
Ce numéro 43 en définissant la mission, qui découle de la foi, invite le chrétien, et en particulier le fidèle laïc, à entendre les paroles du Christ : « suis-moi ». Après la souffrance, les larmes, l’angoisse de la passion, la croix, Jésus est là, ressuscité, et sa joie embrase le monde. Le Concile Vatican II nous dit que « contempler la vie des hommes qui ont suivi fidèlement le Christ est un nouveau stimulant à rechercher la Cité à venir, et en même temps nous apprenons par là à connaître le chemin très sûr par lequel, à travers les vicissitudes du monde et selon l’état et la condition propre à chacun, il nous sera possible de parvenir à l’union parfaite avec le Christ, c’est à dire la sainteté ». Les chrétiens sont appelés à se laisser envahir par l’Esprit de Pentecôte pour réveiller la flamme intérieure et « avancer vers le large ».
Duc in Altum !