Un weekend avec la communion des saints, les familles des saints et les enfants des saints
Journal du Synode du père Thomas Rosica, c.s.b.
L’un des arguments mentionnés dans bon nombre de présentations qui ont eu lieu au Synode a été celui des Saints et des Bienheureux qui offrent à l’Eglise des exemples concrets de vies enracinées dans les Ecritures Saintes et dans la Parole vivante de Dieu. Quand Mgr Angelo Amato, s.d.b., le nouveau Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints s’est adressé au Synode le 14 octobre, il a offert une image évocatrice des vies enracinées dans les Écritures:
Pendant deux millénaires, des hommes et des femmes, grands et petits, savants et innocents, en Orient comme en Occident, se sont mis à l’école du Seigneur Jésus, qui a fait résonner dans leur esprit et dans leur coeur un commandement sublime : « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Le but à atteindre n’est pas une perfection à mesure d’homme, mais la hauteur de la perfection divine. Avec simplicité et humilité, même des jeunes – comme Saint Domenico Savio, quatorze ans, ou comme Laura Vicuña, treize ans – ont pris au sérieux l’invitation du Seigneur et se sont faits saints.
Leur bibliothèque était composée essentiellement par la vie et par la Parole de Jésus : heureux les pauvres, heureux les affligés, heureux les doux, heureux les affamés et assoiffés de la justice, heureux les miséricordieux, heureux les coeurs purs, heureux les artisans de paix, heureux les persécutés. Les saints, comprenant que les béatitudes sont l’essence de l’Évangile et le portrait même de Jésus, l’ont imité.
Le thème des Saints et de la sainteté ont atteint un crescendo samedi soir lors des vêpres solennelles célébrées dans la Chapelle Sixtine par le pape Benoît XVI, le patriarche œcuménique Bartholomée I et tous les délégués et les participants au Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise. Nous avions été informés à la fin de la session matinale qu’il fallait nous rendre à 16h à la Chapelle Sixtine – en passant par l’arrière, en faisant le tour de la Basilique, il fallait traverser une partie des Jardins du Vatican, passer devant le palais et le très beau jardin du Gouvernorat, pour finir dans la Cour de Saint Damaso. Mgr Ronald Fabbro, c.s.b., de London (Canada) et moi-même avons pris notre temps pour marcher le long du chemin tranquille dans le labyrinthe de cours intérieures, jusqu’à ce que nous arrivions à San Damaso. Nous avons rejoint les cardinaux, les évêques et les délégués Synodaux qui ont ensuite été accompagnés par les gardes suisses à la “deuxième loge.”
Une fois arrivés à la Chapelle Sixtine, le silence s’est installé parmi le public. Plusieurs personnes étaient arrivées une bonne heure avant seulement pour prier sous et devant la beauté qui nous entourait. Peu avant que les vêpres commencent, un monseigneur du Bureau de Cérémonies pontificales nous a parlé du sens historique et ecclésial de l’art de cette Chapelle, commandée par le pape Jules II. La chapelle fut construite avec les mêmes dimensions que le Saint des Saints dans le Temple de Jérusalem. Le Monseigneur n’a toutefois pas mentionné certaines choses dont je me souvenais concernant cette grandiose salle pour mes cours d’histoire de l’art quand je fréquentais l’université, il y a de cela quelques années déjà.
Par exemple, le pape Jules était appelé: « le Terrible. » Sa vie nous rappelle l’un des personnages vifs appartenant au monde de Rabelais: Jules était un chasseur sauvage, un guerrier vantard, batailleur impétueux à la personnalité problématique. “E stato un Papa abbastanza curioso” (Il était un Pape assez curieux), a affirmé un diplomate du Vatican, de façon diplomatique!
Contrairement à la croyance populaire, Michelangelo Buonarroti n’a pas peint les fresques allongé sur son dos, ni les a-t-il accomplies seul. Lui et ses assistants ont préparé et peint la voûte debout (un petit peu penché en arrière). L’artiste avait plusieurs assistants – pour gratter, préparer les parois pour le plâtre, pour mélanger les peintures, et pour monter les matériaux du sol jusqu’au plafond, soixante mètres au-dessus. Il a peint quelques-uns des personnages à la main, mais la plupart étaient détaillés dans les « cartons » (esquisses préliminaires). Souvent, le travail devait être fait pendant que les messes se déroulaient au-dessous. Les évêques et les cardinaux souvent se plaignaient à cause de la poussière et du bruit. Il n’y a eu aucune plainte de la part d’évêques et de cardinaux samedi soir dernier. Seulement de l’admiration et de la reconnaissance à l’effet d’être dans cette salle.
À 17h pile les Patriarches et du Pape sont entrées dans la Chapelle Sixtine et la Chorale Sixtine a commencé à répéter ses chants. Le sens de cette vision qui se dévoilait devant nous n’échappait à personne dans la Chapelle Sixtine. Le pape Benoît XVI et le Patriarche œcuménique Bartholomée I sont entrés dans la Chapelle main dans la main. Derrière lui venaient les collaborateurs travaillant dans le domaine de l’unité chrétienne dans leurs églises respectives. L’histoire se déroulait sous nos yeux: pour la première fois un patriarche orthodoxe faisait partie du Synode des Evêques au Vatican, et co-présidait les vêpres, dans cet endroit historique et magnifique.
Suivant les vêpres, le Pape a invité le Patriarche Bartholomée à nous parler, ce qu’il a réussi à faire dans un anglais parfait. Le discours du patriarche œcuménique était divisé en trois sections, l’écoute et la prononciation de la Parole de Dieu à travers les Ecritures Saintes; l’observation de la Parole de Dieu dans la nature et surtout dans la beauté des icônes; et enfin le fait de toucher et de partager la Parole de Dieu dans la communion des Saints et la vie des sacrements de l’Eglise.”
La troisième section de la leçon magistrale du patriarche m’a vraiment beaucoup frappé. Voici quelques extraits de la réflexion de Bartholomée sur les Saints et la sainteté:
Dans la vie de l’Eglise, le fait de se donner jusqu’au bout, et le généreux partage de la Parole divine sont reflétés dans les vies des saints en tant qu’expériences tangibles et expressions humaines de la Parole de Dieu dans notre communauté. De cette façon, la Parole de Dieu devient le Corps du Christ, crucifié et glorifié en même temps. Le résultat est que le saint a un rapport intrinsèque avec le paradis et la terre, avec Dieu et toute la création. Dans un combat ascétique, le saint réconcilie la Parole et le monde…
C’est pourquoi le saint aime avec une chaleur et un espace qui sont inconditionnels et irresistibles. Dans les saints, nous connaissons toutes les Paroles de Dieu, puisque – comme le proclame Saint Grégoire Palamas – Dieu et Ses saints partagent la même gloire et la même splendeur.” Dans la présence gentille d’un saint, nous apprenons comme la théologie et l’action sont la même chose. Par l’amour compassionnel d’un saint, nous faisons l’expérience de Dieu en tant que “notre père” et la pitié de Dieu demeure toujours (Ps. 135). Le saint est dévoré par la flamme de l’amour de Dieu. C’est pourquoi le saint transmet la grâce et ne peut pas tolérer la moindre manipulation ou exploitation dans la société ou en nature….
Et dans la communion des saints, chacun de nous est appelé à “devenir comme le feu” (Expressions idiomatiques des Pères du désert), de toucher le monde avec la force mystique de la Parole de Dieu de façon à ce que – en tant qu’extension du Corps du Christ – le monde aussi puisse dire: “Quelqu’un m’a touché!” (cf. Mt 9.20) Le mal n’est évincé que par la sainteté, non pas par la rigidité. La sainteté introduit dans la société une graine qui guérit et transforme. Imbibé avec la vie des sacrements et la pureté de la prière, nous sommes capables d’entrer dans le mystère le plus intime de la Parole de Dieu. C’est comme les plaques tectoniques de la croûte terrestre: les couches les plus profondes n’ont besoin que de quelques millimètres pour faire éclater la surface de la planète. Mais pour que cette révolution spirituelle puisse avoir lieu, nous devons prouver repentance — une conversion d’attitudes, d’habitudes et de mœurs – pour avoir fait un usage impropre de la Parole de Dieu, des dons de Dieu et de la création de Dieu.
Mgr Angelo Amato a parlé de la bibliothèque personnelle contenant la vie et les Paroles de Jésus, surtout du grand plan pour la vie chrétienne, à trouver dans les Béatitudes. Le Patriarche œcuménique n’a pas seulement parlé des mots marqués dans les cœurs et les esprits des saints, mais aussi du don de la flamme de la Parole de Dieu qui doit être vivante et brûlante dans les cœurs des Saints. Ce feu, ce dynamisme, fera disparaître le mal qui est en nous et autour de nous et fera en sorte que la sainteté ressorte, guérissant et transformant la société et la culture qui nous entourent.
Visite de famille
Comme nous étions libres dimanche, j’en ai profité pour prendre un avion pour Milan et passer la journée avec la famille de sainte Gianna Beretta Molla, à Mesero.
J’ai été béni par le don de leur amitié ces dix dernières années et je les ai accompagnés durant les années qui ont précédé la canonisation, en mai 2004 au Vatican, de cette grande sainte, épouse, mère de famille, médecin, qui aimait la vie.
L’histoire de sainte Gianna est unique dans la mesure où c’est le seul cas dans l’histoire de l’Eglise où le mari et les enfants de la sainte sont toujours en vie. Le dimanche matin, j’ai célébré la messe dans la chambre de Pietro Molla, aujourd’hui âgé de 96 ans, entouré de trois de ses enfants – Gianna Emmanuela, Pierluigi et Laura – ainsi que leur famille. Des amis proches quelques autres membres de la famille se sont également joints à nous.
Pietro Molla est un pilier et un roc, un homme d’une foi, d’une simplicité et d’une sainteté extraordinaires. Je suis certain que l’histoire de sainteté ne s’est pas arrêtée avec Gianna, décédée en 1962 à l’âge de 39 ans. En effet, la cause de béatification et de canonisation du frère de Gianna, frère Alberto Beretta, missionnaire capucin au Brésil, a été ouverte l’an dernier à Bergame, en Italie.
A l’issue de la messe nous avons partagé un déjeuner simple avec la famille Molla. Nous avons parlé de la manière dont l’histoire extraordinaire de la vie de Gianna se répand à travers le monde entier. J’avais en tête les belles paroles des cardinaux, évêques, préfet, biblistes, d’un pape et d’un patriarche, prononcées à Rome pendant le synode des évêques sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise.
Dans cette maison familiale à Mesero, j’étais entouré de personnes qui possèdent une bibliothèque contenant la vie et les paroles de Jésus, une communauté de Milanais ordinaires qui ont pris les béatitudes au sérieux et les ont vécues chaque jour. On peut parler de la communion des saints en termes théologiques mais ce dimanche, je les ai vécues dans la chair et le sang. Ce groupe de personnes a été et reste pour moi la réalité de la communion des saints en temps réel : le mari d’une sainte, les enfants d’une sainte, les nièces et les neveux d’une sainte. Ils sont comme nous. Leur amour pour Dieu et pour leur prochain, leur cœur ardent et leur dynamisme brûleront la tristesse et le mal présents dans le monde d’aujourd’hui, non pas avec dureté mais à travers un amour fervent et une gentillesse ordinaire.
Tandis que le pape Benoît XVI était à Pompéi pour la Journée mondiale des missions, embrasant cette partie du sud de l’Italie, que moi je me trouvais dans le nord à Mesero, entouré du feu évangélique de la famille Molla, Mgr Saraiva Martins, préfet émérite de la Congrégation pour les causes des saints, présidait la cérémonie de béatification des parents de sainte Thérèse, Louis Martin et Zélie Guérin, à Lisieux, en France.
Sainte Gianna, avec sa famille et ses amis, Louis, Zélie, sainte Thérèse et leur famille, nous rappelle le sens de ce synode : aller au-delà des paroles de l’Ecriture pour rencontrer le Seigneur vivant qui nous invite à devenir ce que nous lisons, et ainsi, apporter l’espérance, la paix et la guérison à notre monde brisé et affamé.