En ce début de semaine de janvier, la France vient de perdre deux hommes de la même génération aux personnalités très différentes: le jésuite Jean-Yves Calvez, d’origine bretonne et le cinéaste Eric Rohmer, originaire d’Alsace. Ils ont en commun d’avoir traversé le siècle dernier et marqué leur époque de manière originale, l’un par ses écrits, l’autre par ses films.
Le Père Calvez fut provincial des jésuites de France de 1967 à 1971 puis assistant général du Père Pedro Arrupe, supérieur général de la Compagnie de Jésus de 1965 à 1983. Période de grands changements dans l’Église et dans le monde.
Théologien et philosophe, grand spécialiste de la doctrine sociale de l’Église, il s’est aussi consacré pour une bonne part à la pensée de Karl Marx. On lui doit de nombreux ouvrages sur le sujet. Il a dirigé de nombreux centres notamment l’Institut d’Etudes Sociales de l’Institut Catholique de Paris et le CERAS (Centre de Recherche et d’Action Sociales) ainsi que la revue « Etudes ». Ses deux derniers ouvrages Traversées Jésuites. Mémoires De France, De Rome, Du Monde 1958-1988 paru en 2009 et le « Petit dictionnaire de la mondialisation », en octobre 2008, sont des apports très utiles à la compréhension des bouleversements du monde actuel. Jean-Yves Calvez y présente un certain nombre de mots clés comme développement durable, commerce équitable, ingérence, écologie, financiarisation, libéralisme, avant de les croiser avec la pensée sociale de l’Eglise.
Pour lui, « la doctrine sociale chrétienne se doit de questionner le capitalisme ». Jusqu’à ces derniers jours le Père Calvez enseignait au Centre Sèvres à Paris, où il dirigeait le Département d’éthique publique ; il était aussi sollicité pour donner des cours dans le reste du monde.
Il conseillait de lire quotidiennement la Bible et le journal, car ces deux lectures permettent d’être solidaires des personnes démunies. Il a ouvert, avec d’autres, des voies nouvelles d’évangélisation et ses écrits seront un repère pour bien des générations.
Le cinéaste, Eric Rohmer, de son vrai nom Maurice Shérer, de formation littéraire, avait commencé par être critique dans les Cahiers du Cinéma. « Tous mes films tournent autour du problème du choix problème grave, mais traité sur le ton de la comédie « . Cette déclaration peut résumer son œuvre très importante. Notamment, ses premiers films, les six contes moraux, et ensuite les contes des quatre saisons. Il savait mettre en scène des personnages souvent jeunes, tiraillés par l’ambigüité de leurs sentiments amoureux, cherchant le grand amour, ayant des décisions à prendre pour leur avenir, discutant interminablement sur le hasard, le destin, la morale et la liberté et choisissant la fidélité.
Deux de ses films m’ont marquée: « Ma nuit chez Maud » film qui l’a fait connaître: c’est à la messe que le héros tombe amoureux de celle qui deviendra sa femme; après une discussion sur le pari de Pascal, il résiste à une autre femme qui veut le séduire ; et « l’Amour l’après-midi » où le personnage tenté par une aventure, reste fidèle à sa femme.
On lui a reproché de mettre en scène des personnages trop bavards, s’interrogeant beaucoup! C’est vrai qu’il faut aimer les discussions quand on va voir un film de Rohmer; les dialogues sont dans un français très littéraire ; agréables et faciles à interpréter aux dires des acteurs.
Ce cinéaste a mené une vie discrète qui lui a été source d’inspiration. Il connaissait bien les peintres et leur faisait des clins d’œil, notamment Vermeer, dans son film « Conte d’Automne ». Beaucoup de ses films révèlent la condition humaine qui transcende les siècles.
Son style différent dans un milieu souvent pris par les apparences, la beauté de ses dialogues et la profondeur des caractères de la plupart de ses personnages ont permis de décrire la complexité de la vie et les interrogations portées par nos contemporains.
Ces deux hommes très différents ont cherché à mieux comprendre l’être humain et y ont contribué par leurs œuvres.