Les 28 et 29 avril prochains, le pape François se rendra en Égypte pour une visite apostolique. Ce voyage en trois temps permettra au Saint-Père de renforcer les relations avec les autorités civiles et religieuses de ce pays, le plus populeux du monde arabe.
Un contexte sociopolitique particulier
Pour bien comprendre les enjeux liés à cette visite, il est important de dire quelques mots sur le contexte actuel. Ce n’est un secret pour personne, l’Égypte a connu, dans la dernière décennie, des mouvements politiques et sociaux importants qui ont grandement mis en péril sa stabilité. En effet, le pays des pharaons n’a pas été épargné par ce qu’on a appelé « le printemps arabe ». Cette période de rébellion, menée par des groupes aux intérêts divergents et, parfois même, diamétralement opposés, a mené à la destitution d’Hosni Moubarak et à la prise du pouvoir par le parti des frères musulmans. La prise de pouvoir de ce mouvement islamiste qui avait procédé, l’espace d’un moment, à l’inscription de la Sharia dans la
constitution, avait fait de nombreux mécontents dont les autorités religieuses chrétiennes, musulmanes modérées, les mouvements pro-démocratie et, surtout, les hautes autorités militaires, très liées à l’ancien régime. En ce sens, on se rappellera l’augmentation importante des attentats terroristes contre les
minorités religieuses lors de cette courte période.
Un rapport de l’Aide à l’Église en détresse affirme en effet : « Avant et après les élections présidentielles de juin 2012, qui ont amené Morsi au pouvoir, le climat d’hostilité contre les coptes a
été intense. Les violences physiques et morales ont augmenté ». Ce qui avait fait douter de la volonté de son gouvernement à protéger cette portion importante de la population (
+/- 10 %). Ce qui avait de grande chance d’arriver arriva, le maréchal à la retraite Abdel Fattah Al-Sissi destitua et arrêta le président islamiste Mohamed Morsi et déclara comme «
mouvement terroriste » le parti des frères musulmans.
Depuis son élection, le président Sissi a entrepris un certain nombre de réformes visant la
modernisation de la société musulmane égyptienne. Dans un discours à la Grande Université Al-Alzhar le 28 décembre 2014, il avait demandé au chef religieux de la plus importante université islamique du monde sunnite de proposer un «
discours religieux qui correspond à son époque ». Depuis ce discours historique, plusieurs gestes manifestent cette volonté du gouvernement égyptien de favoriser un rapprochement et la réconciliation entre chrétiens et musulmans. D’abord, les relations entre l’Université
Al-Alzhar et le Vatican, rompues depuis quelques années, ont pu reprendre à la suite de la visite du cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam de la mosquée Al-Azhar. Et suite au geste symbolique que constitue la présence du président égyptien lors de la
Messe de Noël à la cathédrale orthodoxe Copte Saint-Marc du Caire en compagnie de Théodore II, on ne peut que se réjouir de la plus récente
affirmation de la Conférence d’Al-Azhar de « l’égalité entre chrétiens et musulmans ».
On peut l’imaginer ce chemin concret de rapprochement ne fait pas beaucoup d’heureux du côté islamiste, à en juger par les plus récentes
attaques terroristes qui montrent que cette égalité toujours fragile nécessite encore, pour les minorités religieuses, une protection supplémentaire de la police et de l’armée. C’est dans ce contexte politico-religieux que s’amorce la visite du pape François, la semaine prochaine.
Un voyage en trois temps pour trois priorités
Dans un premier temps, le pape François rencontrera le président al-Sissi lors d’une visite au palais présidentiel. Cette ouverture de part et d’autre manifeste une volonté réciproque de renforcement des liens et de la collaboration en faveur de la paix. Deuxième rencontre entre les deux hommes, cette discussion portera certainement sur les grands thèmes chers au pape François dont la liberté religieuse, la protection des chrétiens persécutés et des points liés au développement de l’Égypte qui accuse des retards considérables en terme d’éducation, de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement.
CNS photo/L'Osservatore Romano via Reuters
Après cette réunion protocolaire, le Pape se rendra auprès du grand imam
d’Al Azhar, le cheikh Ahmed Al Tayeb, afin de prononcer, chacun leur tour, un discours lors de la
Conférence internationale sur la paix. Cette prise de parole commune s’inscrira dans la continuité des discussions amorcées en
février dernier contre « le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom
de la religion ». De ce rapprochement et de ce dialogue interreligieux, nous sommes en droit d’espérer des effets d’apaisement dans le climat de
tension actuel ainsi que des fruits d’érudition en faveur d’une « modernisation de l’Islam ».
Dans une perspective œcuménique, le pape rencontrera le patriarche copte Tawadros II pour des discussions privées suivies de discours. Nous pouvons d’ores et déjà voir en cela un geste de soutien pour cette minorité chrétienne
d’Égypte dont les racines remontent à l’évangélisation de saint Marc évangéliste et apôtre. Cette amitié renouvelée peut être perçue comme un fruit de cet «
œcuménisme du sang », expression plusieurs fois employée par le Saint-Père notamment pour décrire le drame des « Égyptiens coptes égorgés par les djihadistes de l’État islamique sur les rives de la mer Méditerranée ». Il avait alors
affirmé : « Tous sont nos martyrs, car ils ont donné leur sang pour le Christ ». La présence du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier peut également être interprétée en ce sens. Enfin, le pape célèbrera une Messe en compagnie de la communauté copte-catholique d’Égypte avant de retourner à Rome, samedi, en début de soirée.
Le voyage du pape François en Égypte arrive dans une période charnière de l’histoire de ce pays plus que deux fois millénaire. Considérant les nombreux risques d’attentats que cette visite comporte, on peut y voir la grande détermination du pape François à raffermir les liens d’amitié avec les
autorités politiques et religieuses et à apporter son soutien et sa collaboration dans l’élaboration d’une société et d’un
islam modernes. De plus, ce voyage permettra au Pape de manifester concrètement sa solidarité avec les chrétiens orthodoxes et catholiques d’Égypte dans ces moments tumultueux où plusieurs ont versé leur sang par fidélité au Christ. Ainsi, espérons que cette visite très attendue porte des fruits de paix et de réconciliation si nécessaires aujourd’hui.