Homélie du Cardinal Gérald Cyprien Lacroix : Béatification d’Élisabeth Turgeon

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Homélie de

Monsieur le Cardinal

Gérald Cyprien Lacroix

Archevêque de Québec Primat du Canada

QUATRIÈME DIMANCHE DE PÂQUES JOURNÉE MONDIALE DE PRIÈRE POUR LES VOCATIONS

BÉATIFICATION D’ÉLISABETH TURGEON

Église Saint-Robert-Bellarmin, Rimouski, Québec, 26 avril 2015

Jésus : « Ma fille, donne-moi ton cœur ». Élisabeth : « Il est à vous, Seigneur ».

Très chers frères et sœurs,
Très chères sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire,

La joie pascale est palpable, débordante, en ce jour où nous participons à la béatification d’une religieuse québécoise, durant cette année dédiée à la vie consacrée. Quel beau et grand cadeau ! Ces mots de Jésus : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis »1, retentissent en nous avec force. Depuis deux mil ans, des hommes et des femmes ont généreusement répondu à l’appel de Jésus à lui donner leur vie et à marcher à sa suite.

Au cours du Temps Pascal, nous célébrons le dimanche de la Journée mondiale de prière pour les vocations. C’est une journée parfaite pour célébrer, dans l’action de grâces, une béatifi- cation. Dans son message à l’occasion de cette 52ème journée mondiale de prière pour les voca- tions, le pape François nous dit que le Seigneur nous appelle à venir à lui pour nous envoyer en mission : « L’offrande de sa vie dans cette attitude missionnaire est possible seulement si nous sommes capables de sortir de nous-mêmes »2. C’est l’invitation fondamentale pour toute vocation. C’est aussi le chemin de la sainteté : sortir de soi-même pour aller à la rencontre de l’autre, à la rencontre des autres.

Seul l’Esprit Saint nous rend capable de sortir de nous-mêmes. Il soulève et fortifie en nous l’audace de donner notre vie et de témoigner de la Bonne Nouvelle qu’est l’Évangile. Dans son témoignage, « Pierre, rempli de l’Esprit Saint »3, déclare aux chefs du peuple et aux anciens sa foi en Jésus, le Crucifié, que Dieu a ressuscité, lui qui est l’unique Sauveur. L’apôtre Jean en fera autant dans sa première lettre. Il partage le cœur de son expérience lors de sa rencontre avec le Christ. Cette rencontre lui a permis de découvrir et de contempler l’amour infini de Dieu : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes »4. Les saints et les saintes font l’expérience de ce cœur à cœur avec Dieu, de son amour gratuit, amour qui appelle à l’intimité avec lui, qui invite au don de soi, au don total, comme Jésus, le Bon Berger.

L’Église nous offre un cadeau précieux en nous proposant des bienheureux et bienheu- reuses, des saints et des saintes. Ces hommes et ces femmes ont vécu le mystère pascal intensé- ment, en témoignant de leur vie d’union à Dieu au cœur des réalités du monde. Des vies ordinaires, mais revêtues d’une grande fécondité grâce à leur communion avec le Seigneur et leur docilité à l’Esprit Saint. Notre nouvelle bienheureuse, Élisabeth Turgeon, incarne bien ces caractéristiques qui conduisent à la sainteté. En considérant les étapes de son parcours, nous y discernons la main de Dieu qui la façonne et la prépare pour une grande mission. Elle voit le jour à Beaumont, dans l’Archidiocèse de Québec, où elle reçoit, à son baptême, le nom de Marie Élisabeth. C’est dans la grande région de Québec qu’elle passe les 35 premières années de sa vie qui n’en comptera que 41. Élisabeth Turgeon compte, parmi ses ancêtres, Louis Turgeon, membre du Conseil législatif et 5e seigneur de Beaumont ainsi que Mgr Pierre-Flavien Turgeon, 4e archevêque et 14e évêque de Québec. Elle était la petite-nièce de Mgr Turgeon.

Bien enracinée dans la culture canadienne française, Élisabeth perçoit les besoins de son milieu et de son époque. L’instruction et l’éducation chrétienne des enfants pauvres des cam- pagnes s’avèrent un besoin criant. La jeune Marie Élisabeth Turgeon a neuf frères et sœurs. Elle possède de brillantes qualités intellectuelles, un tempérament ardent et une exceptionnelle force de caractère. Regardez bien sa photo ; un front dégagé, des yeux clairs, un regard limpide, enga- gé. Ce visage révèle une grande bonté et un sourire bienveillant. Loin de moi de vouloir re- prendre ici sa biographie, d’autres l’ont déjà fait mieux que moi. Toutefois, il m’apparaît impor- tant de mettre en lumière cette réalité. Lorsque le Seigneur appelle une personne à le suivre de plus près, pour lui confier une mission, il la forme à travers tous les passages de sa vie. Comme saint Paul l’affirme : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu »5.

Élisabeth Turgeon a vécu de près la souffrance et les épreuves : le décès prématuré de son père, sa propre santé très fragile, les difficultés qui éclatent et secouent fortement les écoles du Bas-Canada. Tout cela la prépare à fonder ici, à Rimouski, les Sœurs des Petites-Écoles, devenues les Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire. Son histoire n’a rien de facile, ni de reposant, mais elle dévoile un rayonnement exceptionnel dans cette belle et grande région du Québec. Un rayonne- ment reconnu par l’Église, mais aussi par la société civile.

Mère Marie-Élisabeth et ses compagnes ne se démentent pas «quels que soient les tâches à accomplir et les concours de circonstances, la mission demeure prioritaire pour la Servante de Dieu. En aucun moment on ne la voit repliée sur les malheurs et les difficultés de l’heure, prête à démissionner ou à tout abandonner. Sans minimiser les défis et les combats, elle tient bon et en- courage ses compagnes à faire de même »6. Nous pourrions l’invoquer comme une championne de la persévérance.

À la suite de Jésus, le Bon Berger, la bienheureuse Élisabeth Turgeon ira jusqu’au bout dans le don de sa vie. Elle cherchera toujours à être fidèle à son appel et à la volonté de Dieu. À ses sœurs missionnaires, elle disait : « Vous êtes les aides de Notre Seigneur dans l’œuvre de la Rédemption »7. Il n’est pas possible d’arriver à ce degré de persévérance et de don de soi par ses seules forces humaines. Les saints et les saintes nous laissent le témoignage d’une vie féconde, tournée vers le Seigneur, en communion profonde avec l’Époux, le Christ. À une époque mar- quée par des courants spirituels souvent rigides, qui invitaient à « gagner » son ciel à coups de pénitences et de sacrifices, un ciel où trônait, à distance respectueuse, le ‘Dieu d’en haut’ »8, la Bienheureuse Élisabeth Turgeon, grâce à une vie quotidienne transfigurée par la prière, voyait en Dieu, le « bon Dieu », la « divine Providence », la « divine Miséricorde », le « bon père de fa- mille ». Cette liberté intérieure, dans laquelle le Seigneur l’a fait grandir, est admirable. C’est un héritage spirituel précieux à conserver et à partager. L’Année Sainte, le Jubilé de la Miséricorde que le Saint-Père vient d’annoncer, nous guide précisément dans cette direction de l’amour de Dieu avec lequel nous pouvons faire route.

Frères et sœurs, rendons grâce au Seigneur pour la vie de notre nouvelle bienheureuse. Le pape Benoît XVI, lors de la canonisation de Kateri Tekakwitha en 2012, nous rappelait que ce sont les saints qui évangélisent. Ce fut comme ça au début de l’Église, ainsi que tout au long de notre histoire. C’est encore le chemin que Dieu prend pour évangéliser le monde de notre temps. Nous ne pouvons évidemment pas reproduire la vie de la Bienheureuse Élisabeth. Mais, nous pouvons être convaincus que si nous nous laissons modeler le cœur par Dieu, si nous entrons dans la grande communion avec Dieu notre Père, Jésus, notre Sauveur, si nous nous laissons conduire par l’Esprit Saint, comme elle l’a fait, nous porterons des fruits abondants pour l’Église et pour le monde de notre temps.

Il se peut que nous nous sentions indignes, pas à la hauteur, incapables. J’aime bien répéter cette phrase fort encourageante : « Dieu ne choisit pas des gens capables. Il rend capables ceux qu’il choisit ». Les saints et les saintes sont à peu près tous des exemples de cela. Élisabeth Tur- geon ne fait pas exception. Les besoins qu’elle voyait autour d’elle, au moment où elle fonda sa Congrégation, sont toujours bien présents : l’éducation et la catéchèse des enfants, la formation de personnes pour accomplir cette mission. Il est heureux que cette mission soit partagée au- jourd’hui par les religieuses de Notre-Dame du Saint-Rosaire, mais aussi par des personnes laïques qui s’associent à elles.

Le Seigneur est certainement à la recherche de d’autres hommes et femmes qui, enracinés dans la foi, sauront répondre à son appel par le don total de leur vie. Il y a tant de besoins pasto- raux et humanitaires à combler dans notre cher Québec et ailleurs dans le monde. À l’appel de Dieu, qui répondra comme la Vierge Marie « Me voici, que tout se passe en moi selon ta Pa- role» ?9 À l’appel de Jésus : « Donne-moi ton cœur », qui répondra comme Élisabeth Turgeon : « Il est à vous, Seigneur » ?

Voilà le point de départ d’une grande aventure d’amour et de don de soi. Lorsque le cœur est conquis, une grande amitié débute avec Jésus. Elle conduit à la vie en abondance, à la joie de l’Évangile, à la sainteté.

De la fenêtre du Palais Apostolique à Rome, le Pape François a prononcé, ce midi, ces pa- roles qui annoncent à l’Église tout entière et au monde la joie de cette béatification : « Au- jourd’hui au Canada, est proclamée bienheureuse Marie Élisabeth Turgeon, fondatrice des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire de Saint Germain : une religieuse exemplaire, dédiée à la prière, à l’enseignement dans les petites écoles de son Diocèse et auxœuvres de charité. Rendons grâce au Seigneur pour cette femme, modèle de vie consacrée à Dieu et d’un généreux engagement au service du prochain »10

Il nous reste maintenant à dire : Seigneur, merci pour la Bienheureuse Élisabeth Turgeon. Suscite encore parmi nous de nombreux saints et saintes qui te diront par toute leur vie.

1 Jn 10, 11; 2 Pape François, Message pour la 52ème Journée mondiale de prière pour les vocations, 29 mars 2015 3 Ac 4, 8; 4 1 Jn 3, 1; 5 Rm8,28; 6 Positio sur les vertus et la renommée de sainteté de Marie Élisabeth Turgeon, Rome, 1998, page 362.; 7 Ibid, page 363.; 8 Ibid, page 363.; 9 cf.Lc1,38; 10 Pape François, Regina caeli, 26 avril 2015.

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