Thérèse de Lisieux et Padre Pio : La joie de souffrir et d’offrir en donnant la Miséricorde

 

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Nous commémorons aujourd’hui la mort de Padre Pio (23 septembre 1968), et la semaine prochaine  celle de Thérèse de Lisieux (30 septembre 1897). À cette occasion nous publions ici un texte écrit sur ces deux figures de sainteté, par Francesco Armenti, diacre, journaliste et écrivain. Originaire de San Severo, dans le sud de l’Italie, Don Francesco a grandi dans la même province que Padre Pio, dont il est un spécialiste.

1. Durant cette Année de la Miséricorde, il est important de se plonger dans la vie des saints, parce que, comme nous l’a dit le Pape François, “ils sont entrés dans la profondeur de la Miséricorde”.

La vie de Sainte Thérèse de Lisieux (1873-1897) et celle de Padre Pio (1887-1968), comme d’ailleurs celle de tous les saints, et si nous le voulons, de chacun d’entre nous et de tout homme, est une histoire d’amour entre Dieu et l’âme, entre le Père et le Fils, en lequel le Seigneur se manifeste par sa miséricorde, sa tendresse, sa compassion et sa charité infinie.

Au cours de cette réflexion, nous chercherons la présence de Dieu en ces deux saints, en pénétrant dans leur chemin de sanctification et dans leur spiritualité, avec le but d’être guidés par leur exemple, vers la rencontre avec le Miséricordieux.

Ces deux saints ne se sont pas connus personnellement : en fait, quand Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus est morte, Padre Pio n’avait que 10 ans.

Mais, Padre Agostino de San Marco in Lamis, le directeur spirituel de Padre Pio, et professeur de théologie, lui inculqua la dévotion envers Sainte Thérèse, et l’invita à lire l’ “Histoire d’une âme”

Padre Pio devint ainsi profondément amoureux de la spiritualité de la petite Thérèse, jusqu’à intérioriser son langage spirituel et mystique.

Comme nous le verrons, ces deux saints ont vécus des phénomènes mystiques similaires, comme la blessure d’amour, l’abandon à l’amour divin, et la Nuit de l’Esprit.

De fait, en comparant la description qu’ils font de ces phénomènes, on s’aperçoit que le langage, les sentiments, les émotions exprimés par Padre Pio, sont très similaires à ce qu’écrit Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.

La participation du Saint de Pietrelcina, en bilocation, à la béatification et à la canonisation de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, est un fait reconnu.

Monseigneur Thomas Gregorio Comacho, Archevêque de Salto (Uruguay) a en effet, déclaré avoir vu, le 29 avril 1923, le frère capucin dans la Basilique Saint Pierre. Toutefois quand il s’approcha pour le saluer, celui-ci disparut.

 Puis, deux ans plus tard, le 17 mai 1925, le jour de la canonisation de Sainte Thérèse, ce fut Don Orione (Saint Louis Orione) qui témoigna de la présence de Padre Pio, toujours en bilocation. Don Orione, déclara lui aussi, que Padre Pio disparaissait chaque fois qu’il essayait de s’en approcher.

Ces deux bilocations, survenues lors de deux évènements écclésiaux importants regardant Sainte Thérèse, montrent la dévotion que le capucin stigmatisé nourrissait pour la sainte Patrone des Missions.

Dans une lettre à sa fille spirituelle, Raffaelina Cerase, également très dévote de la petite Thérèse, Padre Pio, reprenant un conseil de Padre Agostino, dit ceci de la carmélite « Voici, ma fille, l’exemple d’une âme totalement détachée d’elle même, et pleine de Dieu. C’est précisément ce que vous devez vous efforcer de devenir, vous aussi, avec l’aide de Dieu ».

2. Voyons maintenant la spiritualité qui a caractérisé et uni la vie de ces deux saints. Spiritualité que nous pouvons synthétiser ainsi : la “petite voie” et l’humilité, l’amour de l’Eucharistie, l’abandon à l’amour de Dieu, la “Folie de la Croix” et l’expérience de la Miséricorde.

La “Petite Voie”

Bien que de manière différente, ces deux saints, pour aller à l’encontre du Seigneur, ont choisi et vécu la “petite voie”.

Un chemin fait de petits gestes quotidiens, pleins d’amour, de reconnaissance, d’offrande de ses propres souffrances, d’incompréhensions, d’humiliations, de dépouillement total de soi-même à l’imitation de “ l’abaissement de Dieu”.

A la lecture de leur vie et de leurs écrits, il apparaît que – que ce soit Thérèse ou que se soit Padre Pio – ils ont toujours désiré une vie cachée et qu’ils se sont toujours pris pour “un petit rien”. Tous les deux se sont vraiment faits “enfants”, pour suivre Jésus et rechercher l’amour dans les petites choses (cf. Mc 10,14-16). Padre Pio disait de lui-même « Je ne suis qu’un pauvre frère qui prie ».

Le choix de l’humilité et de la “petite voie” chez ces deux saints nait de la méditation du mystère de l’incarnation, de la Kénose de Dieu et de l’amour de l’Enfant Jésus. A ce sujet, examinons en parallèle, deux de leurs écrits.

Dans son autobiographie, la petite Thérèse s’offre « à l’Enfant-Jésus pour être son petit jouet … non pas comme un de ces jouets de prix que les enfants se contentent de regarder sans oser y toucher, mais comme une petite balle de nulle valeur, qu’il pouvait jeter à terre, pousser du pied, percer, laisser dans un coin, ou bien presser sur son cœur si celui faisait plaisir ».

En 1912, Padre Pio qui a déjà lu “L’histoire d’une âme”, et qui connait donc l’expérience spirituelle et mystique de Saint Thérèse, écrit dans une lettre du 18 janvier 1913 adressée à Padre Agostino, lettre dans laquelle il révèle aussi les attaques du démon: « Comme il me le répète souvent, je suis le jouet de l’Enfant-Jésus, mais ce qui est pire, c’est qu’il a choisi un jouet sans aucune valeur. Je regrette seulement qu’il salisse ses menottes divines. Je pense qu’un jour, il le jettera dans un fossé pour ne plus jouer avec lui. Je ne mérite pas un autre sort».

La pensée de Padre Pio, dans le fond et dans la forme, est semblable à celle de la jeune carmélite, simplement parce qu’il a vécu la même expérience spirituelle.

Amour de l’Eucharistie

Où la Carmélite et le Capucin se réfugient-ils pour puiser la force et le courage d’être et de vivre «cachés avec Dieu et en Dieu »? (Col 3,3).  Toujours et uniquement devant le Tabernacle, l’Eucharistie, le “sacrement du quotidien”. C’était la source de leur vie.

 Je rappellerai simplement deux pensées sur l’Eucharistie de ces deux saints.

La petite Thérèse, toujours désireuse de recevoir le corps du Seigneur,  écrivait : « Il descend tous les jours du ciel, non pas pour rester dans le ciboire d’or, mais pour en trouver un autre : le ciel de notre âme. Ce ciel lui est infiniment plus cher que le premier parce qu’il est fait à son image : c’est un temple vivant de l’adorable Trinité » (Manuscrit “A”).

Sans l’Eucharistie, sans l’autel et le confessional, on ne comprendrait pas le mystère de Padre Pio, qui dans la Sainte Messe revivait la passion du Christ, en s’offrant victime pour les pécheurs.

Le 29 mars 1911, il écrit à Padre Benedetto « Mon cœur se sent comme attiré par une force supérieure avant de s’unir à lui le matin dans le Saint Sacrement. J’ai une telle faim et soif avant de le recevoir, que je manque de mourir d’angoisse. Et c’est justement parce que je ne peux pas ne pas m’unir à Lui que, même fiévreux, je suis obligé d’aller me nourrir de ses chairs. Et cette faim et soif, au lieu d’être apaisées après l’avoir reçu en sacrement, croissent de plus en plus. Alors ensuite, quand je suis déjà en possession de ce bien suprême, alors bien que la plénitude de douceur soit vraiment grande, il s’en faut de peu pour que je ne dise à Jésus : ça suffit, je n’en peux vraiment plus. J’oublie presque d’être de ce monde, l’intelligence et le coeur ne désirent plus rien, et pendant un long moment, quelquefois, même involontairement, il ne me vient aucun désir d’autre chose ».

Abandon à l’Amour de Dieu

Dans les épreuves et les souffrances, dans la nuit obscure de l’Esprit, Padre Pio, guidé par son directeur spirituel, est poussé à imiter Thérèse dans sa capacité à s’abandonner, à se fier aveuglément à l’amour de Dieu, et à tout vivre dans la logique de l’Amour.

Padre Agostino encourage Padre Pio à la confiance, en l’invitant à réfléchir sur une des phrases que Sainte Thérèse, empruntait elle-même à Saint Jean de la Croix : « A la fin de notre vie, nous serons jugés sur l’amour » (cf. Mt 25,35). En effet, dans une lettre du 13 octobre 1915 Padre Agostino écrit : « Tâche encore d’apaiser tes angoisses en t’abreuvant à la fontaine de l’amour divin; tu dois les apaiser par la foi, la confiance, l’humilité et la soumission à la volonté de Dieu. La vénérable sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus disait : « Je suis une petite âme ; je ne veux décider, ni de mourir, ni de vivre, mais que Jésus fasse de moi ce qu’il veut! ».

Et Padre Pio il 17 octobre 1915 lui répond ainsi : « Mon Père, que mon malheur est grand! Qui pourra jamais le comprendre? Je sais fort bien que je suis un mystère pour moi-même, je n’arrive pas à me comprendre. Vous m’écrivez que la vénérable sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus avait l’habitude de dire : « Je ne veux décider, ni de mourir, ni de vivre; mais que Jésus fasse de moi ce qu’il veut! Je vois bien, hélas, que c’est la caractéristique de toutes les âmes dépouillées d’elles-mêmes et pleines de Dieu. Mais comme mon âme est loin d’un tel dépouillement! Je n’arrive pas à refréner les élans de mon cœur; pourtant, mon Père, je m’efforce de correspondre à ce que la vénérable sœur Thérèse disait, car cela devrait être la conviction de toute âme brûlante d’amour pour Dieu. Je dois avouer que je n’y parviens pas, car cela signifie rester prisonnier d’un corps de mort. C’est le signe que je n’ai pas d’amour pour Dieu : si c’était le cas, en effet, puisqu’un est l’esprit qui vivifie, un aussi devrait en être l’effet. Comprenons-nous bien: si celui qui agit en moi était le même que celui qui agissait en sœur Thérèse, mon âme partagerait sa conviction. Or, dites-moi : n’ai-je pas raison d’en douter? Pauvre de moi! Qui délivrera mon cœur de cette torture? ».

Miséricorde et “Folie” de la Croix

La Sainte de Lisieux et le Saint de Pietrelcina sont entrés dans le mystère de la Miséricorde de Dieu, chacun avec la vocation et les charismes qu’ils ont reçus, parce qu’ils ont contemplés le Miséricordieux, crucifié et ressuscité, et qui comme Marie, sont restés, sous la Croix où ils ont appris à aimer. Sainte Thérèse voyait dans la Croix, la possibilité concrète d’aimer les pécheurs qu’elle considérait comme des fils à sauver, et pour eux, elle offrait son amour crucifié avec Jésus sur la Croix.

En effet, elle écrivait, que «[…] La saintété ne consiste pas à dire de belles choses, ni à les penser ou à les ressentir; mais elle consiste dans le vouloir bien souffrir ». Toute sa vie, après la découverte de la “petite voie”, est illuminée par le soleil de la Miséricorde de Dieu. L’amour de Miséricorde chez Thérèse peut être synthétisé dans une de ses affirmations : « Le propre de l’amour est de s’abaisser ». Etre  miséricordieux signifie donc, s’abaisser, s’humilier, se dépouiller de soi à l’imitation du Christ.

La Croix et la miséricorde sont des caractéristiques inéliminables dans la vie de Padre Pio, qui, à la différence de Sainte Thérèse, en plus d’avoir été destinataire de l’amour de Dieu, a été aussi dispenciateur de sa miséricorde et de son pardon, dans le confessional et dans la direction spirituelle.

Le Frère stigmatisé était conscient de cette mission de “pardonneur” pour laquelle il avait été choisi par le Seigneur, et c’est cette mission qui était âprement et férocement combattue par satan.

De fait, le 3 juin 1919, il écrit à Padre Benedetto « Je n’ai pas une minute de libre : tout mon temps est consacré à tirer les frères des lacets de satan […]. La charité la plus grande est celle d’arracher des âmes accrochées à satan pour les gagner à Dieu. C’est justement cela que je fais avec assiduité, et la nuit et le jour ».

Que ce soit en Sainte Thérèse, comme en Padre Pio, la “folie de la Croix” coïncide dans le don “d’être holocauste” pour les pécheurs, et dans la mission de “porter des âmes au Seigneur”.

3. Au terme de cette méditation, il est beau de regarder, encore une fois, Sainte Thérèse et Padre Pio, comme deux étoiles qui indiquent la lumière de la Croix, laquelle est l’icone la plus parfaite de la miséricorde du Seigneur.

Ces deux saints encouragent à « être miséricordieux comme le Père » (Lc 6,36), en portant avec espérance et confiance la « Croix de la passion, et en s’identifiant au péché du monde moderne » (Cardinale Carlo  Caffarra).

La Sainte, Docteur de l’Eglise, et le Frère Capucin, modèle de vie sacramentelle et de vie sacerdotale, qui se considéraient fragiles et petits, et participaient à la Passion du Christ, sont, aujourd’hui encore, témoins de la Miséricorde du Seigneur qui continue à sauver le monde et l’humanité.

Appendice

Textes de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

LA BLESSURE D’AMOUR INTÉRIEURE

Une vive flamme d’amour la consumait, et voici ce qu’elle nous raconta elle-même : ‘Quelques jours après mon Offrande à l’Amour Miséricordieux, je commençais au chœur l’exercice de la Via Crucis, quand je me sentis à un moment comme blessée par un dard de feu si ardent que je crus mourir. Il n’y a pas de comparaison possible pour faire comprendre de façon adéquate l’intensité de cette flamme. Il me semblait qu’une force invisible m’immergeait toute entière dans le feu… Et quel feu c’était ! Quelle douceur !…’ Et lorsque la Mère prieure lui demanda si ce transport était le premier de sa vie, elle répondit simplement : ‘Ma Mère, des transports d’amour, j’en ai eu beaucoup, spécialement une fois à l’époque du noviciat, et je restais alors une semaine entière comme hors de ce monde ; il me semblait qu’au-dessus de toutes les choses de la terre, il s’était tendu comme un grand voile. Mais je n’étais pas consumée par une flamme réelle, et je pouvais supporter ces délices sans espérer voir mes liens se briser sous leur poids ; tandis que, le jour dont je parle, un instant, une seconde plus, et mon âme se serait séparée de mon corps… Hélas ! Je me suis retrouvée sur la terre, et l’aridité revint immédiatement prendre possession de mon pauvre cœur. ’ Encore un peu, douce victime d’amour ! La main divine a retiré son dard brûlant, mais la blessure est mortelle…» (Histoire d’une âme, ch.12).

Textes du Père Pio de Pietrelcina

LA BLESSURE D’AMOUR INTÉRIEURE

Bien cher Père, (…) écoutez ce qu’il m’est arrivé vendredi dernier. J’étais à l’église en train de faire mon action de grâces après la messe, quand je me sentis tout à coup le cœur transpercé par un javelot de feu si vif et si ardent que je crus en mourir. Les mots me manquent pour vous faire comprendre l’intensité de cette flamme : il m’est réellement impossible de le décrire. Me croirez-vous ? L’âme victime de ces consolations devient muette. J’avais l’impression qu’une force invisible me plongeait tout entier dans le feu… Mon Dieu, quel feu ! Quelle douceur ! J’ai vécu bon nombre de ces élans passionnés d’amour, et je suis resté pendant un certain temps comme hors de ce monde. Les autres fois, ce feu a été moins intense, mais cette fois-ci, un instant, une seconde de plus, et mon âme se serait séparée de mon corps… elle serait partie avec Jésus. Oh ! Qu’il est beau de devenir victime d’amour ! Et comment va mon âme en ce moment ? Mon cher père, à présent Dieu a retiré son javelot de feu, mais la blessure est mortelle… N’allez pas croire, pourtant, que le “croque-mitaine” me laisse en paix ; les tortures qu’il inflige à mon corps sont telles que je vous les laisse imaginer d’après les consolations divines que mon âme reçoit. Mais vive toujours Jésus, qui me donne tant de force que je peux me moquer de ce “cosaque” » ( Lettre  à Padre Agostino, du 26 août 1912).

LA NUIT OBSCURE DE LA FOI

« Ma foi ne tient qu’à un effort de ma pauvre volonté, contre toute conviction humaine. Il en est peut-être justement ainsi parce qu’elle ne pourra jamais recevoir aucune nourriture ni dans sa partie sensible ni dans sa partie supérieure. En somme, ma foi est le fruit d’efforts continuels sur moi-même. De plus, tout cela n’est pas l’affaire de quelques fois par jour, mais c’est permanent, et si j’agissais autrement, je ne pourrais m’empêcher de devenir infidèle à mon Dieu. La nuit devient plus obscure et je ne sais ce que le Seigneur me réserve encore. Je voudrais vous dire bien des choses, mon Père, mais je ne le puis : je reconnais que je suis un mystère pour moi-même. Quand donc viendra le moment où les brumes de mon âme disparaîtront ? Quand le soleil se lèvera-t-il en moi ? Dois-je l’espérer en ce monde-ci ? Je crois que cela ne pourra jamais arriver. 
Mais finissons-en : je m’aperçois que mon langage pourrait vous paraître un manque de foi ; c’est pourquoi la crainte de vous heurter me fait préférer le silence. Toutefois, ne cessez pas de me recommander au Seigneur et suppliez-le pour qu’il ne me soit plus si difficile de croire en lui. »
La réponse aux angoisses de Padre Pio était déjà toute prête dans l’Histoire d’une âme, au chapitre 10. Le père Agostino la connaissait bien, il la retranscrivit donc pour Padre Pio en la lui traduisant du français, dans une lettre datée du 22 mars 1916 :
« L’histoire de toutes les âmes qui appartiennent à Jésus contient des pages douloureuses, mais étonnantes, de nuits profondes. La vénérable sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, racontant l’histoire de son âme à sa mère supérieure, parle de sa nuit obscure et emploie ces mots précis : « Ma Mère bien-aimée, je vous parais peut-être exagérer mon épreuve, en effet si vous jugez d’après les sentiments que j’exprime dans les petites poésies que j’ai composées cette année, je dois vous sembler une âme remplie de consolations et pour laquelle le voile de la foi s’est presque déchiré, et cependant… ce n’est plus un voile pour moi, c’est un mur qui s’élève jusqu’aux cieux et couvre le firmament étoilé… Lorsque je chante le bonheur du Ciel, l’éternelle possession de Dieu, je n’en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que je veux croire. Parfois, il est vrai, un tout petit rayon de soleil vient illuminer mes ténèbres, alors l’épreuve cesse un instant, mais ensuite le souvenir de ce rayon, au lieu de me causer de la joie, rend mes ténèbres plus épaisses encore. O ma Mère, jamais je n’ai si bien senti combien le Seigneur est doux et miséricordieux, il ne m’a envoyé cette épreuve qu’au moment où j’ai eu la force de la supporter, plus tôt je crois bien qu’elle m’aurait plongée dans le découragement… Maintenant elle enlève tout ce qui aurait pu se trouver de satisfaction naturelle dans le désir que j’avais du Ciel… »
Ne te semble-t-il pas, mon cher, que la vénérable sœur Thérèse dépeint la nuit de toute âme ? Remarque bien comme elle dit que le chant de la foi est un effort de la volonté : « Je chante simplement ce que je veux croire », dit-elle dans sa langue natale.
Calme donc tes angoisses et crois à la parole de l’autorité. Jésus t’aime tellement qu’il t’a fait connaître de nombreuses et belles âmes qui prient pour toi et s’offrent en victimes à l’amour divin ». (Lettre  à Padre Agostino, du 17 mars 1916).

 

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